Préface de Jean-Louis Crémieux-Brilhac

« Ici Londres ! Les Français parlent aux Français… » En 1940, la BBC ouvre ses antennes à ceux qui refusent la défaite. Radio Londres est née et va devenir le lieu de rendez-vous quotidien des Français pendant quatre ans. De jeunes et talentueux chroniqueurs (Jacques Duchesne, Jean Oberlé, Pierre Bourdan, jean Marin, Maurice Schumann, Pierre Dac…) insufflent un ton nouveau et inventent la radio de proximité. Des messages personnels aux appels à résister, une véritable guerre des ondes se joue face à Radio Paris (Philippe Henriot) et Radio Vichy, démagogiques, collaborationnistes, voire antisémites. Jusqu’au triomphe des Alliés, Radio Londres se mue en arme de guerre. Voix de la France libre du général de Gaulle, elle est victime de son succès : les Allemands interdisent son écoute et brouillent ses émissions sans jamais réussir à briser son pouvoir.

Ce livre qui vient d’arriver dans une boîte aux lettres dans un village de province est l’œuvre d’une historienne mais aussi d’une femme de radio qui a pris la mesure de ce qu’elle doit à ces hommes et ces femmes qui se sont emparées du micro lorsqu’il était minuit dans le siècle.
Radio Londres, tous ceux qui ont eu à s’intéresser à l’histoire de la seconde guerre mondiale, à celle de la résistance, connaissent. Ou en tout cas ils croient connaître… Ce livre, remarquablement écrit, devrait les inciter à plus de modestie.
Bien entendu, même si le texte de l’appel du 18 juin n’a pas été enregistré, la voix du général De Gaulle sur Radio Londres est toujours présente. Dans cette France qui compte 6,5 millions de récepteurs TSF, la radio qui s’est développée au début des années 30 juin joue un rôle spécifique. Elle réunit, d’abord dans les cafés, ensuite dans les foyers, des auditeurs attentifs. La presse écrite qui avait le monopole de l’information jusqu’au début des années 20 s’est en partie discréditée à cause du bourrage de crânes auquel elle s’était livrée pendant la guerre de 14-18.

La radio, un nouveau média

De plus, les Français se souviennent de ces campagnes de presse pour les inciter à souscrire aux emprunts russes qui ont ruiné bien des ménages, à la suite de la révolution bolchevique.
La radio, même si au début de la période les récepteurs sont chers, est un moyen commode de s’ouvrir au monde. Elle jouit de l’attrait de la nouveauté. Les Français ont également entendu la voix des dictateurs pendant cette montée du fascisme qui leur apparaissait comme inexorable.
Dès l’origine, la radiodiffusion était divisée en un secteur public, financé par l’État, et des stations privées, liée à des journaux comme le Petit Parisien ou Paris-Soir, qui diffusent des programmes beaucoup plus légers financés par la publicité.
De l’autre côté de la Manche, avec 9 millions de postes récepteurs déclarés à l’automne 1939, la BBC est devenue une radio généraliste au sens noble du terme. Des émissions pour enfants aux concerts symphoniques, en passant par des programmes éducatifs, des débats littéraires ou philosophiques, des commentaires sportifs ou des reportages, la BBC est déjà une radio moderne. Elle diffuse entre 20 heures et 21 heures des informations en français comme en allemand à partir de 1932. La diffusion en ondes courtes, celle que les auditeurs de Radio France internationale ont utilisée jusqu’à une période assez récente, permet de s’affranchir des distances par rapport à un émetteur.

Dans le premier chapitre, consacré au général micro, Aurélie Luneau présente avec beaucoup de pertinence les médias radiophoniques en Europe, et notamment l’instrumentalisation de la radio par les services de propagande de l’Allemagne nazie. On apprend notamment que, dès le début de la drôle de guerre, Goebbels utilise la radio en direction des troupes françaises pour semer la confusion dans l’esprit des auditeurs. Cet arsenal est complété par des « postes noirs », c’est-à-dire des stations de radio dont on cache la véritable identité et qui ont été lancées à partir du 16 décembre 1939.

Propagande du Reich

Ces postes de radio utilisant les services de speakers français, essaiment peu à peu de fausses nouvelles, en se revendiquant, selon les cas, d’un pacifisme d’extrême droite ou d’une référence au communisme. En janvier 1940 « Radio Humanité » est présentée comme le porte-parole officiel du parti communiste français, dissous à la suite du pacte germano-soviétique. Redoutablement efficace aussi, Radio Stuttgart connaît un pic d’audience au début du mois de mars 1940.

Face à une organisation efficace de la propagande radiophonique par les services de l’armée allemande, la radiodiffusion française fait preuve d’un amateurisme évident. Dans la nuit du 5 au 6 juin 1940, Paul Reynaud nomme un grand professionnel comme Jean Prouvost, patron de Paris-Soir, au Ministère de l’information en même temps que le colonel Charles De Gaulle devient sous-secrétaire d’État à la défense à 49 ans. Il y gagne à titre provisoire les deux étoiles de général de brigade.

Dans les situations confuses de cette première quinzaine du mois de juin 1940, le général De Gaulle qui a fait savoir qu’il était hors de question pour lui de se soumettre à un armistice, a bien compris que l’espoir de continuer le combat se situe de l’autre côté de la Manche. Dès son arrivée à Londres le 17 juin 1940, vers 12 h 30, Charles De Gaulle rencontre Winston Churchill et obtient de lui qu’il puisse passer un appel à la radio. Le 18 juin, entre 18 h et 22 heures, les mots irréversibles s’envolent sur les ondes. Le disque sur lequel ce discours avait été enregistré initialement n’a pas été conservé, et l’enregistrement que l’on entend le plus souvent date du 22 juin. Ce texte a été rediffusé sur l’antenne à plusieurs reprises pendant les 24 heures qui ont suivi sa diffusion initiale, mais il a été lu par des speakers. Dès le 19 juin, les postes allemands dénoncent cet appel à la résistance et à partir du 22 juin les sanctions pleuvent contre de Gaulle, allant de la mise à la retraite d’office jusqu’à une condamnation à la peine capitale pour désertion et mise à la disposition d’une puissance étrangère par le tribunal militaire de Clermont-Ferrand.

«Ici Londres !»

Trois jours après la signature de l’armistice, le 22 juin 1940, Goebbels donne l’ordre aux émetteurs français de mettre fin à leurs programmes. La France restera muette jusqu’au 5 juillet 1940, l’écoute de radios étrangères hostiles à l’Allemagne étant passible de prison voire même de travaux forcés. Dès le 18 juillet 1940, les services de propagande du Reich sont à pied d’œuvre dans Paris. La presse parisienne est entièrement tombée sous la domination nazie, les deux tiers des journaux de la zone occupée disparaissent ou se muent en feuilles de propagande sous le contrôle du Reich. Dès le 12 juillet 1940 Pierre Laval obtient par délégation de pouvoir le contrôle des médias et, en septembre 1940, il est « chargé de l’information ». Un homme comme Jean-Louis Tixier Vignancour est chargé de la presse de la radio et du cinéma avec d’autres personnalités, issues du monde de la presse comme l’ancien rédacteur en chef du journal le Moniteur du Puy-de-Dôme, qui voit dans la mise en place du nouveau régime un formidable moyen de réussir une carrière professionnelle qui n’avait rien d’exceptionnel avant-guerre.

Pourtant, dès le 17 juin 1940, Edmond Michelet a reproduit à Brive une page de Péguy portant notamment sur l’honneur de ne pas se rendre. En août, les “Conseils à l’occupé” du militant socialiste Jean Texcier paraissent. Ces avis de parution seront annoncés sur Radio Londres par la voix de Maurice Schumann dont il sera question plus loin.
De leur côté, les Allemands ont récupéré les meilleurs émetteurs situés dans la zone occupée, et créent une véritable radio allemande d’expression française, Radio Paris. Tous les rédacteurs des feuilles d’extrême droite d’avant-guerre s’y retrouvent ainsi que des journalistes de la presse généraliste comme Claude Jeantet du Petit Parisien.

Radio Paris met l’accent sur la collaboration avec l’Allemagne pour l’instauration d’une Europe nouvelle, les reportages évoquent la « correction » des soldats des troupes d’occupations, dénoncent la « lâche agression » de Mers el-Kébir, bref, avant même la chanson célèbre, «Radio Paris est bien allemand».

Les contraintes militaires, et notamment la possibilité pour les avions de bombardements d’utiliser comme repère les émetteurs, vont favoriser l’écoute de la BBC. Radio Vichy et Radio Paris doivent cesser leur émissions à grandes puissances vers 19h15, ce qui va favoriser l’écoute des émissions du service français de la BBC.

Deux des principaux animateurs de Radio Londres qui étaiet en poste avant le 17 juin ont été rappelés à Paris, mais à partir du 19 juin les Britanniques font le choix de constituer à la BBC une rédaction purement française avec à sa tête Jacques Copeau. Il prendra comme pseudonyme Jacques Duchesne en référence au titre de la période révolutionnaire, le Père Duchesne. Les programmes commencent à partir de 20 h 15 et ses bulletins, initialement rédigés par les services britanniques, vont incarner la voix de la France à partir de Londres. C’est le 6 septembre 1940 que l’émission « Ici la France » prend le titre devenu célèbre « les Français parlent aux Français ». Le rappel quotidien du nombre de jours d’occupation, un procédé qui sera repris dans bien d’autres circonstances, vise à montrer aux Français l’importance de l’action nécessaire pour y mettre fin.

Une radio créatrice

De véritables innovations radiophoniques sont réalisées pendant la diffusion de ce programme. « La discussion des trois amis » est un dialogue imaginaire qui permet de traiter de l’actualité de la France occupée sur le ton de la conversation du café du commerce. Les animateurs de cette radio font preuve souvent d’un sens de l’humour décapant, avec cette présentation de « la petite académie » où les mots du dictionnaire sont réinventés en fonction de la situation de la France occupée. Ainsi la nouvelle définition de rations devient les restes de l’occupant, tandis que le mot liberté, provisoirement supprimé, renvoie à une édition ultérieure de ce fameux dictionnaire. La rubrique des messages personnels était initialement destinée à donner des nouvelles de ceux qui étaient parvenus à rejoindre Londres à leurs familles, mais c’est un colonel anglais, responsable de la section française du service des opérations spéciales qui a eu l’idée de mêler à ses messages des phrases codées destinées à ses agents opérant en territoire occupé. La ritournelle « Radio Paris ment, Radio Paris est allemand ! » a été inventée en septembre 1940.

Dans cet ouvrage, Aurélie Luneau ne se contente pas de raconter une histoire interne de Radio Londres. Au fil des chapitres comme « en proie au doute » ou encore « les mots les plus longs », elle retrace l’histoire de l’occupation du point de vue de la perception que l’on peut avoir de l’opinion publique à partir d’une étude du fonctionnement des médias. C’est un véritable livre d’histoire et pas simplement un éclairage sur un point particulier que nous livre cet auteur. On apprécie en plus énormément cette écriture nerveuse de journaliste, et on aurait même envie de dire de femme de radio, même si elles ne sombre pas dans la facilité.
On permettra l’auteur de ces lignes, qui fut aussi hanté par le démon du savoir et du dire, d’évoquer ce formidable moyen de communication que demeure la radiodiffusion.

Même si aujourd’hui la radio passe de plus en plus par l’intermédiaire d’Internet, il n’en reste pas moins qu’elle demeure le moyen le plus simple, le moins coûteux aussi ce qui n’est pas négligeable, d’accéder à l’instantanéité de l’information. Pour les générations qui ne sont pas nées avec la télévision, cet ouvrage permettra de comprendre à quel point ces voix qui devenaient peu à peu familières occupaient une place dans l’univers quotidien.
Pour les jeunes générations, il n’est pas inutile de rappeler à quel point l’information est un bien précieux, et que la multiplicité des sources ne signifie pas forcément le pluralisme, surtout lorsque la communication se substitue à l’information.
À ce moment-là, on peut être tenté de faire le rapprochement entre des services de propagande, tels qu’ils ont pu exister pendant les années noires, et certain matraquages médiatiques orchestrés par des « chargés de Com.»
On pense aussi, au moment de conclure sur ces lignes, à ces millions de Français anonymes, qui dans ces nuits obscures pour cause de couvre-feu, ont entendu ces voix qui leur portaient l’espoir de la liberté.

Bruno Modica