Réunis sous la direction du géographe spécialiste de l’aménagement Martin Vanier, les actes des Entretiens de la Cité des Territoires qui se sont déroulés à Grenoble les 7 et 8 juin 2007 et intitulés « Territoires, territorialité, territorialisation … et après ? » sont consacrés à l’évaluation mais aussi à l’évolution du territoire en tant que concept central de la géographie contemporaine mais aussi, et plus généralement, des sciences sociales ainsi qu’à ses prolongements théoriques : la territorialité et la territorialisation. Ces entretiens ont réuni non seulement des géographes français mais aussi étrangers (helvète, italien, britannique) ainsi que des chercheurs issus d’autres disciplines (sociologie, philosophie, histoire, sciences politiques, économie).

Dans sa contribution, M.-V. Ozouf-Marignier, géographe et historienne intéressée aux recompositions territoriales que connaît la France et l’Europe à l’époque contemporaine, rappelle la genèse d’un concept qui, s’il prend corps dans les années 80, est déjà présent en filigrane dans la géographie classique. Le géographe B. Debarbieux, dont l’article ouvre ces actes, rappelle les termes du débat qui réunit ces chercheurs. Le concept de territoire semblerait, comme d’autres avant lui, moins pertinent à mesure qu’il sortait du champ de la géographie et que le terme devenait de plus en plus polysémique. Au sein même de la géographie, sa définition théorique serait de plus en plus approximative. Est-ce un idéal-type ? Est-ce un objet singulier ? D’autre part, il n’aurait pas la même signification à l’étranger.

Selon Martin Vanier, si les termes du débat sont partagés et conduisent à une révision nécessaire du concept, deux tendances se dessinent au sein de la recherche et forment les deux premières parties de cet ouvrage. Les uns seraient les tenants d’« un paradigme augmenté », les autres d’ « un paradigme débordé ». Si les approches sont différentes, il ne s’agit donc pas d’être pour ou contre le territoire. Seul Denis Retaillé se place dans cette posture. Fortement inspiré par ses réflexions sur la mondialisation, ce géographe inscrit la question de la mobilité au cœur de son raisonnement et élabore une théorie selon laquelle les lieux sont sans cesse en émergence et donc par essence mobiles. Le territoire avec ses bornes ne serait donc plus qu’une fiction géographique.

Pour les tenants du « paradigme augmenté », le territoire est un concept toujours d’actualité mais qu’il est nécessaire de faire évoluer. D’une certaine manière, ces chercheurs ont en commun de mieux cerner voire de redéfinir les logiques des acteurs qui font le territoire. Pour ne prendre que deux exemples, à travers l’analyse des « territoires numériques », le philosophe et spécialiste de télécommunications, Pierre Musso, souligne que de nouvelles approches sont nécessaires pour appréhender tant l’appropriation que la polarisation de ces réseaux dont les acteurs sont déterritorialisés et dans lesquels la distance est moins physique que sociale, symbolique et mentale. De son côté, le géographe Patrice Mélé s’appuie sur ses études des conflits territoriaux liés aux questions d’environnement, de patrimoine pour montrer que l’appropriation de ces territoires est de plus en plus réflexive. Les contributions, d’une part, de Bernard Debarbieux et, d’autre part, de Raymonde Séchet et de Régis Keerle, géographes respectivement spécialistes des sports et des inégalités sociales, proposent chacune une vision unificatrice des trois concepts. La seconde s’appuie, pour partie, sur la manière d’ « habiter les lieux, d’habiter la Terre » et peut offrir une perspective théorique au nouveau programme de Géographie de 6e.

Le second groupe de chercheurs « débordent » le paradigme territorial dans la mesure où il ne peut plus tout à fait être central pour eux. A travers les analyses des évolutions qu’ont connues les territoires dans leurs rapports avec l’Etat, le politiste Emmanuel Négrier mais surtout le sociologue et spécialiste de la politique de la ville, Renaud Epstein, avec l’idée d’un « gouvernement à distance » des acteurs locaux par l’Etat en France, montrent l’émergence d’un nouveau modèle territorial avec une territorialisation nettement moins contractuelle. D’autres contributions, notamment celles des géographes Laurent Cailly et Stéphanie Lima, préfèrent insister sur le fait que la territorialité n’est qu’une des dimensions de la spatialité, c’est-à-dire que l’appropriation n’est qu’une des formes du rapport à l’espace. Pour Stéphanie Lima, le territoire est bien un objet géographique mais n’est qu’un des types d’espace possibles.

A la fois mise en perspective des contributions précédentes mais aussi regards personnels et pluridisciplinaires, les articles de la dernière partie intitulée « Rebonds » insistent d’une part, sur la nécessité de l’évolution du concept mais mettent en garde contre une remise en cause trop radicale de “ces notions territoriales [qui] n’ont pas encore délivré tout leur suc” (Bernard Pecqueur, économiste et aménageur, directeur du laboratoire organisateur de ces entretiens).

La lecture de ces actes n’est pas d’un abord aisé. Les exemples sont rares et le propos des auteurs est souvent exclusivement théorique. Cependant, elle apportera au lecteur curieux des derniers développements de la recherche une mise au point sur l’un des concepts centraux de la géographie. Le professeur d’Histoire-Géographie de collège, déstabilisé par le nouveau programme de Géographie de 6e qui fait la part belle à la manière dont les différentes sociétés humaines habitent la Terre, trouvera quant à lui d’utiles éclairages théoriques.

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