Dès les premiers jours de septembre 1939, le soldat Léon Noguéro est affecté comme téléphoniste au 49e Régiment d’Infanterie de Bayonne qui fait mouvement pour l’Est de la France, en Alsace-Lorraine, à proximité de la ligne Maginot et de la frontière allemande. Ce témoignage, tout en invitant le lecteur à partager l’intimité d’une famille, se veut être également un support d’enseignement et d’investigations pour les jeunes générations.

Vers le dossier de presse

Léon Noguéro dont le fils Henri a entrepris de mettre en forme sa très abondante correspondance, de soldat en Alsace-Lorraine, puis de prisonnier de guerre est issu de ces familles de migrants espagnols qui se sont installés dans le Sud-Ouest, vers la fin du XIXe siècle et qui se sont intégrés au fil des générations.
Le frère aîné de Léon Noguéro est mort pour la France à Verdun, le 20 mai 1916 à l’âge de 20 ans. Léon a vu le jour en 1913, et il a vécu jusqu’au 28 août 2004.
En 1934 il est appelé sous les drapeaux, pour une durée de 12 mois, et en 1939, dans le cadre de la mobilisation générale, il rejoint le 49e régiment d’infanterie comme téléphoniste au PC du régiment.
Cette unité se positionne à proximité de la ligne Maginot, à proximité des secteurs frontaliers de Lorraine et d’Alsace, du côté de Wissembourg. À la suite de l’offensive allemande du 10 mai 1940, sa compagnie se replie dans le sud de Saint-Dié des Vosges, là où se tient le festival international de géographie auquel participe les Clionautes, avant de se rendre, totalement encerclée à Saint-Michel sur Meurthe, le 22 juin 1940. Le jour de la signature de l’armistice, faut-il le rappeler.
Entre 1940 et 1945 Léon Noguéro est prisonnier de guerre et après une étape à Strasbourg il se retrouve interné au stalag VA dans le Bade Wurtemberg.
Affectés à des travaux de terrassement dans un premier temps, les membres du Kommando de Léon Noguéro sont ensuite dispersés. Électricien de métier, il se trouve affecté dans les missions civiles pour le compte d’entreprises du bâtiment dans le Nord de l’Allemagne.
Libéré le 2 mai 1945 par un contingent de la huitième division d’infanterie américaine il est rapatrié en France le 18 mai et démobilisé le 31 juillet 1945 à Tarbes. De 1946 à 1980 Léon Noguéro exerce son métier d’électricien dans sa Bigorre natale, à Cadéac les Bains.

Soldat en Alsace-Lorraine

Le récit du premier tome est un récit brut, mis en forme à partir des carnets de ce jeune homme qui décrit soigneusement les événements et les lieux qu’il traverse. Henri Noguéro qui a recueilli les carnets de son père différencie parfaitement dans l’ouvrage les textes extraits des carnets des lettres envoyées à la sœur, Léonie. Cette dernière informe également sa mère, Ramona, de la situation de son fils. La première partie des carnets est consacrée au voyage vers les zones où le régiment est positionné, et sans doute parce que le trajet est long, Léon Noguéro ne nous épargne aucun détail sur les paysages qu’il traverse. Le jeune homme, qui a tout de même 26 ans en 1939, est à l’évidence un bon fils. Il veille à ce que sa mère puisse toucher une allocation pour sa présence au front, et envoie plusieurs lettres par jour pendant cette longue période de transit vers la ligne Maginot. On apprend au passage que les lettres mettent à peu près huit jours pour parvenir à leurs destinataires, ce qui somme toute doit laisser dans l’inquiétude la famille.
La vie quotidienne d’un soldat est faite de longues attentes, le moindre moment où l’on peut faire quelque chose, surtout dans ce contexte-là est précieux. Le 2 octobre 1939, dans le secteur de Rohrbach, Léon Noguéro nous raconte sa lessive. Une tâche sans doute indispensable. On retrouve d’ailleurs dans ses lettres une certaine dose d’humour, à propos du système D qui fait la force des armées françaises, avec une histoire de lainages qu’il parvient à obtenir dans des circonstances sur lesquels plane un silence pudique. Le 6 octobre c’est le jour des frites visiblement, et solidement lesté par ce met roboratif, Léon Noguéro parvient aux abords immédiats des lignes fortifiées.
Les lettres donnent des nouvelles relativement détaillées, tandis que dans les carnets les descriptions sont beaucoup plus précises. On a véritablement le sentiment que Léon Noguéro ne veut absolument rien oublier. Le 8 octobre 1939, fausse alerte, des tirs d’artillerie se font entendre, on présume une attaque de char, mais visiblement cela était un effet de la rumeur. Léon Noguéro s’inquiète de devoir abandonner la marmite de fayots qui se trouvait sur le feu de la maison où les téléphonistes du régiment étaient cantonnés.
Cette période est marquée par de longues attentes, nous sommes évidemment pendant la drôle de guerre où il ne se passe visiblement pas grand-chose. Quelques soldats allemands sont faits prisonniers par des patrouilles, mais pour le téléphoniste il s’agit surtout de tirer des lignes, et de mettre en place un dispositif de communication dans l’attente d’une offensive. C’est sans doute le 17 octobre 1939 que commencent quelques duels d’artillerie qui amène des petits mouvements de quelques centaines de mètres, qui à l’évidence, si l’on en croit le carnet de Léon Noguéro, semblent déjà désorganiser la ligne de front.

Dans la ligne Maginot

L’unité du jeune tarbais se retrouve visiblement installée dans des fortifications avancées de la ligne Maginot, et il souligne d’ailleurs l’épaisseur de 75 cm de béton du poste de tir et de transmission où il est installé.
Pendant cette période le jeune soldat reçoit des nouvelles de la famille, se préoccupe de la récolte de pommes de terre chez lui, et reçoit d’ailleurs des nouvelles des naissances des amis de la famille.
Rien ne change avec l’arrivée de l’hiver, le 25 décembre Léon Noguéro raconte à sa maman qu’il est allé à la messe de minuit, avant, deux jours plus tard, d’aller visiter un château situé au milieu des rochers. Il s’agit vraiment d’une drôle de guerre, et en effet ce témoignage est particulièrement intéressant, car il remet en perspective la réalité de cette vie de soldat appelé, et engagé dans une guerre dont la posture est essentiellement défensive.
La lassitude de l’attente ne semble pas atteindre son moral visiblement, même s’il semble souffrir de quelques rhumatismes au genou, ce qui peut surprendre chez un jeune homme de 26 ans.
Avec l’offensive allemande du 10 mai 1940, Léon Noguéro n’a pas véritablement le sentiment, étant loin de l’axe de pénétration des panzers à travers les Ardennes, d’être en guerre. Il se préoccupe essentiellement des colis qu’il reçoit, et le 14 mai 1940 il s’empresse de préciser que toutes les lettres lui parviennent. Sur cette période il a beaucoup moins le temps de rédiger sur son carnet, et il écrit davantage de lettres pour assurer sa sœur et son beau-frère sur sa situation.
Alors que les armées françaises s’effondrent au début du mois de juin, certaines lettres se perdent, et elles reviennent dans la famille avec la mention retour à l’envoyeur. Le samedi 22 juin son unité est encerclée et dépose les armes.
Déplacé à Strasbourg, Léon Noguéro raconte les conditions difficiles, en notant consciencieusement les rations quotidiennes sur 33 jours, largement insuffisantes pour nourrir correctement des hommes dans la force de l’âge. À partir de juillet la situation semble s’améliorer, 200 g de pain, un quart de soupe, 20 g de lard, 30 g de miel, et un quart de café, tel est le menu du 2 juillet 1940.

Vers le Stalag

Ce premier volume s’achève par une énumération extrêmement précise des camps de prisonniers, ainsi que par le rappel de la longue liste des prisonniers et des morts au combat de la région d’origine de Léon Noguéro.
Son témoignage ne s’achève évidemment pas là, puisque pendant sa longue captivité, toute la guerre en fait, il continue à écrire, avec une incontestable qualité en matière de style. Visiblement, il aurait parfaitement pu, s’il avait obtenu une bourse, continuer des études après l’école primaire. De nationalité espagnole à ce moment-là, il n’avait pu y prétendre.
Pour l’historien ce témoignage peut être considéré comme assez précieux, car il donne, au-delà d’un récit que l’on pourrait qualifier d’ennuyeux, tant les périodes d’attente ont été longues pendant la période de la drôle de guerre, une image extrêmement précise de l’univers social et mental d’un jeune homme du Sud-Ouest. Un sens évident de la famille, une attention à ce qui se passe dans son petit pays, mais en même temps une curiosité pour les paysages qu’il traverse, les zones où son unité est cantonnée, qu’il peut visiter, en disposant d’une bicyclette, dont les téléphonistes étaient dotés.
Henri Noguéro, son fils benjamin, a donc parfaitement mis en forme ces témoignages. On pourrait sans doute discuter sur l’appareil bibliographique qui accompagne l’ouvrage, il n’est pas évident que des références sur la ligne Maginot extraite de Wikipédia soient très appréciées par des puristes de la recherche historique. Il faut pourtant découvrir cet ouvrage avec bienveillance, parce qu’il joue un rôle conservatoire, qui va sans doute au-delà de la mémoire. Le récit est en lui-même de qualité, précis et détaillé, et en même temps profondément humain. Le fils de Léon Noguéro le livre comme un matériau brut, qu’il a essayé de mettre en forme et de rendre accessible. On peut lui en savoir gré, et c’est donc à ce titre qu’il conviendra d’extraire de cet ouvrage quelques lettres ou quelques fragments de carnets, comme de véritables sources historiques qui permettront d’évoquer, dans «la grande histoire de la seconde guerre mondiale», l’histoire d’un homme ordinaire, fils d’immigrés espagnols frontaliers, qui a su trouver en lui, par-delà les vicissitudes, les ressources pour survivre et s’adapter. Cela peut être compris aussi comme une leçon de vie.