La collection Sources des Collections de la République des Lettres des Presses Universitaires de Laval (PUL) est consacrée à la publication de textes inédits ou difficilement accessibles. C’est le cas de ce « journal » connu de beaucoup, souvent utilisé comme « magasins à citations » selon Michel Cassan, abondamment cité mais rarement lu in extenso.

Cet ouvrage est le premier d’une longue série qui prévoit 12 volumes. C’est une entreprise exceptionnelle par les fonds engagés, par les programmes internationaux de la recherche publique et par la qualité des collaborateurs qui a mené à son terme la publication de cette source. Je ne peux que vous encourager à visiter le site du projet pour avoir une idée de l’importance de ce travail. En outre, ce site offre en accès libre, il faut le préciser, trois précieux index des lieux, des personnes et des évènements qui aideront plus d’un étudiant et chercheur.
http://www.mesloisirs.uqam.ca/page/hardy.php

Ces vingt-cinq ans de notes prises quotidiennement par le libraire Hardy, inscrivent cet ensemble documentaire énorme comme une source inestimable sur l’histoire de Paris, mais également l’histoire du livre et de la lecture, l’histoire des affaires religieuses et politiques de la monarchie, en même temps que sur l’histoire de la sensibilité, de la sociabilité urbaine, du goût, des nouveautés, des divertissements et des promenades parisiennes. La présentation historiographique de l’ouvrage restitue le libraire Hardy dans le contexte parisien du milieu XVIIIe siècle. L’appareil critique précieux et les quelques figures du manuscrit et plans de Paris illustrent de surcroît le contenu. L’évènement déclencheur de la rédaction de ce journal est l’exil du parlement de Paris, le journal devient régulier surtout après 1766. Le premier tome publié que j’ai eu entre les mains, comporte plus de huit cents pages, s’étend sur dix-sept ans (1753-1770) et s’achève par le renvoi de Choiseul.

Le Royaume au quotidien

Le repérage est simple car les faits sont énoncés chronologiquement sans avoir été retouchés ni regroupés.
Le tome I donne de nombreuses informations sur les affaires du parlement, les affaires de Bretagne, la crise janséniste et le milieu des officiers de robe. Plus ponctuellement, il raconte par le menu les petites affaires criminelles parisiennes tout en étant attentif aux suicides, aux noyades et aux exécutions publiques. La violence de la société émerge par des agressions multiples. On peut également suivre l’état d’esprit sur les marchés selon le prix des grains et du pain.
En dehors des nouvelles venues de Rome et de quelques faits considérables (des inondations à Nemours, une révolte à Rouen ou à Lyon, tremblement de terre à Rouen encore), il se passe, si l’on en croit Hardy, peu de choses en dehors de Paris.
Il parle très peu de Versailles sauf pour signaler de manière factuelle les naissances princières ou les décès importants. Ses rapports sont très succincts sur les maladies de la famille royale dont il parait finalement très distant. Il ne dit rien de la cour, de l’étiquette. Présent lors de deux revues des gardes par le roi, il paraît inquiet de voir vieillir le monarque si rapidement en deux ans.
C’est la seule mention affective qu’il parait avoir à son égard. Son intérêt pour Versailles croît vers la fin de la période avec le mariage de Berry avec la dauphine Marie Antoinette. Rendez-vous au tome suivant pour savoir le libraire apprécie le jeune couple….
Dans ce tome, il parle peu des découvertes scientifiques et pas du tout des polémiques ni des visites comme celle de Benjamin Franklin. S’il est inquiet que Saturne disparaisse et que les jours rallongent, il dément ce faux bruit quelques semaines plus tard. Il donne peu d’information sur le théâtre, sur l’opéra ou même sur la littérature des Lumières. Il s’intéresse à l’amélioration de la vie parisienne comme avec la machine pour purifier l’eau installée sur l’île saint Louis. Par ses informations et surtout par celles qu’il ne donne pas, il indique un niveau de perception sociale caractéristique de la classe artisanale parisienne évoluant pourtant dans un milieu cultivé, celui des imprimeurs libraires.

Ses sources se fondent sur l’observation. Il ne se raconte pas, ne donne pas son avis. Hardy se pose en témoin qui retranscrit : « j’assistais à …. ». On perçoit nettement l’importance de la vue : « j’avois vu, j’observais que… » Hardy rapporte également le bruit public dont l’ampleur croissante contribue à l’émergence de l’opinion publique chère à Arlette Farge : « on apprend que, on note que, on est assuré que, plus de mille bouche annonçaient que…. ». Il enrichit son texte de libelles, de discours retranscris ou de nouvelles à la main recopiées, de faits divers rapportés ou quelques bruits de cour confrontés à la Gazette de France et autres périodiques, Gazette dont il critique le style pour n’avoir pas à dire qu’il est opposé politiquement avec ce qui est l’Organe officiel du Gouvernement royal depuis 1762. L’insertion de ces divers documents établit une chronologie progressive du trajet et de la fabrication de l’information quotidienne.

Il est inévitable qu’un compte rendu ne donne qu’une idée minorée de cette importante source. Celle-ci donne des textes utilisables comme des discours, des mandements, des édits et arrêts du parlement facilement accessibles ici. La lecture in extenso, quoique longue quand les douze tomes seront parus, introduit le lecteur dans la vie parisienne du XVIIIe siècle comme une gazette quotidienne. Les bruits de la rue parisienne foisonnent et parviennent ainsi jusqu’à nous. On ne peut que saluer cette belle entreprise qui offre au public une telle source.

Pascale Mormiche © Clionautes
Agrégée et docteur en histoire moderne (Buc 78)