Les éditions de la revue Sciences Humaines ont récemment lancé une collection de semi-poches, avec l’ambition de faire rapidement le point, pour un large public, sur des thèmes régulièrement questionnés dans le mensuel. Ce volume-ci intéressera particulièrement les enseignants du secondaire. Il pourrait d’ailleurs, pourquoi pas, figurer avec profit dans le « pack de survie » des professeurs débutants, aux côtés d’ouvrages disciplinaires et didactiques, tout en intéressant aussi leurs aînés.

Sous un format ramassé, il réunit une quarantaine de contributions plutôt courtes autour de quatre grandes ouvertures : l’histoire du concept d’« adolescence », les métamorphoses que cette période implique, les cultures adolescentes, et enfin les souffrances et violences associées. La pluridisciplinarité des textes fait la richesse du recueil, qui donne la parole aussi bien à des psychiatres, psychologues et psychanalystes, qu’à des sociologues, historiens ou anthropologues.
Pas facile en effet de définir l’adolescence. Adolescere signifie simplement « grandir » en latin. Déjà Diderot se désolait de ne pas reconnaître sa propre fille minaudante, et de ne plus pouvoir en « venir à bout » ; Proust avait sa propre manière, expéditive, de cerner cet âge, vécu de l’intérieur comme « ridicule »: c’est finalement « le seul temps où l’on ait appris quelque chose » ! Où commence-t-elle, et où finit-elle ? On a pu remettre en cause jusqu’à son existence. Margaret Mead avait cru, en observant les jeunes des îles Samoa et leur apparente liberté sexuelle, affirmer que l’adolescence n’apparaissait pas dans ce type de société, mais ces observations ont été largement remises en cause depuis. Pour le psychiatre Patrice Huerre, coauteur du provocateur « L’adolescence n’existe pas » (Odile Jacob, 1997), au delà du passage progressif de l’enfance à l’âge adulte et des transformations physiques et mentales qu’on ne saurait ignorer, elle est aussi une « représentation collective », et d’apparition récente dans les discours. C’est en effet la IIIe République qui l’érige en classe d’âge à part entière, un peu avant la Grande Guerre, car l’enjeu, pour le régime encore fragile, est de se garantir la loyauté de la jeunesse, et de la disputer aux Eglises et à leur encadrement.

Pour la majorité, être ado, c’est « le bonheur »

Est-elle forcément une période de « crise », comme on pourrait le croire aujourd’hui ? L’ouvrage a l’avantage d’offrir des regards pluriels : on y fait le point en détail sur les différents troubles liés à l’adolescence : anorexie, boulimie, addictions diverses, conduites déviantes et violence contre les autres et contre soi-même, car les estimations oscillent entre 10 et 15 % des adolescents en souffrance, et paradoxalement très peu suivis lorsqu’ils sont vraiment en danger. Mais pour les autres, l’immense majorité, on oublie trop que c’est une période de « bonheur », souligne le sociologue Miche Fize. La plupart du temps, les transformations du corps, le développement des capacités intellectuelles sont plus agréables que réellement anxiogènes. Et si c’étaient les parents qui, à un moment critique de leur propre parcours, faisaient de l’adolescence un problème ? C’est en résumé grossier, ce que suggère la contribution du psychologue Daniel Coum : s’il est difficile au jeune de grandir, car il faut « tuer l’enfant en soi pour devenir adulte », et en même temps faire souffrir ses parents, combien il est aussi pénible pour ses parents de faire le deuil de l’enfant, de renoncer au statut de parents ainsi qu’aux « bénéfices qui y étaient liés ». Beaucoup vacillent face à la mutation qu’eux mêmes doivent alors vivre : comment simplement « être » quand on n’est plus parent ? Une fois le « masque parental » ôté, l’adulte qui reste saura-t-il faire face à la réactivation des questions fondamentales, sur le sens de sa vie par exemple ?

Une « révolution copernicienne de la pensée »

Quant aux enseignants, ils ne découvriront pas de miracles ou de solutions clés en main dans ces pages, mais quelques pistes sans doute, pour comprendre un peu mieux cette « culture ado » qu’ils devinent, culture de l’imitation des pairs, de plus en plus ‘culture numérique’ qui reste cependant différente entre filles et garçons ; pour regarder autrement leurs élèves et saisir la « révolution copernicienne de la pensée » (Nicole Catheline) qu’ils vivent entre 9 et 15 ans : la découverte progressive de la possibilité d’une pensée personnelle et différente de celle des autres, puis, vers 13 ans, l’accès à l’abstraction ou la « capacité de penser sur ses pensées ». Sans doute, suggère cette spécialiste de l’adolescence, aurait-on intérêt au collège à davantage s’appuyer sur le réel plaisir généré chez les jeunes par ces facultés nouvelles pour donner du sens aux apprentissages, à solliciter davantage leur maturité, les responsabiliser et utiliser la dynamique de groupe, au lieu de les infantiliser. Mais de recettes pour cela, point !
Les sociabilités propres aux adolescents sont aussi étudiées. Comment se font et se défont des réseaux ? le temps croissant passé sur Internet contribue-t-il à l’isolement ou au contraire renforce-t-il la confiance en soi de jeunes fragiles ? Comment fonctionnent les bandes de jeunes ? Sur ce dernier point, les auteurs sont loin d’être unanimes, de façon d’ailleurs quelque peu incohérente, car un article donne la parole à un chef de bande « repenti », tandis qu’à l’opposé l’ethnologue André Iteanu nie carrément leur existence dans les périphéries des villes, pour au contraire souligner l’isolement des jeunes, l’illusion de faire partie d’un groupe pour se conformer à une image médiatique.
Enfin, les enseignants d’histoire liront avec intérêt la mise au point de Laurent Mucchieli, sociologue et historien au CNRS, bien qu’un peu décalée par rapport au reste du recueil, à propos des viols collectifs en banlieue, qui avaient défrayé la chronique au début des années 2000 : sans nier leur réalité ni minimiser les crimes, il montre que, contrairement au discours médiatique tendant à stigmatiser les jeunes « issus de l’immigration », ils ne sont pas en augmentation, mais représentent un phénomène hélas ancien et qui ne se rencontre pas seulement dans les bandes de jeunes hommes des quartiers pauvres ; on les déplorait déjà au Moyen-Age, ils étaient pointés du doigt à l’époque des « blousons noirs » dans les années 1960.

Panorama stimulant et rapidement lu, ce petit volume peut donc aider les enseignants et les parents à dédramatiser l’adolescence, période difficile pour toute la société, parce que les adolescents n’hésitent pas à remettre en cause et heurter de front leurs interlocuteurs adultes, en exigeant d’eux un langage de vérité.

Nathalie Quillien © Clionautes