Sébastien Nadot est agrégé d’EPS et diplômé de EHESS , docteur en histoire médiévale ceci explique sûrement en partie qu’il ait choisit pour sujet de la thèse qu’il a soutenue en 2009 : « joutes, emprises et pas d’armes en Bourgogne, Castille et France (1428-1470). Sujet auquel il a consacré, par ailleurs, divers articles ainsi que d’autres consacrés au sport à diverses époques (1). « Rompez les lances » semble, à la lecture des divers sites consultés, être son premier livre et pour le moins, c’est un début prometteur et enchanteur. « Rompez les lances » est en effet de ces livres qui termine trop vite car clair, agréable, vivant, « ludique » et enrichissant, suscitant intérêt et curiosité jusqu’à la dernière ligne. En quelques 200 pages, Sébastien Nadot nous livre les secrets et les multiples facettes des tournois et des joutes au Moyen – Âge.
L’auteur a choisi une démarche chronologique, ce découpage n’est évidemment ni fortuit, ni factice : chaque période correspond à une étape, une évolution de cette pratique. Nous assistons donc à l’émergence des tournois et des joutes aux Xème et XIème siècles, à leur essor et affirmation comme véritable phénomène de société et à leur agonie, plus qu’à leur mort d’ailleurs, puisque comme l’auteur le montre, ces jeux, ces spectacles cessent au XVIème siècle mais leur esprit et leur héritage subsistent. On le remarque dans des sports contemporains et ils ont toujours la part belle dans notre imaginaire comme tend à le prouver le succès de certains films (Star Wars et Robin the Wood), de certains jeux, où le Moyen –Age, avec ses joutes et ses tournois sont mis en scène.
Risque d’excommunication
D’abord entraînement militaire et sportif, au fil du temps afin d’acquérir ces lettres de noblesse dans une société de plus en plus policée et sur laquelle veille une Église hostile à ces jeux guerriers (Y mourir, c’est courir le risque d’excommunication et même d’être privé de sépulture chrétienne ! La belle affaire pour nobles, chevaliers et rois qui en sont amateurs…), les tournois et les joutes se structurent, se réglementent, se dotent de « manuel du savoir vivre » ou de « code de l’honneur » (Treizième siècle), d’un idéal aussi ; ils deviennent courtois, courtisans, de plus en plus spectacles. D’aucuns regretteront qu’ils perdent leur essence guerrière; ce d’autant plus que les armes et l’art de la guerre évoluant, ces combats de chevaliers à la lance tombent en désuétude.
Il est fort intéressant de parcourir cet ouvrage pour de multiples raisons. D’abord, il nous permet de saisir l’évolution de ce haut fait de la société médiévale européenne. En effet l’attrait, l’engouement que suscitent joutes et tournois dépassent largement les sphères de la société nobiliaire et princière auxquelles on pense d’abord, il est vif aussi chez les bourgeois. Les villes ne sont pas en reste dans l’organisation de tournois, soucieuses qu’elles ont d’en tirer quelques bénéfices. En fait, seuls les paysans semblent ne pas être partie prenante dans l’organisation, le déroulement ou les retombées des joutes. Sur ces divers aspects de ces jeux, leurs multiples facettes (les préparatifs qu’ils occasionnent, leurs codes et règlements, leur déroulement, les festivités, les participants, les spectateurs… ) le livre recèle de multiples informations .
Mise en scène des tournois
Jeux de guerre, jeux de pouvoir, jeux de séduction (séduction de sa dame, séduction de son hôte, séduction du public, …) au fil du temps et des pages, les liens avec les pratiques sportives contemporaines se dessinent, se précisent. Les jouteurs réputés apparaissent comme les ancêtres des célèbres sportifs actuels, et Sébastien Nadot de faire remonter, non pas comme c’est la coutume, les origines des pratiques sportives à la société industrielle, mais à un passé plus lointain : le temps des chevaliers.
Ensuite, l’auteur a utilisé pour ses travaux de nombreux ouvrages de littérature médiévale et moderne, de divers horizons ( France, Angleterre, Espagne, Hainaut…), et il illustre ses propos par des évocations de héros de la littérature du Moyen-Age (Perceval, Arthur…) et des lices. Il raconte, met en scène de nombreux tournois. C’est très vivant, et cela met en relief d’une part, l’interaction qu’il pouvait y avoir entre les chevaliers des tournois et ceux des livres, rêvés, idéalisés, singés ; et d’autre part, il rend parfaitement sensible l’évolution de la perception du chevalier, du chevalier jouteur dans la littérature. Notons aussi d’ailleurs le souci d’illustrer au sens littéral du terme, avec la présence de quelques reproductions d’enluminures (succinctement commentées cela va de soi) et de quelques cartes en noir et blanc, technique que l’on peut regretter pour les enluminures. Contribue aussi à son intérê, le fait que M. Nadot évoque ça et là les écueils auxquels il s’est heurté lors ses recherches, les sources inexistantes ou trop partielles ( Ne le sont-elles pas toujours pour satisfaire les historiens ?), la fiabilité relative des récits des troubadours et trouvères et autres biographes à la solde de celui dont ils dressent le portait.
En outre et par ailleurs, ce livre peut être, une source où puiser des récits pour illustrer un cours; on peut aussi puiser, dans l’index, des informations sur les héros réels ou imaginaires cités, ou des idées lectures dans la bibliographie riche, structurée, claire, utilisable (!) Remarquable aussi, la présence d’un glossaire qui explicite le vocabulaire spécifique mais aussi plus basique des sociétés médiévales et modernes ( adouber, baron, récréantise…) donc il est accessible aux curieux de tous horizons et pas réservé à une caste d’historiens, de spécialistes. Il a sa place parmi la collection de cet éditeur !
CR par Yveline Candas