Notre collègue Thomas Pfeiffer prépare à l’Université de Strasbourg une thèse sur le concept d’animal nuisible, loup, lynx, dans les montagnes françaises du XVIIè eu début du XXè siècle. Il nous propose ici une étude régionale sur deux siècles qui retrace la traque du prédateur par les Brûleurs de loups comme on les a nommés en Dauphiné à partir d’une enquête d’histoire orale sur le dernier spécimen abattu à Vignieu en 1954, épisode qui a fait ressurgir les représentations collectives, un pan de notre patrimoine culturel qui exprime notre rapport à la nature. Cette expression dauphinoise est-elle particulière à cette région des Alpes? Pourquoi garde-t-elle, encore aujourd’hui un tel attrait?

Cet essai d’ethno histoire est placé dès l’introduction dans la filiation braudelienne d’une étude sur le temps long. L’enquête, en remontant le temps, vise à montrer les racines de la tradition des brûleurs de loups.

Peur et Rumeur au pays des Brûleurs de loups en 1954

Le loup représente la nature brutale qu’il faut alors détruire pour restaurer le calme. L’auteur retrace rapidement la battue organisée en janvier 1954 en Nord-Isère qui met fin au vagabondage du dernier loup connu en France avant sa réapparition récente. Comme autrefois la chasse a mis en évidence les solidarités villageoises, on retrouve aussi les peurs collectives dans la rumeur qui se propage autour d’une louve et des petits qui auraient été vus… et qui se répand dans toute la région, beau sujet d’analyse de ce phénomène de la rumeur que l’auteur suit dans les archives de presse jusqu’à la grande battue organisée avec le renfort d’un avion de l’armée américaine et plus de 2000 traqueurs: on peut parler d’une véritable psychose.

Le loup en Dauphiné, un enjeu de la peur et de la mémoire collective.

Un survol des rapports de l’homme et du loup depuis la préhistoire replace cette peur ancestrale dans des époques où les épidémies, les famines, les très fortes mortalités ont amené le loup très près des villages et des villes où il eut sans doute un rôle positif d’épurateur des cadavres. Très présent dans la toponymie, les attaques attestées du loup sur l’homme sont néanmoins peu nombreuses malgré la mauvaise réputation que lui fait Buffon dans son histoire naturelle et le rôle de menace du troupeau des fidèles dans les textes chrétiens. Le prédateur, concurrent de l’homme est pourchassé mais aussi utilisé comme bouc-émissaire. L’idée de conserver la dépouille du loup de Vignieu montre comment il a pu incarner une culture collective en Dauphiné et devenir un enjeu de rivalités villageoises en plein XXème siècle.

Une tradition en Dauphiné les “Brûleurs de loups”

Si l’origine de l’expression “brûleurs de loups” reste obscure l’auteur pose la question de son aire géographique comme temporelle et de sa signification comme tradition des usages et des mentalités d’une communauté montagnarde face au loup. Il semble bien d’après la toponymie et les armoiries que l’animal ait laissé une empreinte forte en Dauphiné comme une sorte d’exorcisme de la peur née de la confrontation. Si la tradition d’utiliser le feu pour se protéger de la bête est sans doute très ancienne et clairement attestée dans le “traité des bêtes à laine” de l’abbé Carlier, c’est peut-être à l’archevêque Le Camus que l’on doit le passage à la postérité le terme de “brûleur de loups”. La pratique de faire de grands feux semble avoir plusieurs motifs: chasser ou éloigner les bêtes des villages mais aussi dans plusieurs cas un prétexte pour agrandir les terres emblavées aux dépens de la forêt.
Pour ce qui est du loup l’ardeur des chasseurs est à mettre en parallèle avec les primes annoncées pour les captures, l’appât du gain fut peut-être plus fort que la peur et le danger réel. L’auteur nous propose ici des descriptions précises des battues à travers la montagne avec force bruit et rassemblement de population. Face aux quelques victimes dénombrées on peut penser que ces battues ont été utilisées pour canaliser la violence rurale. L’exemple de la battue de 1754 montre comment une véritable psychose a pu se développer en bas Dauphiné, assez comparable à ce qu’il s’est passé deux siècles plus tard. C’est au XIXème siècle que les statistiques permettent de comprendre comment l’homme est devenu seul maître des bois face au loup avec une moyenne de 17 bêtes abattues par an jusqu’en 1850; pour éviter toute fraude le chasseur pour toucher la prime devait fournir les deux oreilles.

Dernière instrumentalisation peut-être l’usage persistant de l’expression “brûleur de loup” comme signe de force, de courage, de ténacité que l’on retrouve comme titre de presse, dans la publicité ou dans le nom de la très actuelle équipe grenobloise de hockey.

Ce petit ouvrage est complété d’environ 150 pages d’annexes reproduisant les documents utilisés pour l’étude du Loup de Vigneu mais aussi des documents plus anciens et d’une très riche bibliographie.

Pour compléter cet ouvrage

dossiers Grands carnivores dans les Alpes et las Carpates :cohabiter avec les prédateurs http://fr.alparc.org/actualites/nouvelles-de-l-international/nouveau-dossier-thematique-d-alparc

Christiane Peyronnard