Avec ce film et la sortie de plusieurs ouvrages consacrés à cet épisode assez peu connu, les lecteurs intéressés par l’histoire du nazisme et de la seconde guerre mondiale auront l’occasion de parfaire leurs connaissances d’un sujet qui a alimenté une énorme bibliographie. Pourtant, peu d’ouvrages semblent avoir été consacrés à ce personnage pour lequel il faut le dire on ne peut avoir qu’une certaine fascination. Il est le représentant de cette résistance conservatrice au national socialisme qui semble avoir été très forte dans l’armée et notamment dans l’aristocratie allemande qui en fournissait les cadres. Certes l’opposition à Hitler était multiforme et impliquait aussi bien les courants religieux que des militants issus de la gauche allemande. On sait aussi le rôle du réseau d’espionnage mis en place par le Komintern, appelé l’orchestre rouge dirigé par Léopold Trepper. On connait aussi le mouvement de la Rose blanche décapité par la gestapo et dont les six acteurs principaux furent condamnés à mort et pour la plupart immédiatement exécutés.

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La trajectoire du colonel Claus Schenk von Stauffenberg est dans la plupart des cas plus mal connue. Cet officier de haut rang a été à la fois l’inspirateur, l’organisateur, l’acteur principal d’un complot qui visait à tuer Hitler. Dans le même temps, c’est un véritable coup d’État qui est préparé avec comme finalité l’élimination de l’appareil du national socialisme et la négociation sans doute d’une paix séparée avec les alliés occidentaux.

Né en 1907, dans une famille du Wurtemberg, liée à la famille royale de cet État associé à l’Empire, Claus Schenk von Stauffenberg est profondément catholique, attaché à la tradition nationale. Sa mère Caroline n’est pas dénuée de sensibilité artistique tandis que son père est un aristocrate conservateur bon teint.
Il est adolescent pendant la guerre et il assiste avec stupeur à l’effondrement en bon ordre de l’armée impériale, cette armée qui manque de peu l’emporter au printemps 1918 avant que les difficultés économiques et les troubles intérieurs ne contraignent l’État major à intervenir sur le pouvoir politique pour demander l’armistice. On sait l’importance de ce fait pour la suite. L’armée allemande n’a jamais été vaincue mais trahie… Les nationalistes allemands ont sans cesse martelé cette antienne reprise évidemment par les nationaux socialistes.
Le jeune homme fais des études au lycée, passe l’équivalent du bac (l’abitur) avec mention en 1926. Il découvre le poète Stefan George dont parle Pierre Assouline dans son blog .

Ce poète et traducteur qui se rattache au courant symboliste attire autour de lui des jeunes hommes fascinés par ce regard épique que porte le poète sur l’Allemagne sacrée. Stauffenberg rejoint ce cercle des poètes et devient un de ses disciples les plus fervent, tout comme Berthold l’un de ses frères ainés.
Comme le dit Jean-Louis Thiériot dans son ouvrage le poète en gestation choisit le métier des armes pour donner à sa vie un sens épique. Il choisit le métier des armes en attendant que naisse de cette médiocre république de Weimar, de ce régime associé à la défaite, un homme providentiel.

Une trajectoire et un homme

Stauffenberg est présenté par Jean-Louis Thiériot comme un personnage complexe. Il est tout à fait représentatif de sa caste, l’officier de l’armée impériale, mais en même temps un poète. Jeune officier, il n’est pas un noceur ni un coureur. Il accumule plutôt les récompenses et les distinctions et on le félicite pour son sérieux. Il se fiance très jeunes à 23 ans, avec une jeune fille de sa classe et on ne lui connait aucune aventure ni avant ni après son mariage. Aucune indication précise d’après l’auteur n’a d’ailleurs permis de confirmer une éventuelle homosexualité ce qui semble avoir été le cas pour d’autres de ces compagnons, à la fois dans le cercle des poètes ou autres réseaux auxquels il participe.

Il reste un catholique pratiquant mais dans les années qui suivent la crise de 1930, Stauffemberg suit avec beaucoup d’attention la montée en puissance des nazis. Lors de la prise de pouvoir il participe même à des défilés en tenue d’officier, persuadé que sa place est là. Pour affirmer la présence de l’armée allemande, le pilier de la régénérescence du Reich.

Officier sérieux, travailleur, Stauffemberg monte en grade. Il participe aux services de la logistique. Il est assez que l’encyclique de Pie XI n’ait pas amené cet officier profondément catholique à prendre ses distances plus tôt. La Nuit de cristal lui est aussi présentée comme un phénomène localisé qui ne contribue pas à faire basculer Stauffenberg dans l’opposition.

Une résistance conservatrice

La complexité des ressorts de ce complot antinazi est difficile à résumer. L’auteur y parvient toutefois mais il faudra lire cet ouvrage de façon très attentive pour un démêler les différents fils. Toutefois on peut aussi lire cet ouvrage comme un excellent roman d’espionnage tant les trajectoires individuelles des nombreux conjurés sont spécifiques. Des complots conservateurs issus de la Wehrmacht contre Hitler commencent dès 1938 et il est avéré que Stauffenberg en ait été avisé. Mais il semble que la rupture soit intervenue avec la prise de conscience de ce qui se passait à l’Est avec le début de ce que l’on a appelé la shoah par balles. En fait, pour Stauffenberg comme pour tous ces officiers qui ont prêté serment de fidélité à Hitler, la rupture est liée à un faisceau de causes.

Le rejet d’un système totalitaire différent dans son inspiration du système autoritaire qu’ils auraient parfaitement accepté par ailleurs.

Une réaction aristocratique et même corporatiste et le sentiment d’être dépossédés de leurs prérogatives. Ces officiers voient d’un très mauvais œil la formation des unités SS, souvent mieux équipées et plus considérées que celles de la Wehrmacht.

L’idée que la brutalité des occupations, le racisme anti slave se révélait contre productif et contribuait à jeter les peuples de l’Union soviétique dans les bras des communistes tout comme les français dans ceux de la Résistance

La peur de voir l’Allemagne tomber aux mains des bolchéviks en cas de défaite, ce qui va amener de nombreux conjurés à chercher les possibilités d’une paix séparée avec les alliés.

Le rejet de l’antisémitisme obsessionnel des nazis tandis qu’une certaine forme de xénophobie « correcte » pouvait être admise. Même si cette nuance peut aujourd’hui choquer, celle-ci n’est pas dénuée d’importance.

L’organisateur et l’acteur du complot

Au fur et à mesure que le complot s’étend, en même temps que les défaites militaires de l’Allemagne s’accumulent, Stauffenberg prend de l’épaisseur. Même s’il n’est que Colonel, il en devient l’organisateur, la tête pensante et au final l’acteur. Blessé en Tunisie, inapte au combat, il devient un officier d’État major en charge de logistique et d’organisation.
Toujours aussi efficace, il se rend compte que le plan Walkyrie conçu par l’armée pour prendre le pouvoir en cas de troubles intérieurs et approuvé par Hitler lui-même peut se retourner contre le Tyran. Le point de départ pourrait alors en être la mort du Führer, et des projets d’attentats multiples sont préparés, et arrêtés au dernier moment du fait des hésitations de ceux qui en étaient les organisateurs.
Stauffenberg a su aussi faire la synthèse au fur et à mesure qu’il occupe une position clé, de toutes les oppositions conservatrices.
Dès 1933, le Club du Mercredi qui réunissait des hommes comme Sauerbuch ou Ulrich Von Hassel , l’auteur du journal d’un conjuré, avaient envisagé de renverser Hitler en s’appuyant sur l’armée. De nombreux généraux ont été très liés à ce réseau comme Johannez Popitz qui avait même essayé de jouer la carte de Himmler contre Hitler. Ceci explique pourquoi ce réseau n’a pas été inquiété outre mesure avant l’attentat du 20 juillet.
L’autre courant est celui du cercle de Kreisau, plus politique même si des personnalités majeures de la caste militaire en font partie. On retrouve d’ailleurs des héritiers de l’aristocratie militaire prussienne comme Von Moltke, le petit neveu du maréchal prussien des guerres napoléoniennes ou encore Yorck, le descendant du général prussien, à l’origine du retournement d’alliance entre le Tsar et Napoléon en 1812. mais le cercle de Kreisau est aussi ouvert à des socialistes comme Julius Leber et les comploteurs rédigent d’ailleurs un programme qui intègre une dimension sociale.
Des contacts auraient même été pris d’après l’auteur, avec des personnalités du parti communiste clandestin.

L’échec de l’attentat

L’attentat échoue, à la fois par manque de chance, ce qui va certainement contribué à accréditer l’idée de la chance de Hitler, voulu par Dieu, mais aussi du fait de la nature humaine. Nombreux sont ces acteurs du complot qui n’ont pas su aller au bout de leur engagement.

Stauffenberg qui pose sa bombe sous la table de réunion contre un pilier de béton est persuadé d’avoir réussi son attentat mais la bombe n’est pas assez puissante, la table en chêne fait écran, la construction en vois qui abrite la réunion ne concentre pas le souffle et n’est donc pas meurtrière, (Cinq généraux mourront de leurs blessures mais si la réunion avait eu lieu dans le bunker, comme prévu, le souffle aurait été beaucoup plus meurtrier et Hitler n’aurait certainement pas survécu.)

La suite est connue, le complot échoue, les conjurés arrêtés et exécutés très rapidement comme Stauffenberg tandis que les gradés les plus importants seront chassés de l’armée avant d’être jugés par un tribunal du peuple. Ils seront condamnés à mort par pendaison avec un raffinement particulier.

Au final, cet ouvrage se lit facilement même si les références historiques sont solides. L’épilogue est évidemment sanglant d’autant plus que la providence ayant épargné Hitler, ce dernier s’engage dans une fuite en avant entouré de ses plus proches fidèles, et soutenu, qu’on le veuille ou non par la population et par l’armée.

Il reste de ce complot ces militaires au sens de l’honneur développé, qui ont vécu des drames intérieurs et dont le courage était immense qui ont été capables de dire non. Ils n’étaient pas les plus nombreux ni les plus ouverts au monde mais ils ont su, par leur sacrifice sauver l’honneur de cette armée allemande, compromise dans le nazisme. Peut-être ont-ils aussi accrédité l’idée que la Wehrmacht n’était pas impliquée dans la solution finale ce que de nombreux travaux ont infirmé par ailleurs.

Bruno Modica © Clionautes