Journaliste, ancien élève de l’École normale supérieure et agrégé de lettres classiques, Thomas Ferenczi a notamment dirigé le quotidien d’information « Le Monde ». L’ancien correspondant à Moscou et à Bruxelles vient de signer un ouvrage présentant Jean-Jacques Rousseau dans son infinie complexité. En effet, les éditions Perrin ont récemment lancé une nouvelle collection « Autoportraits », dirigée par Laurent Greilsamer et née du désir d’offrir au public le miroir fidèle de ce que furent et pensèrent les plus grands génies de notre histoire. Pour composer cet autoportrait, Thomas Ferenczi a puisé dans les écrits personnels de Rousseau, c’est-à-dire dans ceux où il se raconte.

Ce Rousseau de Thomas Ferenczi est bien davantage qu’un habile florilège sur l’auteur du Contrat social. Cette publication permet de revenir sur la véritable personnalité de Jean-Jacques Rousseau, lequel a inspiré bien du monde, à commencer par certains des plus éminents Révolutionnaires de 1789 (v. à cet égard la très belle thèse du professeur Julien Boudon, Les Jacobins. Une traduction des principes de Jean-Jacques Rousseau).

l’inspirateur

L’auteur rappelle que Robespierre était un grand lecteur du Contrat social. Cette proximité a choqué les défenseurs des libertés publiques. Parti de rien, le Genevois est d’abord devenu compositeur d’opéras avant de se consacrer à la philosophie. Puis, il a écrit trois chefs-d’œuvre, dont le Contrat social, l’Émile et La Nouvelle Héloïse, avant de s’embourber dans un délire paranoïaque de persécution.

Thomas Ferenczci dresse, tout d’abord, le portrait de Rousseau, « singulier personnage (…) aussi touchant qu’exaspérant, aussi attachant qu’irritant ». Tout un chacun ne pouvant demeurer indifférent, l’auteur des Rêveries du promeneur solitaire a suscité « les sympathies les plus vives et les haines les plus féroces. Il a provoqué des dévouements sans bornes et des rejets absolus. Le lecteur d’aujourd’hui, s’il s’intéresse à l’homme au-delà de l’œuvre, est également partagé ». Si on peut tout à fait être ébloui par la hauteur de vue de Rousseau, en lisant ses textes les plus intimes, on découvre « ses humeurs changeantes, sa susceptibilité maladive, son ingratitude l’égard de ceux qui restent ses amis ».

Le célèbre penseur s’indignait aisément. Il se mettait en colère contre tous ceux qui acceptaient l’injustice et l’oppression. Rousseau était parfois désespéré, souvent il se montrait orgueilleux. Rousseau était homme de rupture. Il se disait parfois le seul homme sur la terre à avoir conservé l’empreinte originelle de l’état de nature. Sa dernière œuvre,

l’Indigné

Les rêveries du promeneur solitaire, commence ainsi : « Me voici donc seul sur la terre, n’ayant plus de frère, de prochain, d’ami, de société que moi-même ». Ailleurs, dans une autre œuvre (Emile), il indiquait que l’homme était « de tous les animaux celui qui peut le moins vivre en troupeau ». Dans son livre majeur Le contrat social, il rappelait néanmoins que « l’homme est né libre et (que) partout il est dans les fers ».

Adolescent, à 16 ans, il devint apprenti, mais il finit cependant par fuir son maître graveur à Genève, qui le traitait en esclave. Il rapportait dans Les confessions qu’il y « apprenait le mensonge, la fainéantise, le vol ». Rousseau choisit donc de se retirer du monde. En effet, il supportait mal les attaques violentes dont il était régulièrement l’objet. Il redoutait que les autres hommes lui prennent sa liberté. Il devint le plus grand porte-parole du courant des Lumières. Souvent, il a été perçu comme le porte-voix des pauvres. D’ailleurs, il se montrait extrêmement fier de ses origines sociales modestes. La solution pour vivre en société, c’était d’après lui la formule de « l’association », en contrepartie de laquelle tout un chacun donne au corps politique un pouvoir absolu.

Pour Thomas Ferenczi, Rousseau ne propose pas un programme politique, loin s’en faut, mais il bâtit une « république allégorique qui s’inscrit dans l’histoire ». L’ouvrage englobe, comme il a été indiqué plus haut, une anthologie dont sont extraites des œuvres et la correspondance de Jean-Jacques Rousseau. L’intérêt du livre, c’est que le lecteur a désormais les éléments indispensables pour se forger sa propre opinion sur la pensée de Rousseau. Des textes parfois méconnus, tout à fait passionnants et très utiles à la compréhension du génie genevois sont ici rassemblés. Au final, le lecteur découvre un Rousseau différent des habituelles présentations qui en sont faites. C’est l’un des attraits de cette collection, laquelle ne livre pas « un prêt-à-penser ». Est ainsi évité le danger de « la pensée unique tant décriée ».

Jean-Paul Fourmont