Et si, en fait, la saga Star Wars nous racontait en creux l’histoire de l’Amérique, celle du Bien contre le Mal, de la République contre l’Empire ? Face à l’obsession sécuritaire désormais constante sinon renforcée avec l’accession de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis, la question que pose la saga est celle de l’avenir de l’Amérique et, au-delà, de nos démocraties. A l’occasion de la sortie mondiale de Star Wars 8 et à travers le prisme de la saga, Thomas Snégaroff nous offre un regard sur la culture politique américaine et le destin de l’Occident. L’auteur, historien et enseignant à Sciences Po Paris, est spécialiste de la présidence américaine et de l’histoire des Etats-Unis d’Amérique. Il a récemment publié cette année Little Rock 1957 Little Rock 1957, l’histoire de neuf lycéens noirs qui ont bouleversé l’Amérique, Thomas SNEGAROFF, Tallandier, 2018, 336 p.

Georges Lucas s’est longtemps considéré comme un cinéaste raté, réduit à décliner tout au long de sa carrière les épisodes de La Guerre des étoiles. Ce n’est pas le seul, parmi les producteurs hollywoodien, à verser dans la critique, comme l’a fait Peter Biskind qui considère que La Guerre des étoiles est une vraie gaminerie qui a tué, pour longtemps, Hollywood. Selon ce dernier, Lucas et Spielberg ont contribué à infantiliser le public en le gavant d’effets sonores et d’effets spéciaux, mettant ais au rancard toute notion d’ironie, toute volonté de prise de conscience, toute réflexion critique ou encore tout sens esthétique. Le milieu du cinéma américain n’a donc pas accueilli, c’est le moins que l’on puisse dire, à bras ouvert, la création de Lucas. Or, indéniablement, dès la fin des années 1970, Lucas et Spielberg ont défini un standard esthétique et moral qui a enterré le cinéma des années 1970. Enfonçant encore le clou, en 1979, le puissant syndicat Motion Picture Association in America, qui défend les intérêts des studios hollywoodiens, révélait que 90 % des spectateurs de cinéma avaient entre 12 et 39 ans. Et il est indéniable que les films de Lucas et Speilberg ont participé de ce mouvement que Peter Biskind Peter Biskind est essayiste et journaliste américain. Fin connaisseur du cinéma hollywoodien, il fait sensation en 1999 avec son essai polémique Le Nouvel Hollywoodregrette amèrement. Par exemple, Harrison Ford, héros à la fois des deux cinéastes, à la fois Han Solo et Indiana Jones, incarne parfaitement cette évolution des grands studios. Présent dans American Graffiti en 1973 et dans Conversation secrète de Coppola l’année suivante, Harrison Ford est à cheval entre le nouvel Hollywood et ce qui viendra tuer ce nouvel Hollywood. Son personnage, Han Solo dans la Guerre des étoiles fait de lui une immense star. Il y incarne un héros viril, rebelle et macho. Puis, dans les années 1980, Harrison Ford deviendra Indiana Jones sous la férule du couple Lucas-Spielberg. Un héros au courage infini, luttant pour le bien contre le mal, dans une saga qui s’achève par la quête du Graal…et de Dieu. Excusez-du peu !

Cela étant, et Thomas Snégaroff a tenté de démontrer dans son brillant essai, que le présent tente de ramener la saga à une simple gaminerie qui aurait tué le cinéma adulte, ce qui semble excessif et plutôt injuste. La Guerre des étoiles est en effet une réflexion bien plus profonde qu’elle semble l’être au premier abord. Mêla psychologie, géopolitique et les sciences politiques, elle constitue un mythe moderne et c’est bien pour celai qu’elle a fasciné des générations et générations de personnes, des adolescents, mais pas seulement. Parce qu’elle interroge l’itinéraire d’une nation, l’Amérique et plus largement de nos démocraties, mais aussi parce qu’elle sonde nos démons intimes, notre rapport à notre père ou à nos fils, la Guerre des étoiles n’est pas qu’une amusante plaisanterie gavée d’effets spéciaux. La première trilogie s’adresse à une nation perdue, tiraillée entre la guerre du Vietnam et l’affaire du Watergate. La deuxième s’adresse à une nation engluée dans les contradictions d’une guerre contre le terrorisme qui l’entraîne, au nom de la sécurité, à nier les principes pour lesquels elle lutte. Ce qui est frappant, c’est le caractère visionnaire de deux trilogies. L’épisode IV (1977) anticipe de quelques années la révolution réganienne tandis que l’épisode I (1999) précède également de quelques années les attentats du 11 septembre et les réactions politiques qui s’ensuivirent.

Visionnaire mais aussi profondément patriotique. La Guerre des étoiles nous dit et nous répète, c’est que la république américaine est une fondation politique parfaite, pensée par des pères dont les successeurs n’ont pas toujours été à la hauteur. Au fond, Anakin est une parfaite métaphore de l’Amérique. Né avec tous les talents, le jeune garçon (les Treize colonies) parvient à se libérer des chaînes de l’asservissement (L’indépendance face à l’Empire britannique). Mais, en grandissant, il se fait happer par l’obscurité car n’ayant pu vaincre sa peur. Finalement, dans un dernier souffle, il redevient celui qu’il aurait dû être, un père. Et c’est ainsi que la Guerre des étoiles s’achève sur le retour de l’ordre permis par l’obstination d’un fils et plus largement, par l’idéalisme de la jeunesse. Une ode à la jeunesse bien dans l’esprit de l’époque et surtout sou la plume d’un homme qui n’a même pas encore quarante ans quand sort Le retour du Jedi. Paradoxalement, en apparence, c’est une homme bien plus âge, Ronald Reagan (69 ans au moment de son accession à la Maison blanche) qui offrira exactement la même lecture de l’histoire américaine, prétendant renouer avec l’idéal des Pères fondateurs. Et lorsqu’en 1980, les démocrates attaquent le candidat républicain sur son âge, il répond que ce lui a permis de «recevoir directement des conseils des Pères fondateurs». Avec Reagan, c’est «Its’» morning again In «America» et cette renaissance de l’Amérique cadre parfaitement avec le discours de la Guerre des étoiles même si, politiquement, Lucas ne se pense pas comme un soutien de l’ancien gouverneur de Californie. Et pourtant, dans la saga comme sous Reagan, le mal est clairement identifié, la peur est le doute son combattus comme des valeurs conduisant au chaos.

La nouvelle trilogie inaugurée par la sortie du Reveil de la Force en décembre 2015, a perdu son créateur, Lucas. Véritable hommage à son travail, ce nouvel épisode est apparu comme un résumé plus ou moins réussi de la première trilogie. Il y a cependant une nouveauté remarquable qui inscrit cette nouvelle production dans son temps. Outre la présente d’un acteur africain-américain, c’est la celle d’un personnage féminin fort et doté de la Force. Là où les filles et les femmes étaient reléguées à des tâches subalternes, elles prennent désormais une place centrale. Cette nouvelle trilogie s’inscrit dans un plus vaste courant qui traverse depuis quelques années le cinéma hollywoodien. Alors bien entendu, l’appât du gain n’est jamais loin pour Disney qui trouve là un bon moyen d’amener les petites filles…Mais depuis 1977, Star Wars a fonctionné sur les deux tableaux. Lucas n’a jamais caché son intention d’utiliser les bonnes vielles méthodes du marketing dans ses productions.

L’ouvrage de Thomas Snégarrof éclaire d’un jour nouveau cette Amérique, jusqu’à celle de Donald Trump, comparé à Palpatin entouré de nombreux conseillers de l’ombre, comme Steve Bannon, même si ce dernier, éloigné du cercle étroit du président, semble néanmoins tirer les ficelles en coulisse. C’est le fondement de Star Wars, nous montrer ce que nous ne voyons pas.
Que la Force soit avec vous pour lecture passionnante de cet ouvrage !

Bertrand LAMON