Mettre en lumière une recherche africaine en justice environnementale encore trop discrète, tel est l’objectif de cet ouvrage.

Entre situations multiples, controverses théoriques et faible lisibilité des travaux, William’s Daré et Alpha Ba replace cette question dans les évolutions récentes depuis le début du XXIe siècle. En effet, les conflits sont nombreux entre acteurs locaux et entreprises internationales à propos des conséquences environnementales (pollution des eaux, du sol et de l’air, perte de biodiversité, dégradation des forêts, réduction de l’accès aux ressources) et sociales (déplacement de population, dégradation des conditions sanitaires et d’existence) de grands projets dont certains sont qualifiés de « développement ». Le concept de « Justice environnementale » est né des luttes pour les droits civiques aux États-Unis. En 1991, s’est tenu le First National People of Color Environmental Leadership Summit, à Washington qui marque l’internationalisation de la justice environnementale. Les auteurs retracent les étapes, les controverses de ce mouvement ?

L’ouvrage est organisé selon trois grandes situations : aménagements autour des ressources en eau, industries extractives et reconnaissance des communautés locales.

carte Localisation des pays d’études
Localisation des pays d’études
les n° renvoient aux chapitres concernés

 

 

1. La justice environnementale, un concept opératoire pour penser l’avenir de l’Afrique ?

William’s Daré et Alpha Ba rencontrent trois « grands » témoins qui, au niveau local, régional ou international ont une expérience des luttes pour plus de justice : Mamadou GoïtaSocio-économiste du développement, Il est directeur de l’Institut de recherche et de promotion des alternatives en développement (Irpad) au Mali et secrétaire exécutif du Réseau des organisations paysannes et de producteurs de l’Afrique de l’Ouest (Roppa) est un expert sur la sécurité alimentaire qui a travaillé au sein d’ONG internationales (Oxfam), d’agences de l’ONU (Unicef, PNUD). Il s’intéresse aussi à la sauvegarde du patrimoine génétique africainIl est membre fondateur de la Copagen (Coalition pour le patrimoine génétique africain), Kako NubukpoDirecteur de la francophonie économique et numérique au sein de l’Organisation internationale de la francophonie (2016-2017). Il est actuellement commissaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (Uemoa), favorable à l’abandon du Franc-CFA. est économiste et homme politique togolais et Mariam SowCoordinatrice d’Enda Pronat et la présidente du conseil d’administration du réseau international Enda Tiers-Monde. Elle participe à la plateforme DyTAES (Dynamique pour une transition agroécologique au Sénégal) active dans le mouvement de lutte contre les accaparements de terres au Sénégal

Chacun s’exprime sur leur définition de la justice environnementale. Ils défendent la nécessaire reconnaissance de la pluralité des ayants droit y compris les générations futures.

Il y a une spécificité de la situation africaine : contexte social, économique, politique d’un continent inséré récemment dans l’économie mondiale. La multiplication des crises (sanitaire, politique, sécuritaire, climatique, migratoire) accentue les motifs de conflits. Les auteurs évoquent les séquelles de la colonisation comme l’exploitation des ressources naturelles à destination de la métropole. À l’heure actuelle, on observe aussi des dépôts de polluants occidentaux en Afrique. Le troisième élément cité est l’imposition d’une vision idéalisée de la natureSur ce thème voir : L’invention du colonialisme vert – Pour en finir avec le mythe de l’éden africain, Guillaume Blanc, Flammarion, 2020. Les trois témoins ne nient pas la responsabilité des élites politiques et économiques africaines dans les injustices nées des politiques d’aménagement, notamment sur la question du foncier.

On peut laisser la conclusion à Mariam Sow : « Pour qu’il y ait une justice sociale et environnementale, il faut gérer les équilibres entre les générations actuelles et les générations futures » (p. 31).

Aménagements autour des ressources en eau

2. Lutter pour le partage de l’eau en Afrique du Sud

Au moment de la fin de l’apartheid, l’accès à l’eau est devenue la la question pour lutter contre les inégalités. Le National Water Act en 1998 visait une redistribution équitable et, en même temps, la protection de l’environnement. En matière de justice environnementale, la question de l’eau a été un enjeu crucial comme le montrent Nicolas Verhaeghe, Magalie Bourblanc, David Blanchon. Ils présentent la politique en zone semi-rurale imaginée par l’ANC, en matière de justice hydrique pour l’accès à l’eau potable et la répartition de l’eau agricole. L’étude porte sur le cas de la rivière Sabie : inégalités entre agriculteurs blancs avec irrigation des cultures et agriculteurs noirs et leurs périmètres irrigués, proximité de Park Kruger et querelles d’accès à l’eau. Les auteurs décrivent en détail le cas. La convergence d’intérêts entre les agriculteurs noirs, réunis en collectif, et les autorités du Kruger National Park, a permis d’agir en faveur pour une distribution plus équitable de l’eau, sans toutefois contrebalancer les intérêts des agriculteurs blancs, influents à l’agence de bassin de la Sabie.

3. Action collective et (in)justice sociale et environnementale dans l’accès à l’eau au Mozambique

Raphaëlle Ducrot et Nícia Givá montrent un cas de conflit entre les acteurs des aires de conservation des régions semi-arides et les communautés locales. Elles s’intéressent aux défis que pose un accès équitable à l’eau. Comment répondre, avec une même infrastructure, à plusieurs usages : irrigation, abreuvement du bétail et les usages domestiques. Elles pose la question de l’implantation d’infrastructures hydrauliques et de leur pérennité à long terme. Les programmes n’ont pas permis une réduction de la pauvreté, ils n’ont pas résolu les problèmes liés à la gestion des équipements comme le montre l’exemple du district de Mabalane

4. Logiques distributives des ressources dans la cuvette de Guédé au Sénégal

Au Sahel, la construction d’aménagements hydro-agricoles pour la saison sèche est perçu comme un moyen de permettre aux producteurs ruraux de vivre dignement de leur activité.

Alpha Ba, William’s Daré, Anne-Jeanne Sila, François Bousquet, Françoise Gérard, El Hadji Faye, Amandine Adamczewski-Hertzog analyse les aménagements de GuédéVillage de la rive gauche du fleuve Sénégal, dans la région de Podor à partir de leur histoire depuis la période coloniale. Ils analysent en parallèle le développement de la culture irriguéeLa culture du riz y a été introduite dès les années 1930. et les injustices ressenties par les populations locales. Ils décrivent les aménagements de la cuvette : à l’époque coloniale la construction d’une digue de 10 km en 1933 pour irriguer 1 000 ha aux dépends les pratiques pastorales liées à la crue, la création du nouveau village Guédé-chantier vécu comme un « migration punitive ».

« Le colon a poussé nos parents avec la riziculture à délaisser toutes nos pratiques agricoles, mais surtout à déboiser toute la forêt pour mettre en place les périmètres irrigués, alors que beaucoup de population utilisait cette forêt pour des raisons alimentaires et sanitaires. » (p.82)

Ils montrent, ensuite, la politique de l’État sénégalais après 1960 qui nationalise 95 % des terres du en niant les systèmes fonciers coutumiers. Depuis les années 1980, on assiste à un désengagement de l’État et à une redistribution des terres dans le cadre d’une économie libérale. Les services pour la distribution des intrants, la maintenance du matériel agricole et la transformation du riz passent

aux mains d’opérateurs privés. Aujourd’hui, les producteurs sont regroupés en groupements d’intérêt économique (GIE). La réhabilitation des zones irriguées, initiée en 1992 par l’État avec la coopération du Koweit, a été perçue par les populations comme une double opportunité, économique et sociale. Le développement de périmètres irrigués villageois et privés est une stratégie pour sécuriser les ressources foncières en cas de nouveaux réaménagements de la zone. Les auteurs décrivent l’action de l’ONG sénégalaise Enda Pronat et le rôle de Mariam Sow dans une approche agroécologiqueSur ce sujet voir : Les savoirs des femmes de Guédé Chantier pour l’agroécologie,« Numéro°80 : Savoirs féminins, quelle contribution à la sécurité alimentaire ?« , publiée le 1 avril 2021..

Industries extractives

5. Réparer les injustices historiques au Gabon par une approche restaurative et décoloniale appliquée

Si l’Atlas mondial de la justice environnementale montre plus de quatre-vingts conflits socio-environnementaux majeurs liés aux extractions de minerais et de matériaux de construction, ses atteintes ont des effets persistantsExemple de l’extraction de l’uranium à Mounana, au Gabon de 1961 à 1999, ou l’utilisation du chlordécone dans les Antilles françaises et les victimes ou leurs descendants ont du mal à obtenir des réparations, en vertu des principes de prescription ou de non-rétroactivité de la loi« Dans le cas de Mounana, au Gabon, les plaintes déposées par près de 1 618 ouvriers gabonais exposés à la radioactivité demeurent à ce jour sans suite. » (p. 102).

L’étude de Nestor Engone Elloué porte sur ce cas de Mounana, au Gabon. Il montre « la colonialité » des injustices environnementales et les faibles moyens de lutte des populations concernées face aux multinationales (COMUF-AREVA), malgré l’aide des ONG : l’ONG Sherpa et la CriiradRapport de la Criirad : 07/12/2009 – Contamination radiologique relevée en 2009 sur l’ancien site minier uranifère de COMUF-AREVA à Mounana (GABON).

Plus que le constat scientifique, c’est la nature de l’injustice qui est développée : l’échange écologique inégal (non prise en compte des externalités négatives), le déni de reconnaissance du statut de victime et la difficulté à obtenir la restauration des sites. L’ONG Sherpa avait dénoncé, en 2012, le désengagement de l’entreprise vis-à-vis de l’indemnisation des travailleurs africains.

6. Les enjeux de justice environnementale liés au travail de la bauxite en Guinée

Dans ce pays parmi les plus pauvres, « l’or rouge » (la bauxite) est exploité depuis 1952. Plus de 90 % de la production est exportée, sans transformation sur place, vers les États-Unis, le Canada, la France et la Chine, ce qui représente 80 % des exportations. Cette activité extractive pose des questions liées à la déforestation et à la pollution des sources d’eau. Après une description des techniques minières, Mody Diaw analyse la situation des ouvriers de la bauxite : la pénibilité du travail, les accidents fréquents et la surexposition à la pollution, situation aggravée par la généralisation de la sous-traitance. Ils ont peu de moyen de défense et sont soumis au risque de licenciement. L’auteur décrit les revendications des ouvriers des mines de Kamsar, de Sangarédi et des ouvriers de l’usine d’alumine de Fria.

7. Enjeu de justice et effet des industries extractives sur la gouvernance foncière locale au Sénégal

Tamsir Mbaye, Katim Touré, Moussa Dieng, Marième Fall Ba, Modou Mbaye, Dioumacor Fall, Dié-Yacine Ka, Mame Sokhna Sarr, Mor Maty Ndoye, Mamoune Gome témoignent la l’importance du foncier dans les activité maraîchères, notamment dans la zone des Niayes, qui assure l’approvisionnement de la capitale Dakar en produits maraîchersSur ce thème voir le film Le Festin / Tong-Tong, réalisé pour Zin TV La Via Campesina par Anne-Sophie Guillaume, Thomas Michel et Papis Coly présenté sur le site du festival Alimenterre.. La zone est soumise à une double pression : l’extension urbaine et le développement du secteur minier (phosphate et zircon). L’étude porte sur l’accaparement des terres par les sociétés minières et les entreprises privées et les conséquences sur les inégalités socio-foncières et environnementalesSur la question de l’eau voir cet article : Avec la Caravane de l’agroécologie au Sénégal : dans la zone des Niayes pour aborder la gestion de l’eau qui montre la mobilisation des acteurs.. Les auteurs décrivent leur démarche ; notamment l’utilisation des images satellitaires et les entretiens d’acteurs.

Ils décrivent les atteintes environnementales dans la commune de Darou Khoudoss et montrent les rapports très inégalitaires entre les exploitants agricoles familiaux et les industriels dans les Niayes au Sénégal.

Reconnaissance des communautés locales

8. Entre conservation et revendications complexes de peuples autochtones en République démocratique du Congo

Vedaste Cituli rappelle rapidement l’origine des aires protégées, qui se sont imposées sans tenir compte des relations que les populations locales entretenaient avec la nature. Il traite de cas du Parc national de Kahuzi-Biega (RDC). Il s’interroge sur la relation entre conservation de la nature et exploitation des ressources naturelles et sur les conséquences sur les peuples autochtones. Il a enquêté auprès des pygmées Batwa (à Kabare et à Kalehe), des ONG qui défendent les droits des Batwa, des Bantous et de leurs autorités coutumières, des responsables de l’Institut congolais pour la conservation de la nature et des gestionnaires du parc.

L’auteur rappelle l’histoire du parc créé par les Belges en 1937 et agrandi en 1975 ce qui a entraîné l’expulsion des pygmées Batwa qui vivaient dans la zone. Le Classement, en 1980, au patrimoine mondial de l’Unesco renforce les restrictions d’accès aux ressources du parc pour les Batwa et les contraint à la sédentarisation, générant une augmentation des conflits inter et intracommunautaires.

La situation des Batwa est comparable au Rwanda et en Ouganda. L’auteur décrit la complexité des relations des Batwa avec leurs voisins Bantous et avec les gestionnaires du parc. L’usufruit est le mode principal d’accès des Batwa à la terre, il n’est pas reconnu, ce qui entraîne un fort sentiment d’injustice et des stratégies de résistance : en 2008, ils ont porté plainte contre le Parc et l’État congolais. Leurs revendications, outre la question de la terre, portent sur l’accès aux ressources, les éléments culturels et cultuels de la forêt et sur la reconnaissance juridique sur leurs terres traditionnelles.

9. Politiques de conservation de la biodiversité en Côte d’Ivoire

Ce pays est depuis les années 1970, un grand producteur de cacao, la déforestation s’est accentuée malgré l’existence d’aires protégées, crées à l’époque coloniale (1956 – région de la Marahoué). À partir de 1968, au nom de la conservation de la nature, les populations locales Gouro ont renoncé à leurs droits coutumiers sur un espace d’environ 101 000 ha, au profit de l’administration forestière.

Kouamé Sylvestre Kouassi et Symphorien Ongolo montrent comment les pressions migratoires, nationales ou sous-régionales, sur les terres du Parc national de la Marahoué ont généré un sentiment d’injustice chez les peuples autochtones Gouro. La pression démographique et les migrations, par le développement de l’agriculture, à l’intérieur même du parc, sont source de conflits. les Gouro considèrent qu’ils ont été expropriés de leurs terres au profit des migrants. On assiste, aussi à la fragilisation de la biodiversité.

10. Justice épistémique et services écosystémiques au Nord-Ghana

Dans ce denier chapitre, William’s Daré et Martine Antona analysent, ce qu’ils nomment, un déficit de reconnaissance des populations locales face aux chercheurs internationaux sur les services écosystémiques. Ils souhaitent montrer les mécanismes de « l’injustice épistémique » des projets de recherche impulsés du nord vers des communautés du sud.

Ils analysent des solutions, plus respectueuses des communautés par une démarche participative qui permet de reconnaître les relations de ces populations avec leur environnement et la richesse des savoirs locaux. Ils développent l’exemple du projet TAI sur deux sous-bassins versants du bassin de la Volta Blanche et décrivent, en détail, la démarche participative.

Cette reconnaissance est essentielle pour orienter au mieux les interventions futures de développement.

Conclusion – Vers un programme de recherche sur la justice environnementale dans les espaces ruraux africains ?

William’s Daré et Alpha Ba présentent les perspectives de recherches à développer.