Souvent traités avec condescendance par des médias, qui depuis quarante ans répètent les mêmes banalités, les syndicats de salariés semblent, au premier abord, constituer un objet d’étude poussiéreux et passablement ennuyeux. Les trois auteurs de ce manuel, deux politistes et un sociologue,  démontrent avec  brio qu’il n’en est rien et qu’en chaussant de nouvelles lunettes, en croisant les approches et en renouvelant les questionnements, l’objet syndicalisme est loin d’être entièrement défriché.

Les auteurs rappellent dans l’introduction que depuis les années 2000, les mouvements sociaux, les syndicats, les associations ont donné lieu à de très nombreuses recherches en sciences politiques et en sociologie (peut-être moins en histoire malgré Stéphane Sirot, Antoine Prost…) qui ont contribué à renouveler l’approche de ceux-ci « tant dans la littérature scientifique francophone qu’anglo-saxonne ». Renouvellement auxquels ces auteurs ont activement participé. Un des grands intérêts de ce manuel est de faire le point sur les recherches canoniques mais aussi de présenter les nouvelles problématiques, les questions méthodologiques ainsi que les études empiriques localisées que sociologues et politistes ont développées, ces dernières années, et qui devraient passionner les historiens curieux. Par ailleurs, dans ce manuel centré sur le syndicalisme français sont cités des chercheurs d’autres pays, en particulier anglo-saxons, et des éléments de comparaison, entre le cas français et d’autres situations, sont présentés. Ce qui permet de sortir des banalités médiatiques sur la faiblesse et le recul du syndicalisme français, jamais expliqués par nombre de journalistes. Les historiens grignoteurs délicats de bibliographie se feront aussi un plaisir de se référer fréquemment à celle de cet ouvrage qui permet de mieux percevoir le renouvellement récent évoqué par les auteurs dans leurs disciplines scientifiques. De plus, au fil de l’ouvrage, sont récapitulées les diverses mesures prises par les gouvernements Hollande puis Macron concernant le marché du travail. Ce qui permet une mise au point rapide pour les enseignants dans la perspective de cours d’EMC ou de séances de TPE.

L’ouvrage est constitué de six chapitres où sont présentés et discutés les points de vue d’auteurs différents, chacun  de ces chapitres se terminant par une conclusion claire. Le premier présente « l’institutionnalisation du syndicalisme à la française » ainsi que « l’ambivalence » de ce processus. Le deuxième chapitre est centré sur le pluralisme syndical, en France, ses causes, son évolution. Des comparaisons avec le syndicalisme d‘autres pays européens permettent de mieux en percevoir les spécificités. Ce pluralisme n’est pas vu comme un effet de la « politisation » des syndicats car d ‘autres causes interviennent nous disent les auteurs. Puis est discuté le rapport des syndicats à la politique (aux partis politiques, à l’État, aux valeurs partagées avec des militants d’autres univers). Le chapitre trois permet de s’’interroger sur ce qu’est un syndicat représentatif. Comment est mesurée l’audience des syndicats ? Quel travail effectuent les syndicats pour répondre aux nouvelles échéances de mesure de la représentativité ? Mais la partie la plus intéressante et la plus novatrice de l’ouvrage nous semble constituer par les chapitres quatre et cinq. Les logiques de l’adhésion syndicale sont analysées dans le chapitre quatre qui rappelle que si le syndicalisme est faible avec environ 11% de salariés syndiqués, il parvient toutefois à se renouveler et il est bien plus puissant en nombre d’adhérents que les partis politiques. La présentation des obstacles à ce type d’engagement n’oublie pas de rappeler les « entraves patronales  au développement du syndicalisme »  réelles et fortes dans certains secteurs. Cependant d’autres raisons contribuent à expliquer les difficultés du syndicalisme français : évolutions structurelles du marché du travail, difficulté de s’adresser aux jeunes, aux femmes, aux précaires, aux personnes issues des migrations post-coloniales… Reste cependant que certains y adhèrent même s’ils ont rapport différent au syndicat que leurs aînés. Toutefois, pour intégrer et conserver ces nouveaux adhérents,  le syndicat doit fournir un travail particulier. Evidemment, ne sont pas oubliées, les « rétributions symboliques » du militantisme qui contribuent à expliquer que certains restent membres du syndicat ou y jouent un rôle actif… Le chapitre cinq s’intéresse à la façon dont les syndicats tentent de « fabriquer des militants ». Diversifier la base des syndicats, organiser les inorganisés supposent en effet des adaptations, une politique volontariste, des efforts soutenus qui ont été menés dans certains secteurs aux Etats-Unis, au Royaume-Uni… Phénomène auquel des politistes anglo-saxons ont donné le doux nom de « renouveau syndical » que les auteurs du manuel analysent tout en signalant que ces analyses et travaux sont encore peu connus en France[1]. Ouverture sur l’international bienvenue encore une fois que l’on retrouve en bibliographie avec, en plus, des travaux français récents sur les tentatives du syndicalisme français auprès de précaires à Paris, Marseille…

Merci donc à ces trois auteurs pour ce manuel qui montre le renouveau des travaux sur les mouvements sociaux et qui permet de revenir sur un objet qui bouge encore et  que certains médias paresseux ou trop pressés ont souvent tendance à ossifier.

L’ouvrage, on le voit, s’adresse à des étudiants qui veulent travailler sur cette question, à tous ceux qui s’intéressent à la sociologie et à la science politique en général mais aussi aux historiens qui veulent réinterroger les mouvements sociaux qui se sont développés depuis le 19° siècle. Si les lecteurs connaissent bien le mouvement syndical, ils y trouveront matière à réflexion et à questionnement ; si le sujet leur est moins familier, ils ont là un livre des plus commodes pour avoir des informations sur ce thème et des questionnements utiles dans d’autres domaines. Et puisque, à l’heure où je rédige ce papier, les programmes d’histoire en lycée  vont bientôt être publiés, rappelons que le mouvement syndical a largement contribué à transformer la France. Trouvera-t-il sa place dans les programmes officiels au lycée ? Il est hélas à craindre que non…

[1] Ce qui était le cas du rédacteur de cette note.