Bernard Debarbieux est professeur en géographie politique et culturelle et en aménagement du territoire à l’université de Genève depuis 2001 après une carrière à l’Institut de géographie alpine de Grenoble. Il a notamment publié en 2015 aux éditions du CNRS : L’espace de l’Imaginaire : Essais et détours, chez le même éditeur en 2010, Les faiseurs de montagne ou chez Edimontagne en 2002, Chamonix-Mont-Blanc, 1860-2000, les coulisses de l’aménagement et avec Martin Vannier, Territoires, territorialité, territorialisation. Controverses et perspectives aux Presses Universitaires de Rennes en 2009.

Dans son introduction l’auteur rappelle l’existence de deux projets d’inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO : un lieu, le Mont Blanc et une activité, l’alpinisme. Le second vient de voir récompenser la ténacité de ses promoteurs, lors de la 14e session du Comité intergouvernemental de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui se tenait à Bogota le 11 décembre 20191. Evoquer cette double candidature est l’occasion d’analyser la notion de patrimoine, de voir comment les habitants ou du moins les porteurs du projet l’ont compris et les négociations qui ont été nécessaires. Le récit de ces « aventures » est organisé en cinq chapitres des protagonistes à la notion de patrimoine.

Les protagonistes

C’est tout d’abord l’UNESCO dont l’auteur rappelle l’histoire, les buts et le fonctionnement notamment que l’inscription au patrimoine mondial d’un site, d’une pratique culturelle, si elle est une reconnaissance, ne saurait garantir sa pérennité qui est sous la responsabilité de chaque Etat dans le cadre des conventions de 1972 et 2003. Le rôle des comités nationaux a ainsi imposé des négociations entre la Suisse, l’Italie et la France alors même que les initiateurs du projet entre protection et valorisation touristique du territoire étaient au départ des associations écologiques. L’échec du projet initial de Parc naturel amène à celui de l’inscription au patrimoine à la fin des années 90 dont l’auteur balise les grandes étapes et montre la difficulté pour les collectivités locales des trois pays à construire une vision commune.

Il aborde ensuite les porteurs du projet concernant l’alpinisme : les municipalités de Chamonix et de Courmayeur qui lancent la candidature en 2011 en relation avec les professionnels (compagnies et syndicats des guides) et les pratiquants représentés par les Clubs alpins.

L’auteur évoque les scientifiques, les experts qu’ils placent en position de médiateurs.

Enfin pour Bernard Debarbieux le premier personnage est le Mont Blanc lui-même : repère visuel, identitaire, ressource touristique un pôle d’imaginaire collectif. Il rappelle enfin les démarches et autres formulaires de ces candidatures.

Le Mont Blanc, l’alpinisme : des patrimoines ?

L’auteur revient brièvement sur l’histoire même de la notion de patrimoine depuis le XIX e siècle et son évolution. Mais la réflexion sur le Mont Blanc permet de mettre en évidence des positions divergentes, voire antagonistes2 et que « le caractère patrimonial d’une chose ne réside pas tant dans la chose elle-même que dans les significations qu’on lui associe » (p. 67). La réflexion se poursuit à propos de la notion de patrimoine culturel immatériel et la difficulté à la cernée dans le cas du dossier sur l’alpinisme comme le montre les extraits du dossier reproduits (page 82 et suiv.).

Les alpinistes : une communauté ?

Comme le prévoit l’UNESCO, tout dossier se doit de présenter, qualifier la communauté de pratiquants, alors peut-on réellement parler ici d’une communauté ?

L’auteur décrit les porteurs du projet, le comité de pilotage franco-italien avant son élargissement avec les clubs alpins et syndicats des guides. Il montre que les représentants des différentes instances se connaissent bien ce qui a facilité le travail même si la définition même de la pratique n’allait finalement pas de soi si on le rapporte aux exigences des formulaires (extrait p. 103) : soit ou pratique sociale et culturelle, controverse décrite par l’auteur qui intéressera plus le lecteur s’il est lui-même pratiquant, mais qui répond à la question de définition attendue pour le dossier UNESCO : des pratiques, une histoire, des valeurs. Pourtant l’inscription ne semble pas avoir mobilisé largement les pratiquants.

Patrimoine local, national ou mondial ?

Dans ce quatrième chapitre, c’est d’échelles qu’il est question tant pour l’UNESCO que pour les porteurs. Les deux projets dans ce domaine se différencient réellement : le Mont Blanc un lieu bien délimité mais exceptionnel à valeur universelle, l’alpinisme une activité culturelle représentative mais diversement pratiquée dans le monde. Il s’agit donc de penser un espace à la fois à l’échelle locale et à l’échelle mondiale ce qui pose de nombreuses questions analysées ici. Quant à l’alpinisme si les porteurs insistent sur la valeur « sans frontières » de cette activité, fallait-il alors inclure dans les porteurs du projet des entités non alpines. Sur ce point l’auteur compare aux démarches de patrimonialisation du tango, du flamenco et de la fauconnerie. Il analyse la dynamique des échelles locale et nationale.

Des patrimoines naturels ou culturels ? Matériels ou immatériels ?

L’auteur réinterroge la différence entre biens matériels et biens culturels : leur place dans les textes de l’UNESCO, leur pertinence aujourd’hui. Il fait le même exercice pour matériel/immatériel et débouche sur la question : Existe-t-il des pratiques culturelles immatérielles dénuées de toute matérialité ?

Les deux projets invitent à rapprocher ces catégories. Bernard Debarbieux analyse la notion de paysage culturel, un paragraphe fort utile pour tout enseignant de géographie. Cette réflexion est illustrée par des exemples : les parcs nationaux d’Uluru (Australie) et de Tongariro (Nouvelle-Zélande) et bien sûr sur le site du Mont Blanc.

Epilogue

Bernard Debarbieux rappelle que certains voient dans la patrimonialisation par l’UNESCO « un exercice de normalisation, voire d’assujettissement à une vision occidentale du monde » (p. 235).

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2   Voir par exemple ce qu’il convient de faire de la gare intermédiaire du téléphérique des glaciers : la raser pour rendre au site son état naturel ou la préserver comme trace de l’histoire touristique de la vallée de Chamonix