C’est une bande dessinée remarquable qui est présentée ici. Elle raconte le combat d’un couple, Alain et Dafroza Gauthier, pour pourchasser les Rwandais soupçonnés de génocide et accueillis en France.

Entre 200 et 400 génocidaires vivraient en France et leur profil est très varié : agents de sécurité, médecins et même prêtres. En cent jours, à l’été 1994, un million de personnes meurent au Rwanda, victimes d’un génocide. Comme le dit Gaël Faye en introduction, cet événement hors-norme ne doit pas faire oublier que derrière les chiffres démesurés d’un génocide, il y a des vies singulières.

Faustin K, un génocidaire en fuite

Thomas Zirbi a accompagné, à l’automne 2021 et pendant dix jours, Alain et Dafroza Gauthier sur les routes du Rwanda. Sa bande dessinée retrace de façon plus large leur combat au quotidien. Parmi les cas évoqués, il y a celui de Faustin K, un homme soupçonné d’avoir participé au génocide des Tutsi et qui est réfugié en France. Lorsqu’ils sont au Rwanda, Alain et Dafroza rencontrent un des rares témoins qui a survécu à un massacre imputé à Faustin K.  Il était enfant au moment des faits et il souligne qu’une des difficultés aujourd’hui d’établir ce qui s’est passé, c’est le manque de preuves matérielles.

Alphonse : quelle responsabilité ?

Alain et Dafroza rencontrent ensuite Alphonse qui était policier municipal au moment du génocide. C’est la première fois qu’il revient sur les lieux, depuis vingt-sept ans donc. Son témoignage pose la question de la responsabilité et du fait de suivre les ordres donnés. Au début, il a été chargé de garder les Tutsi qui étaient dans des cachots et de noter chaque nom dans un cahier. Puis tout s’est emballé. Il insiste pour dire qu’il a tout vu mais n’a pas tué. Il est passé ensuite par les gacaca, ces tribunaux de réparation mis en place après le génocide.

Retour sur la colonisation 

Après ces deux témoignages forts, les auteurs prennent le temps de rappeler les faits. Ils donnent la définition de génocide et montrent qu’en 1994, le pouvoir hutu décide d’éliminer les Tutsi en raison de leur « race ». Ils insistent bien sur le fait qu’il s’agit d’une invention européenne qui date de la colonisation. Elle permettait aux Belges de diviser pour régner. Quand l’élite tutsi commença à montrer des volontés d’indépendance, les Belges, dans les années 50, changèrent d’alliance et soutinrent les Hutus. Ils les incitèrent à se rebeller contre le groupe rival, ce qui aboutit à des massacres dès 1959. Beaucoup de Tutsi fuirent le pays. Précisons également que le livre se termine par une chronologie à laquelle on peut se référer.

Les années 90

Une guérilla dirigée par Paul Kagamé déclare la guerre au Rwanda et demande le retour des Tutsi. La population rwandaise est conditionnée, notamment par la radio des 1 000 collines, à voir les Tutsi comme des nuisibles. Pourtant, en 1993, un accord de paix est signé et doit aboutir à un partage du pouvoir. C’en est trop pour certains extrémistes hutus qui auraient provoqué la chute de l’avion du président rwandais et sa mort. Ils prennent le pouvoir et enclenchent le génocide.

La vie de Dafroza avant

Dafroza retrace ensuite ce qui s’est passé dans sa vie depuis sa naissance en 1954. Sa mère lui répétait toujours de se faire discrète. Elle quitte ensuite le Rwanda. En 1977, elle se marie avec Alain Gauthier et, comme elle le dit elle-même, ils ont vécu une existence normale pendant treize ans. Ils se rendaient régulièrement au Rwanda. Elle y est encore en février 1994 pour voir sa mère mais l’atmosphère y est déjà lourde.

Le procès de Laurent Bucyibaruta

Laurent Bucyibaruta était préfet de Gikongoro. Dès 1996, il a été sur la liste des criminels les plus recherchés. Son procès est prévu pour mai 2022. Le livre raconte de quoi il est accusé. Il a organisé un massacre dans une église. Il y a très peu de survivants car il y eut 40 000 tués en trois jours. Dans la région de Gikongoro, trois quarts des Tutsi qui y habitaient ont été tués. Lorsque le procès commence, c’est un vieux monsieur de 78 ans dans un fauteuil. Après 42 jours de procès, le verdict tombe. Il est reconnu coupable pour une partie des chefs d’accusation et condamné à vingt ans de prison. Il sera finalement remis en liberté pour raisons de santé peu après.

Retour au Rwanda

En 1996, Alain et Dafroza retournent au Rwanda pour la première fois après le génocide. Ils font le douloureux constat que ceux qui les accueillaient avant ne sont plus là car ils ont été massacrés. Les collines de Bisesero furent le théâtre d’une farouche résistance de la part des Tutsi. Eric Nzabihimana raconte comment la résistance s’est organisée pour repousser les tueurs. Seulement, après un premier succès, les collines subirent une attaque de grande ampleur au bilan terrifiant.

Un couple engagé

On mesure, au fur et à mesure de la lecture de la bande dessinée, combien la vie d’Alain et Dafroza est marquée par leur quête. Ils sont véritablement dévorés par ce combat qui les obsède tous les jours. Ils avouent avoir un rapport compliqué à la religion et se définissent comme des « croyants indépendants ». Comme il est dit à un moment, « le génocide s’est accaparé » la vie des Gauthier. Depuis 2001 et la création du CPCR, le Collectif des parties civiles pour le Rwanda, ils ont déposé pas moins de trente plaintes mais la plupart n’ont pas encore abouti à un procès. La justice se révèle désespérément lente.

Le rôle de la France

La bande dessinée revient ensuite sur les responsabilités de la France en 1994. La France veut maintenir à tout prix son influence en Afrique et c’est pour cela qu’elle soutient le président rwandais alors que des massacres ont déjà commencé. Le rapport Duclert établit un «  ensemble de responsabilités lourdes et accablantes »  de la France.

Aspect graphique

Il faut dire un mot des choix graphiques et de composition de la bande dessinée. Une seule image parfois correspond à une page pour lui donner plus de poids. Les aplats de couleurs sont aussi très expressifs. Il y a parfois des reproductions de documents réels comme des cartes d’identité. Il n’y a jamais de voyeurisme dans la façon de parler du génocide.

Cet album est un véritable choc qui parle du génocide et de ses lendemains de façon magistrale. Cet album pourra être utilisé lors du programme de Terminale, que ce soit en tronc commun dans le thème 4 ou en spécialité lors du thème «  Histoire et mémoires ».