Sur un air de fado est le dernier album de Nicolas Barral, paru aux éditions Dargaud en janvier 2021. L’auteur qui a déjà réalisé plus d’une vingtaine de bandes dessinées, signe ici son premier album en tant qu’auteur complet réalisant à la fois le scénario et le dessin. L’exercice n’est pas simple d’autant plus que N. Barral aborde un sujet complexe. En effet, Sur un air de fado nous plonge dans le Portugal de Salazar, plus précisément à Lisbonne en août 1968. Le vieux dictateur vient d’avoir une attaque cardiaque, et certaines personnes en quête de liberté aimeraient pouvoir tirer profit de cette situation. Ce n’est pas le cas de Fernando Pais, médecin lisboète des beaux quartiers, et personnage principal de l’ouvrage, qui prend la vie avec douceur. Toutefois derrière cette gaieté de façade se cachent des souvenirs profondément enfouis qui remontent peu à peu à la surface après avoir croisé la route d’un gamin, révolutionnaire en herbe qui n’hésite pas à s’en prendre à la police. Le lecteur comprend alors que derrière la bonne humeur du médecin se cache en réalité un lourd secret, celui d’un engagement abandonné.

Plusieurs thématiques sont abordées au sein de cet album, tout d’abord celle de la dictature et du le rôle de la police dans la surveillance et la répression de la population. À plusieurs reprises, l’auteur prend le lecteur en témoin des actes de violence de la part des autorités portugaises à l’encontre de la population (pression psychologique, bastonnade, torture). Le thème de l’engagement tient aussi une place importante dans l’ouvrage. Au travers du personnage principal, l’auteur cherche à définir la notion de résister et tente de comprendre quelles peuvent-être les motivations d’entrer en résistance. En effet, nous apprenons au fil des pages les raisons de l’engagement de jeunesse de Fernando Pais dans le militantisme anti-Salazar. Néanmoins, cet épisode a laissé dans son esprit de profondes cicatrices ce qui le pousse à oublier cette période. Ainsi, sans donner de réponse et sans aucun jugement, N. Barral se demande également s’il est condamnable de rechercher le bonheur au sein d’un dictature quitte à fermer les yeux sur certaines pratiques inhumaines. Enfin, l’auteur aborde la question familiale car l’histoire nous fait comprendre le parcours diamétralement opposé de deux frères qui, sans se détester et sans couper les liens sont opposés par leurs idées.

Pour conclure, Nicolas Barral réalise ici un très bel album. Le crayonné est fluide et agréable à regarder. Les couleurs rendent parfaitement la douceur de vivre recherchée par l’auteur et même les nuits paraissent douces. Au contraire elle s’assombrissent lorsque le temps devient plus mélancolique. L’auteur joue avec le rythme et n’hésite pas à placer des moments de pause pour laisser vagabonder la réflexion et les souvenirs du personnage principal.

Pierrick Banchereau

____________________________________________________________________________________________________

 

Recension de Grégoire Masson

Sur un air de Fado débute le 3 août 1968 par l’accident cérébral du dictateur Salazar et met en scène le docteur Fernando Pais, homme affable et séducteur avéré.
Personnage psychopompe, passant des bureaux de la PIDE, la sinistre police d’État, aux milieux contestataires, Fernando Pais replonge aussi régulièrement dans son passé, à la fin des années 50. C’est à cette époque qu’il fit la rencontre de la belle Marisa, étudiante en lettres, militante communiste et future femme. Cette union débouchera sur une opération ratée qui marquera durablement le protagoniste de ce roman graphique…
Les planches du Portugal de Barral sont tout simplement magnifiques (on se promène avec délectation dans les rues de Lisbonne) fourmillant d’un luxe de détails, comme cette évocation des hétéronymes de Fernando Pessoa, l’indicateur de la PIDE qui en épouse les traits ou encore ces œillets offerts par Fernando Pais à Ana, sa future promise, en prémices à la révolution à venir.
C’est aussi un beau livre sur l’amour, la politique et les liens fraternels.
Triste et lumineux comme un air de Fado en somme.