Pierre-François Souyri, professeur d’histoire à l’Université de Genève nous offre un ouvrage de grande qualité, complément idéal de l’exposition se déroulant au Château des Ducs de Bretagne à Nantes (du 28 juin au 11 novembre 2014).

Préfacé par Yoichi Suzuki (ambassadeur du Japon en France), Aurélie Filippetti (ministre de la Culture et de la Communication), Johanna Rolland (maire de Nantes) et Bertrand Guillet (directeur du musée d’histoire de Nantes), ce volumineux ouvrage ressemble à s’y méprendre à un ouvrage d’art. La qualité apportée à sa conception en témoigne avec l’utilisation d’un papier « Rives dot » qui apporte un cachet certain à l’ouvrage.

L’ouvrage de Pierre-François Souyri est enrichi de très nombreuses illustrations en couleurs : étampes japonaises, photographies occidentales, dessins manuels, peintures polychromes. L’un des points forts de l’ouvrage est incontestablement son extrême richesse iconographique. De nombreux documents font l’objet d’une présentation sur une double-page, ce qui permet d’apprécier pleinement les détails des estampes (pages 110-111, 192-193 par exemple). On peut simplement regretter le petit nombre de cartes (pages 15 et 185). Ce livre, qui se veut être le prolongement de l’exposition devient alors un remarquable support documentaire pour les curieux n’ayant pas pu s’y rendre.

En préambule, l’ouvrage rappelle la situation politique du Japon au début du Moyen-Age par le prisme des pays voisins (Corée, Chine). L’auteur rappelle que l’émergence des samouraïs comme une classe guerrière peut faire l’objet de parallèles avec les yangban (양반) de la dynastie coréenne Joseon (ou Yi). D’acteurs dominés à dominants, puis de guerriers à celui d’hommes de lettres, l’évolution des samouraïs est révélatrice de l’histoire politique et économique du Japon. Un rappel utile insiste sur le caractère tardif de l’utilisation du terme même de samouraïs, qui n’apparait véritablement qu’à partir du XIXème siècle dans les écrits occidentaux.

Six chapitres structurent l’ouvrage en s’intéressant d’abord à la naissance de cette classe guerrière du Japon antique jusqu’au XIème siècle. Le régime de Kamakura marqué par les shoguns est l’objet d’une analyse poussée où les samouraïs sont abordés comme étant un acteur de la rivalité entre les clans Minamoto et Taira (au XIIème siècle), puis à travers l’invasion avortée des Mongols au XIIIème siècle (avec l’épisode célèbre des deux typhons successifs qui déciment les flottes mongoles). Le chapitre central « le monde à l’envers » reprend le sous-titre de l’ouvrage « Histoire du Japon médiéval » chez Maisonneuve et Larose (rééditée en poche). Le dernier quart de l’ouvrage aborde avec précision le mécanisme de transformation progressif des samouraïs considérés comme des guerriers, à celui de lettrés. Les fonctions administratives prennent le pas sur les obligations militaires à partir du XVIIème siècle : le passage du sabre à la poésie.

Un lien avec la sortie du film « 47 Ronins » (Carl Erik Rinsch en 2013 avec Keanu Reeves) peut être fait avec la présentation de l’épisode qui marque le début du XVIIIème siècle dans l’archipel. Le passage progressif vers la classe intellectuelle s’accompagne également de la création d’un mythe autour des samouraïs. Le cinéma (l’affiche de Kagemusha d’Akira Kurosawa de 1980), la musique (un document présente la pochette de l’album de musique du groupe IAM s’intitulant « L’école au micro d’argent » ), le manga perpétuent cet héritage. L’ouvrage se termine par une courte chronologie de l’histoire du Japon de l’Antiquité à nos jours.

L’intérêt de l’ouvrage peut être réduit une citation de Pierre-François Souyri qui résume à elle-seule la place du samouraï dans la civilisation japonaise : « Pour comprendre le Japon d’autrefois mais aussi les origines du Japon d’aujourd’hui, l’étude des dimensions sociales et culturelles de l’histoire des samouraïs reste fondamentale » (page 18).

La lecture de ce livre, esthétiquement très agréable, offre donc un complément idéal à l’exposition se tenant au Château des Ducs de Bretagne à Nantes. Sans en être une simple redite, celui-ci apporte des éclairages précis sur le Japon médiéval. Le partenariat de la ville de Nantes par l’intermédiaire du château des Ducs de Bretagne, avec le château d’Osaka a donc porté ses fruits. Espérons que les prochaines expositions prévues pour 2015 et 2016 soient également à l’origine d’ouvrages de cette qualité aux Presses Universitaires de Rennes. La richesse iconographique du livre peut permettre d’en faire un support de qualité dans l’enseignement de l’histoire des arts asiatiques.

A n’en pas douter, ce magnifique ouvrage, au prix relativement élevé, s’avère être une somme à la fois scientifique et didactique pour aborder sereinement le Japon médiéval, à travers la figure de l’un des acteurs les plus connus de la culture populaire, les samouraïs.

Pour aller plus loin :
– Le compte-rendu de l’exposition nantaise est lisible ici : http://www.clionautes.org/?p=3211
– Le compte-rendu de Bruno Modica sur la « Nouvelle histoire du Japon » de Pierre-François Souyri parue chez Perrin : http://clio-cr.clionautes.org/nouvelle-histoire-du-japon.html

@ Clionautes – Antoine Baronnet.