Terres, pouvoirs et conflits retrace l’histoire du monde en faisant de la question foncière un enjeu majeur. Pierre Blanc démontre que les inégalités d’accès et de possession de la terre ont été et demeurent un moteur politique décisif. Son étude porte essentiellement sur les XIXe et XXe siècles. Il aborde tous les continents.
Pierre Blanc, spécialiste de géopolitique, est enseignant-chercheur en géopolitique à Bordeaux Sciences Agro et Sciences Po Bordeaux. Il choisit une approche géo-historique qui conduit d’une vision continentale à des focus très locaux, à l’aide d’une grille de lecture commune permettant ainsi des rapprochements, des comparaisons. Comment l’histoire de la propriété foncière a-t-elle conduit à des conflits, parfois sanglants, en allant chercher dans les siècles précédents les facteurs explicatifs.
Europe, la fin d’une histoire ?
Le système foncier est décrit depuis le XVe siècle. Chaque contrée est approchée par sa spécificité : Les enclosures britanniques, les polders des Provinces-Unies, la longue fin de l’Ancien régime pour la France. Une Europe de l’Ouest qui connaît une progressive libéralisation de la propriété foncière alors que dans le même temps, de l’Allemagne à la Russie on assiste à un retour du féodalisme. Dans les pays du Sud de l’Europe la grande propriété foncière est un héritage de leur longue histoire.
Après ce tour d’horizon l’auteur développe quelques conflits politiques en relation avec l’inégal accès à la terre et leur inscription dans le temps long de l’histoire jusqu’aux récents achats de terre par les Chinois.
Amériques : un contraste agro-politique entre Nord et Sud
L’Amérique latine est décrite de la civilisation du maïs à l’hacienda coloniale, grande propriété qui demeure au-delà de la chute des empires espagnol et portugais. La question agraire est présenté comme le moteur de l’histoire du sous-continent. Mexique, Nicaragua, Colombie… chaque pays est étudié pour lui-même.
Au Nord après les conflits entre Amérindiens et migrants européens, la distribution des terres est plus égalitaire aux dépens des premières nations. L’auteur décrit l’émergence de la puissance agro-industrielle des États-Unis.
Asie : le nombre et le manque
La question de la terre vient à la fois de l’histoire locale féodale qui s’appuie sur la stratification sociale et de la colonisation.
En Inde, les plantations britanniques ont supplanté le système des zamindari moghols dans la partie orientale et en Birmanie, et le système mahalwari au Penjab.
Dans la Chine des Mandarins l’accès à la terre est inégal jusqu’à la révolution de 1912. L’Indochine est marquée par l’empreinte française. Ni les Philippines, ni le Japon ne sont oubliés.
Les révolutions chinoises sont mises en avant comme symbole l’une révolte agraire et politique même si l’évolution récente de la Chine de Mao s’accompagne d’une rupture de la politique foncière qui favorise l’émergence de grandes unités foncières capitalistiques.
Une description de la situation des principaux états asiatiques complète ce chapitre.
Moyen-orient : la conflictualité vue depuis la terre
Ce chapitre permet une analyse des mécanismes complexes et différenciés de la question foncière dans des zones désertiques et semi-désertiques. L’histoire marque aussi cette question selon que la région a été soumise à l’empire ottoman ou non. L’auteur reconnaît que la question agraire ne peut à elle seule expliquer les conflits contemporains au Proche-Orient. L’aridité qui a eu un fort impact sur l’accès à la terre dans les oasis, pousse aujourd’hui les États du Golfe à rechercher des terres ailleurs.
Comme, pour les autres chapitres on dispose d’une présentation détaillée de la question foncière et des conséquences politiques dans les pays autrefois sous tutelle ottomane : Anatolie, Liban, Irak, Syrie, Palestine, Jordanie ; mais aussi en Iran, en Egypte et sa faim de terre et dans les pays du Golfe.
Afrique : passé et présent d’un « réservoir » de terres
Si l’Afrique a pu être perçue, à la fois, comme un réservoir de main-d’œuvre avec la traite et de terres à exploiter lors de la colonisation, elle peut apparaître, aujourd’hui, comme une opportunité pour les pays à l’étroit sur leur sol et qui cherchent à contrôler ses espaces par l’accaparement de terres.
C’est au Nord, Maghreb sous influence latine et au Sud, Afrique australe anglo-saxonne que la marque de la colonisation sur le foncier est la plus forte.
L’auteur aborde les évolutions post-coloniales comme la captation par l’État en Algérie où la réforme de 1990, si elle a mécontenté les paysans, ne les a pas jetés dans les bras des islamistes. L’auteur propose une analyse de la situation marocaine, tunisienne. Il conduit le lecteur en Afrique du Sud, au Zimbawe, dans les anciennes colonies portugaises d’Angola et du Mozambique avant d’aborder l’ethnicisation de la terre en Afrique de l’Est (Rwanda, Éthiopie, Soudan) et rapidement en Afrique de L’Ouest et centrale où le droit coutumier s’est, en partie, maintenu. L’Afrique est un continent où les trajectoires agro-politiques sont très diversifiés et où les tensions agraires demeurent fortes.
Pour conclure ce voyage
L’auteur réaffirme sa problématique, l’existence d’un « lien dialectique entre les structures socio-agraires et l’histoire politiques des États contemporains »1. Pour l’auteur le lien terres-puissance reste aujourd’hui une réalité.
Si l’approche géohistorique est intéressante, la question agraire ne saurait portant tout expliquer en histoire.
Vous pourrez aussi lire la recension de cet ouvrage par Rémi Burlot
———————————————-
1 Citation p. 375