les éditions Alphil sont nées en 1996 et sont basées à Neuchâtel. Elles possèdent une filiale universitaire, les Editions Alphil – Presses universitaires suisses. Elles éditent des ouvrages très variés: histoire de cités suisses ( Neuchätel ,Genève), histoires d’entreprises, en particulier d’entreprises horlogères ou de Suchard, d’associations syndicales, de récits ou d’ouvrages historiques sur la seconde guerre mondiale,ou un livre sur l’art chevaleresque du combat.

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L’attitude des autorités et des milieux économiques suisses pendant la seconde guerre mondiale n’a pas été exemplaire : participation de certains industriels à l’effort de guerre allemand, fermeture des frontières aux Juifs au moment des rafles de 1942, refoulement d’ une partie des migrants, engagement de certains Suisses aux côtés des nazis. Longtemps passé sous silence, ce comportement a fait l’objet de travaux, dans les années 1990-2000, d’une Commission d’enquête mise en place par le gouvernement fédéral, ainsi que d’études menées par des historiens.

Les auteurs, Eric Monnier , historien, et Brigitte Exchaquet – Monnier, infirmière et fille d un médecin et de son épouse qui accueillirent et soignèrent les déportées et leur préfacier ne passent pas ces faits sous silence. Ils abordent dans leur ouvrage un autre aspect de l’attitude des Suisses : l’accueil de 450 à 500 déportées ( Résistantes déportées à Ravensbrück pour la plupart, mais il y avait également quelques déportées juives) dans des « homes « de convalescence suisses en 1945-1947. L’ouvrage fondé sur un très important travail de recherche dans les archives et sur le recueil de témoignages oraux permet de mieux connaître les modalités de l’accueil et les difficultés des déportées dans l’immédiat après-guerre.

La mise en place

86000 personnes furent déportées de France « par mesure de répression» et 75000 parce qu’elles étaient juives. Parmi les déportés par mesure de répression, on compte 8800 femmes dont 6600 sont revenues. La Suisse en accueillit environ 500 soit 7% des revenantes. Dès 1944 , s’était constituée une Amicale des prisonnières de la Résistance devenue ensuite l’ ADIR ( Association nationale des anciennes déportées et internées de la Résistance )en juillet 1945. L’ Adir joua un rôle essentiel dans la prise en charge des déportées. Au sein de l’ Association travaillait une assistante sociale suisse, Florence Morax; sa soeur, Germaine Suter-Morax joua en Suisse un rôle majeur dans l’organisation des séjours. Geneviève de Gaulle joua elle aussi un rôle essentiel. Elle fut l’une des organisatrices des séjours, et ses nombreuses conférences permirent de financer certains aspects du séjour des déportées. En Suisse, s’étaient également constituées des associations d’aide aux prisonnières et déportées. En cette période d’après guerre et de pénurie, le financement n’est pas une affaire simple. Les associations privées suisses fournirent environ la moitié du financement. L’autre moitié fut assurée par « le Don suisse pour les victimes de la guerre» ( 1944-1948) créé à l’initiative du Conseil fédéral qui le finança en partie et qui regroupait plusieurs associations. L’objectif n’était pas seulement humanitaire; il s’agissait aussi de sortir la Suisse de son isolement diplomatique, ou pour le dire en termes moins diplomatiques, de faire «oublier» une certaine passivité ou complaisance avec l’ Allemagne nazie. La contribution du Don suisse au séjour des déportées, bien qu’importante, ne représenta que 0,08% du budget de cet organisme.

Accueil

Neuf maisons furent ainsi ouvertes en Suisse romande. L’une d’entre elles était un sanatorium. Les auteurs décrivent minutieusement l’ organisation de chacune de ces maisons.Ils ont pu dans certains cas établir la liste des déportées accueillies.Elles reçoivent un accueil bienveillant de la part des «responsables « des maisons d’accueil; dans un état de santé précaire, elles reçoivent des soins médicaux, sont accueillies par les habitants des villages. Le fait de ne pas être isolées, de pouvoir organiser des activités collectives joua un rôle non négligeable. C’est aussi l’époque où certaines déportées comme Charlotte Delbo, Anise Postel-Vinay ou Germaine Tillion commencent à écrire leurs premiers témoignages et analyses du système concentrationnaire. Les déportées ne restent pas en marge des procès intentées aux gardiennes des camps. En 1947, est jugée et condamnée à mort à Hambourg une citoyenne suisse devenue chef de block.Le conseil fédéral suisse ayant demandé aux autorités britanniques de reconsidérer le cas, plusieurs déportées écrivent qu’il faut laisser la justice s’accomplir. Cette intervention ne plut guère aux autorités fédérales qui exigèrent l’arrêt des ces interventions. Au terme de leur séjour de quelques mois, les déportées témoignent de leur reconnaissance à ceux qui les ont entourées et soignées.Il existe cependant une voix discordante, celle de Simone Veil qui garde un mauvais souvenir de l’encadrement trop rigide et condescendant. Au delà de la personnalité de Simone Veil, les auteurs soulignent que les déportées n’étaient que très peu nombreuses, si on les compare au nombre des prisonniers. De plus comme on le sait, la déportation des Juifs était mal comprise et on mettait davantage en valeur les déportés politiques. Il faut souligner que la réaction négative de Simone Veil semble avoir été minoritaire. Dans l’ensemble, les déportées témoignent de leur reconnaissance à ceux qui les ont accueillies

Témoignages

Une partie de l’ouvrage est consacrée au témoignage de douze déportées résistantes ou juives. La plupart d’entre elles ont été interviewées à la fin des années 2000; dans certains cas lorsque les déportées étaient décédées, il s’agit du témoignage de leurs enfants. Ces témoignages sont poignants et forcent le respect. L’historien peut en tirer plusieurs enseignements. Comme l’ont montré les historiens, les Résistants n’étaient pas des marginaux ; très minoritaires, ils appartenaient à des milieux sociaux très variés (ouvriers, secrétaires , étudiants, commerçants, médecins, infirmières),venaient de la France entière, et étaient très intégrés dans la société environnante. Le second enseignement c’est que l’entrée en Résistance a été très précoce et lié au refus radical de la politique de capitulation de Pétain. Les formes de la Résistance ont été variées : convoyage d’aviateurs anglais, hébergement de Juifs, renseignements militaires. Ces témoignages permettent de faire une découverte, peu soulignée jusqu’à présent : la Résistance se déroulait souvent dans un cadre familial. Les parents, les enfants, les fiancés faisaient souvent partie du même réseau ou de réseaux différents. Cela rendait encore plus tragique les arrestations ( souvent dues à des traîtres ou à des agents infiltrés), car les membres d’‘une même famille pouvaient être fusillés ou déportés, parfois ensemble, comme ce fut le cas pour Germaine Tillion et sa mère, Emilie , qui fut gazée en 1945, et dont beaucoup de témoins soulignent la personnalité admirable. Certaines familles survécurent à la déportation, d’autres non. Les déportées décrivent le caractère épouvantable du voyage, et surtout l’inhumanité absolue du nazisme : inhumanité du système ( faim , froid , appels interminables, manque de sommeil, règlements absurdes)redoublé si l’on peut dire par la brutalité sans limite des gardiennes. La volonté de déshumanisation est ce qui a le plus marqué les déportées ( « Elles vivront dans la boue, elles deviendront de la boue « avait déclaré Himmler). Seule une solidarité très forte permettait de survivre. Très souvent affectées dans des usines d’armement, elles parvinrent à saboter la production. La « fin des camps» fut aussi épouvantable : certaines déportées ont été libérées par la Croix -Rouge, Himmler cherchant à faire des déportées une « monnaie d’échange» ; d’autres ont connu les marches de la mort, l’entassement dans le camp de Bergen-Belsen où régnait un chaos indescriptible ( faim , épidémies).
Au total, 132000 femmes et enfants furent détenus à Ravensbrück,1000 adolescents, et 20000 hommes, en provenance de plus de 40 pays.Plusieurs dizaines de milliers y périrent, dont 5 à 6000 dans les chambres à gaz installées fin 1944.La Croix -Rouge suédoise et danoise parvint à faire libérer 7500 personnes , les autres étant victimes des marches de la mort.Le 30 avril 1945, le camp fut libéré par l’ Armée Rouge dans lequel il ne restait que 2000 malades. 70 à 80000 déportés y sont morts.
Dès la Libération, les déportées ont souhaité témoigner par le biais de récits faits à ceux qui les avaient accueillis, de conférences ou d’écrits.

La perception des déportées par la population et la presse suisses.

La situation et les témoignages des déportées ont provoqué la sympathie d’une importante partie de la population suisse. Les conférences de Geneviève de Gaulle ont été attentivement suivies et les ouvriers de l’horlogerie par exemple ont soutenu l’action de la conférencière. Les journaux locaux,les autorité religieuses catholiques ou protestantes ont recueilli les témoignages des déportées. Certains habitants des villages ont accueilli les déportées. Sans vouloir entrer dans les détails complexes de la culture suisse, il faut souligner que les personnes les plus réceptives au sort des déportées ont été soit les personnes liées au milieu religieux catholique ou protestant, soit les personnes de gauche, laïques ou communistes ou les femmes journalistes. De manière très fine, les auteurs essaient de saisir ce que les contemporains ont pu éprouver et comprendre : soulagement d’avoir échappé à la guerre, compassion, pitié. D’autres, de manière plus approfondie, ont éprouvé un sentiment de dette à l’égard de celles qui avaient lutté pour la liberté, et ont compris que le témoignage exceptionnel des déportées devait être écouté et compris et qu’elles devaient trouver des forces pour surmonter ces épreuves.

Compléments

  • Un article d’Anise Postel-Vinay sur les expériences pseudo médicales pratiquées à Ravensbrück et sur la manière dont les déportées ont alerté le monde extérieurUn exemple de résistance dans le camp de Ravensbrück : le cas des victimes polonaises d’expériences pseudo-médicales, 1942-1945 – Cairn.info
  • Une lettre de Germaine Tillion écrite au tribunal allemand lors de son emprisonnement à Fresnes.

http://www.deslettres.fr/lettre-de-germaine-tillion-au-tribunal-allemand-je-demande-donc-si-je-suis-accusee-ou-non-si-je-suis-accusee-comment-puis-je-defendre-si-je-ne-sais-pas-avec-details-de-quoi-je-suis-acc/

  • Le site consacré au camp de Ravensbrück : ravensbrueck.de

un article sur l’ Adir dont les archives sont conservées à la Bdic

Le site des éditions Alphil

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