Cécile Guillaume, Syndiquées. Défendre les intérêts des femmes au travail,  Les Presses de Sciences Po, Paris, 2018, 256 p., 24 euros

«  La féminisation des syndicats est en marche. Bien que sélective et inachevée, elle progresse […] Qu’en est-il des effets de cette féminisation sur la prise en charge des intérêts des femmes dans le monde du travail ? Suffit-il d’avoir des femmes syndicalistes engagées dans la « cause des femmes » pour faire avancer leurs droits ? » (p. 179). C’est à ces questions et à de nombreuses autres que le travail d’enquête de Cécile Guillaume qui porte sur des syndicats en France et au Royaume-Uni entend répondre.

L’auteure, sociologue, a mené un travail d’enquête, au début des années 2000, d’abord comme salariée d’un syndicat, la CFDT, puis comme universitaire et s’est appuyée sur des travaux menés depuis des années avec  Sophie Pochic. Elle mène une recherche « doublement comparative » (p. 51) sur des syndicats britanniques et français (CFDT et Solidaires) qui repose sur des sources écrites classiques et de très nombreux entretiens auprès de militantes et de militants dans les deux pays et dans des syndicats différents (p.8-9). Et c’est un des intérêts majeurs de l’ouvrage que cette comparaison entre deux pays aux situations politiques et sociales ainsi qu’aux législations différentes. Ce qui amène le lecteur trop « franchouillard » à ouvrir son esprit, à s’intéresser au syndicalisme du RU et à prendre connaissance d’une bibliographie anglo-saxonne riche et trop souvent ignorée. Lecteur qui aurait cependant mérité un index plus ample et plus détaillé.

 Il n’empêche, la première partie, permet de se mettre à jour avec une présentation claire « des recherches sur le genre et le syndicalisme, principalement anglo-saxonnes, montrant l’évolution progressive de la prise en compte du genre dans le champ des relations professionnelles » ainsi qu’une présentation de la méthodologie de l’enquête. Les syndicats, affirme l’auteure, ont développé des politiques d’égalité visant à démocratiser les organisations tout en cherchant à se renforcer en touchant des publics jusque-là peu syndiqués. Cependant, cette féminisation est sélective car les postes pris par des femmes ne sont pas n’importe lesquels et car les femmes qui accèdent à des postes de responsabilités importants sont souvent qualifiées, en emploi stable, travaillent dans des lieux où la présence syndicale est reconnue et donne droit à du temps syndical. « Dans les deux pays, ces attributs riment plutôt avec ‘femmes blanches’ » (p.41). Toutefois, des grèves de femmes se sont développées depuis quelques années dans des secteurs où domine une main d’œuvre féminine peu qualifiée, parfois issue de l’immigration, hôtellerie, grande distribution, emploi à domicile…

La deuxième partie de l’ouvrage porte sur « la fabrication des carrières syndicales ». C’est ainsi que les politistes, qui veulent se démarquer du langage indigène des syndicalistes, nomment ce que les dits syndicalistes appellent des « parcours syndicaux ». L’auteure étudie trois modalités de l’engagement syndical : l’adhésion, la prise  d’un mandat local et la prise de responsabilité. Si la féminisation des adhérents-adhérentes a progressé, l’accès à des responsabilités est plus difficile pour les femmes. Les obstacles sont nombreux : répartition inégale des tâches dans la famille, difficulté à concilier profession et activité syndicale, obligation d’être très disponible voire très mobile sur le plan géographique à un certain niveau de responsabilités… mais aussi  nécessité d’avoir des « compétences techniques et managériales » (p. 173). Même si les syndicats portent une politique d’égalité de manière volontariste, les résultats sont parfois limités et peuvent placer les femmes qui ont accès aux responsabilités nationales dans des situations difficiles.

La troisième partie porte sur des actions longtemps négligées par le syndicalisme en particulier en France. En effet, dans ce pays l’action en justice a longtemps été peu considérée et peu valorisée par le mouvement syndical. Or, les « mobilisations syndicales juridiques en faveur de l’égalité salariale » se sont développées au RU depuis les années 1970. Elles sont fréquemment liées à l’engagement « d’acteurs critiques », femmes ou hommes : féministes d’associations, syndicalistes femmes -féministes, syndicalistes hommes convaincus de la nécessité du combat pour l’égalité salariale, avocats… Cette bataille pour l’égalité salariale a permis « la diffusion d’une conscience du droit chez les syndicalistes et les femmes salariées » (p. 230). Certaines de ces actions en justice ont été couronnées de succès y compris à des moments où le mouvement syndical semblait affaibli. Enfin, en ces temps de Brexit, il est intéressant de noter que dans ce combat le mouvement syndical a pu, au Royaume-Uni, s’appuyer sur le droit communautaire pour faire avancer les droits des femmes.

Un livre attentif aux stratégies des femmes pour faire leur place dans les syndicats et aux obstacles qu’elles y rencontrent mais aussi aux combats menés par les femmes dans le monde du travail. Ouvrage qui peut intéresser les historiens comme les enseignants de Sciences économiques et sociales.