Les neurosciences sont de plus en plus présentes dans les publications et les débats. Cependant, il reste sans doute un cap à franchir aujourd’hui, celui qui permet de passer des acquis de la recherche à l’action quotidienne auprès des élèves. En ce sens, l’ouvrage de Jean-Luc Berthier, Grégoire Borst, Mickaël Desnos et Frédéric Guilleray pourra apporter d’utiles éléments de réponse.
Une évolution plutôt qu’une révolution
Dans sa préface, Olivier Houdé plaide pour une « neuroscience de l’éducation fondée sur la recherche participative et le partage des connaissances ». Les auteurs insistent sur leur volonté de mettre à disposition des pistes pédagogiques et de diffuser de bonnes pratiques, notamment autour de la mémorisation. Ils parlent d’une évolution plutôt que d’une révolution et invitent à considérer les neurosciences cognitives comme « une magnifique opportunité d’évolution du système scolaire ». Cette envie de partage et de construction du savoir se retrouve par le signalement d’un site internet dédié et d’une adresse mail pour échanger. Une bibliographie est proposée en fin d’ouvrage et il existe aussi de nombreux compléments sous forme de qr-code à flasher pour aller plus loin à propos des expériences décrites.
Neurosciences cognitives et neuromythes
Il s’agit d’abord de définir le contexte des neurosciences cognitives avant de montrer ce qu’elles peuvent apporter. Il peut y avoir dans les médias des effets d’emballement autour d’idées, parfois simplifiées ou tout simplement peu étayées, surtout dans un contexte de comparaison internationale comme Pisa. En tout cas, il faudrait que tout le monde se sente concerné, que ce soit dans l’établissement, mais aussi en dehors avec les parents. Cela implique de la part des enseignants et de l’administration de ne pas négliger de procéder à une communication efficace. Les auteurs énoncent aussi quelques repères à connaitre sur le cerveau et notamment la plasticité cérébrale. Les neurosciences définies, il est alors temps de démonter quelques « neuromythes » parmi les plus courants. Il est essentiel de les connaitre, d’où le florilège qui s’attaque notamment à « cerveau gauche-cerveau droit » ou « visuel, auditifs et kinésthésiques ». Mais les auteurs sont également constructifs car, en luttant contre certains neuromythes, on peut aboutir à mettre en avant de réelles bonnes pratiques. Ainsi, plusieurs recherches soulignent qu’il faut plutôt entremêler deux apprentissages plutôt que les faire se succéder.
Les fiches pour expérimenter et se former
Dans cette partie, sont proposées des « fiches pour expérimenter et se former », toutes fabriquées sur le même modèle. Ainsi, après avoir précisé l’enjeu visé, on trouve le déroulé qui peut permettre d’y arriver et enfin, souvent, une rubrique témoignage. Il faut insister sur l’aspect expérimentation avec d’utiles conseils pratiques. La préoccupation est bien de partir du réel, de l’existant, pour comprendre comment on peut changer les pratiques. Une fiche explicite notamment le concept de Cogni’classe et, parmi les autres points intéressants, le fait d’apprendre aux élèves comment fonctionne leur cerveau.
Les fiches théoriques
Cette partie est organisée en quatre rubriques : « Les conditions de l’apprentissage, attention et fonctions exécutives, mémorisation, compréhension ». Le but est d’outiller l’enseignant qui veut se lancer ou désire en savoir plus sur les différents domaines. Chaque rubrique est traitée en plusieurs fiches avec d’abord la définition de l’enjeu puis un texte de synthèse. Les auteurs proposent parfois un lien vers les fiches pédagogiques de la partie suivante ce qui est fort utile. On peut signaler notamment les fiches théoriques sur la mémoire qui forment autant d’utiles vade- mecum. Cela permet de préciser des définitions comme l’empan mnésique. Les auteurs insistent aussi sur la mémorisation active ou encore sur les modes de rappel.
Les fiches pédagogiques
Dans cette cinquième partie, l’intention est claire : « les pistes pédagogiques décrites …sont des traductions de l’apport des sciences cognitives dans les pratiques de classe autour de la mémorisation, de l’attention, de la compréhension, de l’implication et du numérique ». Ainsi, en lien avec la fiche théorique de la partie précédente sur les « effets de la méditation en classe », l’enseignant dispose ici d’une fiche « La mise au calme des esprits » qui présente donc les modalités pratiques. On peut relever de nombreux conseils, facilement applicables, comme le fait de « pratiquer la double modalité de présentation », autrement dit de ne pas se contenter de dire, mais aussi de montrer. Relevons aussi d’utiles prescriptions pour améliorer la lisibilité des documents pédagogiques en faisant attention par exemple à l’intégration de la légende d’une carte pour éviter à l’oeil de faire sans cesse des allers-retours préjudiciables à la compréhension entre le document et la légende. L’enseignant trouvera également de très intéressantes perspectives pour la mémorisation avec le fait d’intégrer, par exemple, la révision au cours. Poursuivant ce souci d’être concret, les auteurs proposent dans une dernière partie un tour d’horizon d’outils numériques possibles comme Plickers, Anki, Quizlet ou encore les cartes mentales. Chacun pourra trouver du grain à moudre comme l’idée d’un « cahier de réactivation » qui circulerait entre les professeurs au collège. Dans ce dispositif, l’enseignant d’une autre matière pose en début d’heure des questions sur le cours d’un collègue, tout en ayant les réponses justement consignées dans ce cahier. On apprécie dans le livre le foisonnement de propositions qui invitent à essayer : pourquoi ne pas tester le « cours à cinq temps » ? Cette proposition s’articule ainsi : il y a d’abord un exposé par le professeur d’un thème sans prise de notes par les élèves, la restitution des informations captées et leur validation par l’enseignant. Ensuite, viennent des activités pour vérifier la compréhension, suivi d’une application sous forme d’une production en travail collaboratif avant la mise en évidence et la mémorisation des points essentiels.
Voici donc un ouvrage très utile et très riche qui cherche à aborder de nombreuses dimensions. Partant d’indispensables éléments de théorie autour des neurosciences, il envisage aussi la réalité du terrain pour accompagner celles et ceux qui veulent faire autrement. Le livre glisse progressivement vers la pratique tout en établissant très souvent des liens entre recherche et terrain. Il s’agit d’un travail toujours en construction qui invite l’enseignant à essayer, d’abord modestement s’il le veut, en ciblant par exemple un point crucial comme la mémorisation.
Questions à Jean-Luc Berthier, un des auteurs de l’ouvrage « Les neurosciences cognitives dans la classe »
Jean-Luc Berthier, un des auteurs de l’ouvrage a répondu à mes questions pour prolonger, ou amorcer, la lecture de l’ouvrage « Les neurosciences cognitives dans la classe : guide pour expérimenter et adapter ses pratiques pédagogiques » auquel il a participé.
On parle beaucoup des neurosciences pour l’éducation et pourtant dans votre ouvrage vous insistez pour utiliser le terme d’évolution plutôt que de révolution. Pouvez-vous expliquer ce choix ?
Nombre de propositions émanant de ce que l’on sait du fonctionnement du cerveau de l’apprenant sont déjà en pratique, plus ou moins rigoureusement certes, et depuis longtemps déjà. La science confirme par ses recherches ce que certains pédagogues avaient largement posé. En revanche, et pour prendre un exemple, des pratiques très largement usitées, sont antinomiques de ce que l’on sait des processus de mémorisation (consolidation indispensable, mémorisation active consistant à se poser une question avant d’y répondre, feedbacks proches, illusion de savoir par simple lecture, etc). La science confirme, interroge, infirme. Toute la difficulté du pédagogue est de mettre en place (et d’imaginer) des pratiques conformes aux notions validées par la communauté scientifique, et d’en tester les effets avec la diversité des paramètres que nous connaissons sur le terrain, tels que l’âge, les profils d’élèves, les filières, les compétences des enseignants, voire le management de l’établissement. La science est un long cheminement de questionnements, d’éléments de réponses, et fournit des propositions à tester. Par ailleurs les résultats espérés ne relèvent pas du spectaculaire. L’esprit de notre ouvrage c’est d’inciter à expérimenter pour toujours mieux affiner les pratiques pédagogiques.
Vous parlez également de neuromythes. Pouvez-vous donner un ou deux exemples et montrer leur impact négatif ?
– Fortifier la mémoire en apprenant des poésies (comme les maîtres le préconisaient traditionnellement jadis) : la mémoire n’est pas un « muscle » global qui permettrait en apprenant des poésies, de mieux retenir de l’histoire ou de la géographie. Le système des mémoires est bien plus complexe.
– Cerveau gauche – cerveau droit : certes certaines zones sont davantage dédiées à certains traitements des informations (pour certaines activités liées au langage ou aux mathématiques par exemple), mais le cerveau travaille en système en mobilisant de nombreuses zones, pour quasiment toutes les activités. Attribuer une activité cérébrale à une zone précise est un simplisme. L’ouvrage propose de nombreux autres exemples
Comment envisagez-vous le lien entre recherche et terrain ?
Plusieurs approches sont envisageables :
– D’abord il faut modifier la représentation que l’enseignant se fait de son métier. Il devient avant tout une sorte d’explorateur-observateur de ses pratiques nouvelles ou modifiées. Il ne s’agit plus comme autrefois d’enseigner comme on a été enseigné. Plus que jamais, l’enseignant s’informe sur l’avancée de la science, s’inter-forme avec ses collègues, teste et contribue à sa mesure à l’avancée vers la pédagogie de demain. Voilà un axe formidable d’évolution portée par l’opportunité de l’arrivée des neurosciences cognitives. D’autant que c’est le même cerveau d’élève qui passe de discipline en discipline. Les stratégies d’apprentissage doivent concerner toutes les disciplines enseignées.
– La recherche doit pouvoir conduire des études sur le terrain de la classe, comme c’est le cas avec l’expérimentation conduite par le LaPsyDé dans quelques lycées parisiens sur les capacités de l’attention-inhibition. Pour les élèves ce fut une formidable occasion d’être un acteur de la science. Comme c’est le cas aussi avec la formidable mise en étude du même LaPsyDé sur le développement de l’attention sur les élèves du premier degré.
– Les Cogni’Classes ont pour but d’offrir aux professeurs volontaires des mini-études sur des pratiques précises, par exemple des outils de mémorisation (support, pratique, test d’effet) sur un très grand nombre de classes, encadrées par une méthodologie scientifique, et permettant de « mesurer » l’effet de ces outils dans des contextes variés. Mais nous proposons bien d’autres pistes pédagogiques que la mémorisation !
Nous sommes convaincus dans mon équipe qu’on ne peut plus se contenter de « vaguement » observer l’effet d’une pratique pédagogique. Les chercheurs sont là pour aider les enseignants à conduire ces expérimentations. Notons que les élèves ne sont absolument pas des cobayes et que les enseignants ne sont pas des chercheurs professionnels.
Votre ouvrage met l’accent notamment sur l’importance de la mémorisation. Pouvez-vous donner quelques conseils à ce propos ?
Il faut dire tout d’abord que l’être humain mobilise sa mémoire à tout moment de sa vie et dans sa complexité. La mémoire est bien davantage qu’un stock dans lequel on irait puiser en cas de besoin.
En milieu scolaire, la démarche de compréhension s’appuie sur les processus de mémoire et de mémorisation, d’où l’importance de cet axe hélas trop mal connu des enseignants. Quelques règles sont à rappeler :
– L’indispensable consolidation (ce peut être vu comme un processus biologique) au cours du temps, il faut y revenir plusieurs fois, voire de nombreuses fois pour l’acquisition en mémoire procédurale.
– Cette consolidation peut être organisée selon des écarts statistiques convenables pour un groupe-classe, ou dans la logique de mémorisation à parcours individualisés.
– La mémorisation active fondée sur le constat que la mémorisation à terme est meilleure lorsque l’apprenant se pose une question puis consulte la réponse (contrairement à la lecture d’un cours ou d’une fiche, beaucoup plus passive)
– L’effet du temps : on apprend plus solidement en espaçant l’étude d’un thème un peu complexe. Les musiciens ou les sportifs ou les artisans le savent bien.
– Lorsqu’on se pose une question pour apprendre une notion, il est préférable de connaître la réponse rapidement, ce qui permet de mieux gommer l’erreur, le flou ou le malentendu.
Quelle place peut jouer le numérique dans ce changement ?
Le numérique peut être envisagé lorsque l’enseignant ne peut plus réaliser la tâche avec qualité. Par exemple, effectuer des tests rapides avec correction immédiate pour vérifier une acquisition ou une compréhension. Le numérique peut aussi être très utile pour réaliser une réelle différenciation pédagogique, dont nous avons tant besoin pour adapter les parcours aux spécificités des élèves. Des horizons s’offrent à l’évidence avec l’arrivée des outils issus de l’intelligence artificielle : par exemple pour l’interactivité entre la machine et l’apprenant ou pour envisager des productions collaboratives.
Votre livre insiste également sur la nécessité de mobiliser des équipes, d’expliquer les démarches par exemple aux parents. Le changement ne pourra donc pas être l’œuvre de quelques-uns ?
Ce que notre équipe vise, et qui transparaît dans l’ouvrage, c’est de modifier la posture professionnelle du professeur : apprendre continument, travailler en équipe, se former au sein de l’établissement. Une petite équipe autour d’une classe permet de se crédibiliser aux yeux des élèves, des parents, de la direction, des autorités académiques. Et c’est extrêmement positif pour le moral ! Mais il faut aussi impliquer davantage les personnels de direction qui sont des « ouvreurs » sur ces thèmes. Sans eux, l’établissement est fermé au thème. Il faut en comprendre les tenants et aboutissants, les enjeux. Ils doivent accueillir, accompagner et faire rayonner les projets. Les élèves sont les « partenaires » de ce mouvement d’évolution pédagogique ; d’ailleurs ils adorent ! Et les parents, bien entendu, qui doivent entendre que l’accompagnement de leur enfant, le sommeil, les rythmes, la manière de travailler à la maison, mais aussi la compréhension des pratiques à l’école, relèvent de leur savoir indispensable de parent.
Voir l’entretien avec un des auteurs : https://clio-cr.clionautes.org/questions-a-jean-luc-berthier-un-des-auteurs-de-louvrage-les-neurosciences-cognitives-dans-la-classe.html