Les élections au résultat annoncé en Russie ont permis à Vladimir Poutine d’inscrire son nom dans la durée de l’histoire de la Russie. Sans doute plus Président en 2008, peut-être Premier ministre aux pouvoirs renforcés à la place et pourquoi pas Père de la Nation. Son avenir et celui de son clan semblent assurés. Pour autant, malgré les succès politiques non négligeables obtenus, la stabilisation de l’économie de rente pour quelques décennies grâce à la hausse des prix de l’énergie, la Tchétchénie reste toujours comme une épine dans le pied de la Russie.
Ce territoire a tout connu sous Vladimir Poutine : guerre à outrance, « soft war » et « normalisation », selon le vocabulaire officiel russe. Pendant huit ans, cette petite république indépendantiste à majorité musulmane du Caucase du Nord a été au cœur du débat politique russe. Et pour cause, Vladimir Poutine, qui lui doit son arrivée au sommet de l’Etat, et la Tchétchénie sont devenus indissociables.
L’ouvrage de Laurent Vinatier permet d’identifier les trois phases de la guerre. La première commence dès la proclamation de l’indépendance en décembre 1991. Le pouvoir Russe est fragile et se retrouve embarqué malgré lui, du fait de l’armée sans doute, dans une confrontation dont il sort perdant en 1996. Les accords de Khassaviourt de cette année mettent fin à la première guerre de Tchétchénie (1994-1996) et entérinent l’humiliation de l’armée russe. De ce fait, il semblerait que certains cercles du pouvoir russe qui entendaient stabiliser leur main mise sur la Russie au milieu des années 1990, ont voulu se débarrasser de Boris Eltsine. Le jeune Vladimir Poutine, ancien chef du FSB (ex-KGB), se pose comme le rempart contre la dislocation de la Russie.
Une guerre en trois phases
Dans le second chapitre l’auteur revient sur les conditions de cette guerre sous Poutine, entre fuite en avant terroriste et l’animation des « marionnettes du Kremlin. Toutefois, Poutine va utiliser l’épouvantail Tchétchène pour se faire réélire triomphalement en 2004.
La seconde guerre de Tchétchénie, lancée en réponse aux attentats de la fin août 1999, est l’une des facettes de la « verticale du pouvoir » que Poutine entend mettre en place sur tout le territoire russe. Dans la petite république caucasienne, elle est synonyme de terreur et de destruction. Jusqu’en 2001, l’armée mène une guerre à outrance. Vladimir Poutine et la société russe soutiennent coûte que coûte les militaires dans cette nouvelle expédition, jusqu’à « aller buter les Tchétchènes dans les chiottes », comme le déclare le maître du Kremlin.
A partir de 2001, une fois Grozny tombée, le président russe change de stratégie. Les attentats du 11-Septembre lui fournissent le moyen d’assimiler la répression de la rébellion tchétchène à la guerre contre le terrorisme global. A Moscou, on ne parle plus de « boïevikis » pour désigner les combattants tchétchènes mais de « wahhabites » proches de Ben Laden .
La Russie parvient à faire oublier la Tchétchénie de toutes les conférences internationales. La Russie, comme les Etats-Unis en d’autres lieux et d’autres moments mise sur « tchéchénisation » du conflit en soutenant pour cela l’élection de Akhmad Kadyrov, ancien nationaliste et mufti à la tête de la République :. Mais les différentes fractions tchétchènes – milices pro-russes de Ramzan Kadyrov, fils du président, islamistes radicaux de Bassaev et indépendantistes de Maskhadov, président déchu de Tchétchénie – continuent de s’entre-déchirer. Kadyrov assassiné en 2004, son fils lui succède avec la bénédiction de Moscou. La Russie reprend le contrôle de l’énergie de la République tchétchène par l’intermédiaire de Rosneftegaz.
Reprise en main
Dans cette longue guerre, les chefs historiques tchétchènes ont été abattus depuis 1995 : Doudaïev, Maskhadov, Bassaev, Khattab, Abou Walid, Sadoulaev, Iandarbiev, Guelaïev ne sont plus là pour incarner la flamme de la résistance et mobiliser les troupes. Toutefois rien n’interdit de penser à une radicalisation islamiste. Par ailleurs, Laurent Vinatier, comme il l’explique dans la troisième partie revient sur la vigueur des nationalismes russes qui rendent difficile toute tentative sincère de négocier un quelconque compromis, d’autant plus que les risques de contagion sur les républiques russes voisines sont réels.
Enfin, aussi compromis soit-il avec la Russie, Ramzan Kadyrov, manifeste quelques velléités d’autonomie que le Kremlin n’est pas en position de satisfaire. Pourtant, la seule solution à la fois pour la Tchétchénie et pour la Russie, est bien une recomposition politique, ce qui n’est pas, eu égard aux évolutions actuelles de la Russie pour demain.
Bruno Modica © Clionautes