Le livre de Michel Griffon veut clarifier utilement les choses et s’il est assez technique il se révèle néanmoins fort utile pour traiter le thème : « Nourrir les hommes ».
Michel GriffonIl est directeur adjoint de l’agence nationale de la recherche, président du conseil scientifique du fond français pour l’environnement mondial, il a été directeur du CIRAD, en spécialiste de l’agronomie mais aussi en économiste il nous prépose une réflexion sur le devenir de l’agriculture mondiale, une réflexion sur les enjeux et conditions d’existence de l’agriculture écologiquement intensive. Cette expression nouvelle est apparue dans le vocabulaire alors même que les deux qualificatifs sont souvent considérés comme antagonistes.

La préface d’Éric Orsenna rappelle le défi de l’agriculture mondiale : produire plus pour une population toujours plus nombreuse tout en respectant mieux la nature et en particulier les sols.

L’auteur commence par définir l’agriculture écologiquement intensive. Si dans le langage courant, l’intensif est souvent synonyme d’une agriculture conventionnelle utilisant beaucoup d’ intrants chimiques, de mécanisation et donc de capital. Il rappelle aussi qu’une agriculture utilisant beaucoup de main d’œuvre peut également être qualifiée d’intensive.

 

Dès cette introduction l’auteur met en place une forme intéressante : le propos est illustré d’encarts, de renvois à des textes de référence, à des exemples de pratiques qui font la richesse de l’ouvrage et un recueil de courts documents pour une utilisation en classe.

L’agriculture écologiquement intensive, évolution des idées et des expériences

C’est l’histoire de l’émergence d’un concept fondé sur la fonctionnalité des écosystèmes utilisés dans l’agriculture de la révolution doublement verte de Gordon Conway dans les années 90 aux recherches menées par le CIRAD [ Centre de Coopération international en recherche agronomique pour le développement, implanté à Montpellier] et au Grenelle de l’environnement. C’est aussi l’occasion de revenir sur les différentes approches en matière d’agriculture : agriculture moderne conventionnelle, biologique, raisonnée, intégrée, durable, de conservation, agroécologie, agriculture à haute valeur environnementale afin de mieux définir ce qu’est l’agriculture écologiquement intensive : intensifier les fonctionnalités écologiques, tirer le meilleur parti des ressources naturelles pour une agriculture pérenne. L’auteur analyse le fonctionnement des écosystèmes et met en avant les services qu’ils peuvent offrir à l’agriculture, un texte clair pour une approche systémique complexe et un éloge de la complexité. Il invite au développement de la recherche publique sur l’amplification des fonctionnalités des écosystèmes face à une recherche privée plus intéressée par la génomique. Pour lui l’ agriculture écologiquement intensive est indispensable pour une production plus économe en intrants et moins agressive pour l’environnement, une réponse au développement des pays du Sud mais pas seulement, une agriculture durable.

Les techniques de l’agriculture écologiquement intensive.

Ce chapitre est consacré aux systèmes de culture à différentes échelles : parcelle, exploitation, bassin versant, bassin économique, une approche multiscalaire familière aux géographes. Le chapitre est malgré tout plutôt technique : notion de couverture du sol, choix des variétés, utilisation de l’eau, lutte contre les mauvaises herbes, les maladies et autres ravageurs : chaque idée est définie puis illustrée par un ou deux exemples, citons la notion de couvert végétal du peuplement naturel et les forêts villageoises en Indonésie, à propos des associations de cultures sur une même parcelle : agroforesterie tropicale et réflexion sur le bocage ? Ces exemples renvoient tantôt à des pratiques traditionnelles empirique comme l’agriculture étagée des jardins bamilékés tantôt à des expériences très novatrics comme les serres fertilisées au CO2 au Japon. L’auteur conclut sur la nécessaire intégration de chaque technique présentées dans un système de culture.

L’élevage écologiquement intensif.

On retrouve la même approche que pour les cultures bien que les travaux en matière d’élevages soient moins nombreux : diversité des animaux, alimentation du bétail gros et petit entre croissance rapide, qualité de la viande et autonomie de l’exploitation de l’alimentation des animaux. L’auteur met en valeur les associations élevage culture et les capacités d’adaptation au changement climatique.

L’agriculture écologiquement intensive à l’échelle d’une exploitation, d’une supra-exploitation d’un paysage écologique.

On retrouve ici les différents échelles et on remarquera notamment le schéma de fonctionnalités à l’échelle de l’exploitation. L’auteur revient aussi sur les liens d’intégration élevage -agriculture. Il développe également une brève analyse des rapports entre énergie, travail et sécurité alimentaire. Il pose la question du bilan énergétique de l’agriculture et montre que l’exploitant pour certains de ses choix est confronté à la multiplication des échelles d’autant plus si on intègre les échanges économiques dans l’analyse.

Les services écologiques et environnementaux.

Au delà de la fonction de production alimentaire l »agriculture écologiquement intensive rend des services tels que : le stockage du carbone, la lutte anti-érosive (avec un ex en Australie), la réduction des pollutions comme les cultures intermédiaires pièges à nitrates, des paysages contre les incendies… L’auteur propose une réflexion sur la biodiversité à partir de deux exemples : en Inde et en Ille-et-Vilaine . Le chapitre sur termine avec des considérations sur la transition vers ce type d’agriculture pour la céréaliculture française.

Les conditions de réalisation d’une agriculture écologiquement intensive.

L’auteur utilise le terme de «viabilité» plutôt que de «durabilité» en insistant sur la notion de renouvellement : capacité de rétention d’eau, fertilisation des sols, réserve de fourrage mais aussi épargne de l’exploitant. Il évoque la diversification des sources de revenus ; transformation, production énergétique, tourisme mais aussi la rémunération envisageable des services environnementaux. Les thèmes de la fixation des prix agricole, de la concurrence internationale sur les marchés locaux et les difficultés d’accès à la terre sont aussi abordés. L’auteur prône une reconnaissance sociale du monde agricole, des politiques publiques et un développement de la recherche.