Les participants de ce colloque, emmenés par Thierry de Montbrial s’inscrivent clairement dans une approche libérale de la réforme de l’Etat. Leur démarche est toutefois particulièrement stimulante et permet de poursuivre une réflexion utile du point de vue de la connaissance historique mais surtout de l’action politique.
En 25 pages, intitulées « réforme, déclin, révolution » Thierry de Montbrial, directeur général de l’Institut Français des relations internationales, ancien président de l’académie des sciences morales et politiques, présente la notion de réforme, reprenant à son compte une définition « religieuse », celle de la Réforme protestante, signifiant en réalité « retour aux sources », « retour aux origines », même s’il était question, du moins pour Luther à Wittenberg, de combattre les abus de l’institution ecclésiale.
A partir de là, on peut se demander en effet, quelles sont les différentes catégories de réformes et quelle en est la finalité :
– réformes conservatrices qui visent à éviter la dégradation, le déclin, et on comprend bien, d’autant que l’auteur ne s’en cache pas, quelle analyse faire des réformes sociales entreprises par le gouvernement Raffarin.
– réformes progressistes considérées comme idéologiques, avec comme référence la Révolution française, issue d’une approche idéologique visant à réformer les hommes et à leur apporter le bonheur.
De ce fait, cela conduit inexorablement à une réflexion sur les acteurs de la Réforme.
– Comment appliquer les décisions ?
– Qui saura donner l’impulsion ?
L’échec de la Réforme, encore faut-il s’entendre sur la forme de cette réforme, conservatrice ou progressiste a des conséquences : pour l’auteur, il s’agit du déclin ou de la dégénérescence.
L’impossibilité de réformer la monarchie, la fiscalité et la société sous Louis XVI est-elle la cause de la Révolution Française ?
– Par Jean-Pierre Poussou.
Spécialiste de l’histoire du XVIIIe siècle, professeur à Paris IV, Jean Pierre Poussou pose le problème de façon très explicite. La chute des Romanov en Russie, tout comme celle des Bourbon, sont venues de l’incapacité à mener des réformes.
Pourquoi, alors que les tentatives de réformes ont été continuelles entre 1774 et 1789, ont-elles toutes échoué ?
Sous la monarchie, les réformes ont été continuelles, en raison même de l’absence de constitution. Toutefois, sous Louis XVI, les idées réformistes ne sont plus le propre du souverain ou de son entourage immédiat, mais celles des philosophes des lumières et de l’opinion dans son ensemble.
La difficulté majeure du règne de Louis XVI est celle de l’incapacité à utiliser ce courant. La réforme de Turgot qui visait à libérer le commerce et la production échoue dans la mesure où il s’opposait à l’intervention en Amérique. Turgot voulait donner à l’Etat les moyens financiers de sa propre réforme. Il est renvoyé en 1776.
Necker, obéit à une logique plus financière, on dirait comptable, qu’économique, mais son opposition aux fermiers généraux et sa volonté de baisser les dépenses de la cour, ses gros emprunts pour financer la guerre d’Amérique furent à l’origine de son renvoi en 1780.
Calonne et Loménie de Brienne rencontrent le même problème, ce qui conduit au rappel de Necker et à la convocation des Etats Généraux.
Toutefois, pendant cette période qui commence en 1774 des réformes administratives, judiciaires, militaires et même politiques, comme l’attribution d’un état-civil aux protestants, ont été conduites.
De ce fait, c’est bien l’incapacité royale à proposer un programme de réformes devant les Etats Généraux qui a entraîné la Révolution. L’absence de volonté royale en matière de politique intérieure a été pour J. P. Poussou déterminante.
Le XIXe siècle : révolutions en France, évolutions en Grande Bretagne, essais de comparaisons,
– par Gabriel de Broglie.
Investi dans de nombreuses charges ministérielles avant 1981, et ayant largement marqué l’évolution de l’audiovisuel depuis, Gabriel de Broglie intervient dans ce colloque comme un historien du XIXe siècle, tirant le bilan de ce qui a été le Grand siècle des réformes.
Son essai de comparaison, entre la France et l’Angleterre semble opposer l’évolution heurtée de l’histoire politique de la France au XIXe à celle de l’Angleterre, plus linéaire.
En France, la réforme s’engouffre dans la révolution, en Angleterre, elle se réalise sans Révolution…
De fait, il est facile d’opposer la succession de drapeaux, de constitutions et de serments en France, entre 1789 et 1900, avec 16 régimes, cinq légitimités différentes, à la relative stabilité de l’Angleterre pendant la même période.
De 1837 à 1901, la Reine Victoria incarne la stabilité politique de l’Angleterre et l’adhésion de son peuple à ses institutions.
Pourtant, la France a connu à la même époque, une stabilité étonnante de son personnel politique et administratif, du premier au second Empire, et jusqu’aux débuts de la troisième République.
La centralisation reste un acquis intangible défendu par l’administration.
La question du mode de scrutin explique sans doute cette différence d’approche avec la France, tout comme la question religieuse et le lien entre catholicisme et conservatisme au XIXe en France.
Le personnel politique, balayé en France par les révolutions, maintenu en Angleterre par le jeu de l’alternance entre les conservateurs et les libéraux, permet de comprendre aussi pourquoi Michelet tentait cette synthèse rappelée par Gabriel de Broglie : « l’Angleterre est un empire, l’Allemagne une race, la France une personne ».
De ce point de vue, la multiplicité des différences entre la France et l’Angleterre pendant le XIXe siècle, est largement éclairante des destins parallèles des deux premiers Etats – Nations d’Europe.
Ceci étant, même si la rapide tentative d’histoire croisée de Gabriel de Broglie est stimulante du point de vue de la réflexion, elle n’est pas forcément novatrice et à cet égard, on peut aussi se demander en quoi elle a pu servir l’objet de ce colloque.
L’impossible réforme de l’Etat dans les années Trente,
– par Sabine Jansen
Maître de conférences au CNAM, vice-présidente du Comité d’histoire parlementaire et politique, Sabine Jansen a soutenu sa thèse à Sciences Po en 2000 sur « Pierre Cot, du radicalisme au progressisme (1895-1977) » sous la direction du professeur Jean-Marie Mayeur.
L’auteur de cette communication traite paradoxalement d’un non-événement, puisque, dès son introduction elle explique que cette réforme de l’Etat n’a pas eu lieu. Dès les débuts de la troisième République en effet, l’impact du Boulangisme et de ses épigones qui réclamaient « la révision », donne à cette « réforme », un caractère anti-républicain.
En 1920, aux lendemains de la Grande Guerre, dans la mesure où l’Etat a vu ses compétences s’étendre, la réforme de l’Etat est évoquée à la fois par Léon Blum ou Clemenceau. Alexandre Millerand, partisan résolu de cette réforme et hostile aux excès du parlementarisme est d’ailleurs obligé de démissionner en 1924.
A partir de 1934, la question de la Réforme de l’Etat se pose à nouveau. Dans des cercles très variés, parfois proches des Ligues, comme chez les jeunes Turcs du Parti Radical, ou encore chez les néo-socialistes, la réforme de l’Etat est posée.
Parmi les thèmes de cette réforme, on évoque le renforcement du pouvoir exécutif, avec la remise en vigueur du droit de dissolution et le référendum ou la représentation des acteurs du monde socio-économique dans les instances de l’Etat.
Ces thèmes se retrouvent en partie dans les projets des constituants de la IVe et surtout de la Ve République. Le moment propice pendant lequel la réforme de l’Etat aurait pu être mis en avant a été cette période qui a suivi la crise de Février 1934. Or, d’après Sabine Jansen, les parlementaires avaient toutes les raisons de s’y opposer, d’autant plus que des périls à court terme menaçaient la République.
Il n’empêche que ces idées des années trente ont été reprises en partie, et dans une certaine continuité, par les « technocrates de la Révolution Nationale », le Conseil National de la Résistance, les planificateurs de la IVe République, et les constituants de la Ve République.
Le Mythe de la Révolution dans la vie politique française
– par Odile Rudelle.
Odile Rudelle, directeur de recherche au centre d’études de la vie politique Française, (CEVIPOF), commence de façon très accrocheuse sa communication, évoquant le choc du 21 avril 2002.
Le résumé rapide de la situation ouverte par l’émergence d’une France protestataire additionnant les partis « anti-système » n’a rien d’original. L’auteur de cette communication évoque ensuite « la fin de la récréation » et le retour à une situation « normale », avec les législatives qui suivent l’élection présidentielle.
Cette situation illustre d’après l’auteur le « constitutionalisme républicain » qui amène, depuis 1945, de référendum en référendum, à passer d’un régime parlementaire à un régime qu’elle ne caractérise pas, mais que l’on peut qualifier de semi-présidentiel.
De fait, le quinquennat semble se rapprocher du régime présidentiel tout court.
Malgré cette accroche alléchante, qui aurait pu être stimulante sur le thème de la réforme face à des comportements électoraux erratiques ou surprenants, comme ce fameux 21 avril 2002, l’auteur engage ses auditeurs dans une réflexion sur l’analyse de François Furet : « la Révolution Française est finie depuis 1880 », et sur la place que ce dernier consacre au mythe de cette Révolution dans la vie politique Française.
Si le gaullisme inscrit dans l’évolution politique une nouvelle légitimité, la désaffiliation, concept original, la menace. C’est sans doute cette partie de la communication d’Odile Rudelle qui est la plus stimulante.
La désaffiliation, c’est-à-dire la volatilité des comportements électoraux, étant sans doute la nouvelle donnée de la période.
Les aspirations révolutionnaires s’étant, d’après l’auteur perdues dans les méandres de la double impasse du Le Penisme et du gauchisme, la porte est sans doute ouverte à une évolution constitutionnelle, respectueuse des principes de liberté et de fraternité, (l’Egalité semble moins évidente), qui permettrait d’échapper à ce couple Réforme-Révolution, qui est une cause des difficultés du pays.
Par qui arrive le changement en France,
– de Henri Mendras.
Henri Mendras s’est imposé, avec La fin des paysans et Les sociétés paysannes, comme le spécialiste des paysanneries et des sociétés rurales. Ses études comparatives l’ont conduit à élargir son champ d’analyse à la société française puis aux sociétés européennes.
Dans cette communication, il s’interroge sur les acteurs du changement en France, apportant un éclairage original à ce colloque. Il reprend à son compte cette idée de Tocqueville, affirmant que « la révolution n’est qu’un procédé violent et rapide à l’aide duquel on a adapté l’état politique à l’état social, les fais aux idées et les lois aux mœurs. »
Les changements en France se seraient produits en quatre étapes :
– La disparition entre 1950 et 1960 des sociétés paysannes, un mouvement parti de la base, créant ses propres outils de changement. ( les grandes coopératives, le mutualisme agricole, le Crédit agricole, etc…)
– Le passage au travail massif des femmes en 1960 et le maintien des familles avec deux enfants, qui assure encore aujourd’hui à la France une présence en Europe encore importante, si on la compare aux situations en Allemagne et en Italie.
– La révolution de la famille avec la remise en cause du mariage héritage des soixante-huitards.
– La création des métropoles régionales comme acteurs du changement, dans le domaine économique.
Ces changement silencieux seraient en fait révolutionnaires, car induisant des transformations profondes, voulues par les Français, du modèle d’organisation sociale, de la vie quotidienne des gens, et, seulement dans un second temps au niveau politique et institutionnel.