Sous la direction de trois géographes du Grand Ouest, les PUR dont la réputation qualitative n’est plus à faire, nous offrent ici 16 contributions des plus éminent.e.s spécialistes français du tourisme.

L’ouvrage qui intéressera tout particulièrement les enseignant.e.s d’histoire-géographie et les candidat.e.s aux concours des agrégations et du capes questionne, à l’heure de la mondialisation, le rôle du tourisme, phénomène planétaire, dans la structuration et la restructuration de territoires ou de lieux qui pouvaient ou peuvent apparaître comme périphériques ou en « marge ». Cette dernière désigne : « un espace qui ne fait pas pleinement partie du système, [et qui] peut se confondre avec la périphérie touristique »Bernard N., Blondy C. et Duhamel P. (dir.], Tourisme et périphéries. La centralité des lieux en question, Presses Universitaires de Rennes, Collection « Espace et Territoires », 2017, p. 11.. Toutefois, les auteurs distinguent la périphérie de la marge, dont les interactions avec le centre seraient plus faibles. Le tourisme selon ces derniers est ainsi une activité permettant aux lieux de sortir de leur isolement et la mise en tourisme serait créatrice de centralité(s) selon un gradient plus ou moins fort selon les espaces et les sociétés ; la mondialisation permettant de repousser les limites de l’œcoumène touristique.


Ce recueil est très structuré, clair et dense (des bibliographies complètent chacune des interventions pour le lecteur ou la lectrice désireux de poursuivre la réflexion). Il est découpé en trois grandes parties (chacune introduite par une brève synthèse) et est alimenté par une iconographie importante (des photographies, des cartes, des schémas…). Cela rend la lecture plaisante et aisée.

La première partie s’intéresse aux acteurs et aux pratiques ou postures face au tourisme.Ce phénomène étant définit comme « un système d’acteurs, de pratiques et d’espaces qui participent de la ‘’récréation’’ des individus par le déplacement et l’habiter hors des lieux du quotidien »Knafou R. et Stock M., in Lévy J. et Lussault M., Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, Belin, 2013 [1re éd. 2003] p. 1018., les touristes apparaissent ainsi au « cœur du système par leur présence, leurs attentes et leurs pratiques »Bernard N., Blondy C. et Duhamel P. (dir.], [footnote]Tourisme et périphéries. La centralité des lieux en question, Presses Universitaires de Rennes, Collection « Espace et Territoires », 2017, p. 15.[/footnote] et malgré de grandes permanences dans le temps (MIT, 2011), ils contribuent toutefois à bousculer les territoires. Le jeu des acteurs, les politiques touristiques anciennes et actuelles, le rôle et place de pratiques « nouvelles » parfois « marginales » dans l’intégration des périphéries sont analysées dans les 7 premières contributions. Dans une première (dans laquelle les aspirant.e.s aux concours feront aisément des ponts avec la question de la France des marges), Philippe VIOLIER analyse les réussites et les échecs des politiques publiques en France dans le développement et l’intégration de territoires considérés comme marginaux c’est-à-dire « hors des espaces fréquentés de manière dense par les touristesIbid., p. 17. En effet, la réussite ou l’échec des projets touristiques s’appuie sur des représentations, des « discours » valorisant tel ou tel type de tourisme jugé « bon » par les politiques (culturel, actif, durable…). Qualifier un projet de « touristique » ne signifie ainsi pas qu’il le sera de manière effective bien que, dès la fin du XIXe siècle avec la multiplication des mobilités touristiques, la puissance publique soit intervenue dans le champ du tourisme qui apparaît très tôt comme un « levier possible de développement »Ibid., p. 19.. Des cas d’initiatives politiques touristiques fortes menées par des acteurs publics dans des régions et des départements peu touristiques et leurs réussites ou échecs sont analysés. Dans la seconde intervention, Emmanuel JAURAND s’intéresse, dans une étude de cas géohistorique, à l’intégration d’une ancienne marge touristique (le littoral languedocien) par les pratiques spécifiques et marginales du naturalisme et du nudisme. Le développement touristique de cette région voulu par les acteurs locaux et certains groupes de touristes d’un côté et le rôle moteur de l’État aménagiste de l’autre (par la Mission Racine, lancée en 1963, notamment) sont analysés. Ainsi, c’est finalement un modèle urbain fonctionnaliste fondé sur la séparation spatiale (modèle de l’enclave du Cap d’Agde) qui a été adopté. Le devenir de cette enclave est notamment questionné, notamment dans ses relations avec le centre Ibid., pp. 41-43., puis celle Port-Leucate qui semble suivre un chemin radicalement opposé à sa consœur fort célèbre. Dans l’intervention suivante, Clémence PERRIN-MALTERRE s’intéresse au rôle des acteurs locaux afin d’éviter la marginalisation touristique de leur territoire en se penchant sur le cas de la commune de Saint-Pierre de Chartreuse (commune de 1000 habitants en périphérie de l’agglomération grenobloise) qui a « longtemps vécu de l’agriculture et du commerce du bois » mais qui est rapidement devenue la « plus grande station de sport d’hiver du massif » Ibid., p. 49.. Elle doit cependant faire face aux évolutions climatiques qui influencent directement la qualité d’enneigement des montagnes actuellement. Ainsi, la diversification touristique apparaît comme nécessaire et les jeux des acteurs dans la mise en tourisme du territoire (perçu comme potentiel vecteur de développement) de ce territoire sont analysés. La diversification qui s’effectue d’abord autour du VTT puis de nouvelles pratiques comme le trail ont permis à ce territoire de « renouveler son attractivité » et « de ne pas se marginaliser sur le marché touristique » Ibid., p. 55.. Ainsi, les aménagements réalisés et la coordination des acteurs locaux ont permis de redéfinir le statut touristique de la station jusque-là centrée sur la saison hivernale. Marie-Ève FEREROL poursuit cette réflexion en s’appuyant sur une étude de cas régionale : la Région Auvergne, géographiquement au centre du pays, mais périphérie par ses caractéristiques, classée en 2010 par le rapport Vigneron parmi « les régions fragiles, marginalisées, vieillissantes et de condition modestes Ibid., p. 62». L’article analyse ainsi « de quelles manières les acteurs locaux du tourisme vont valoriser les handicaps [comme la faible accessibilité, la fermeture ferroviaire, et l’enclavement dont souffre la région, malgré des autoroutes comme l’A71, l’A75 et l’A89] de départ pour en faire des stimulants touristiques » Ibid., p. 62.. Dans cette région, les aménagements sont menés par le Comité régional de développement touristique (CRDT) soutenu par le Conseil général. Ce Comité a choisi de renverser l’image négative de celle-ci perçue comme « arriérée » Ibid., p. 63. et ses habitants comme des ruraux dont le mode de vie n’aurait guère évolué depuis longtemps. Ainsi, à l’aide d’un marketing offensif et de la marqueterritoriale « Auvergne Nouveau Monde », les acteurs du tourisme auvergnat ont lancé un pari risqué… Sylvine PICKEL-CHEVALIER et Philippe VIOLIER s’intéressent ensuite à l’île de Bali, marge plurielle (géographique, historique, culturelle et sociale) » Ibid., P. 78. «interrogeant les notions de périphéricité, de centralité et de dépendance dans un contexte historique et politique indonésien évolutif. Cependant, si Bali peut être considérée comme une marge, elle n’en demeure pas moins un « lieu de centralité touristique fréquenté en 2015 par 4 millions de touristes internationaux et 7.15 millions de touristes domestiques (Bali Government Tourism Office 2016) »Ibid., p. 78. et constitue donc un « territoire propice à l’interrogation des effets du tourisme dans le couple centre/périphérie »Ibid., P. 78.. En somme, le tourisme est dans ce cas précis, selon les auteurs, un « facteur de transgression de la périphéricité vers la centralité»Ibid., p. 98., un « vecteur ambigu du modèle centre/périphérie »Ibid., p. 98. dans la mesure où il « se nourrit de la marge culturelle qu’il construit et entretient pour générer une attractivité pouvant engendrer une centralité nouvelle ». Mathias FAURIE s’intéresse ensuite à une pratique touristique relativement originale, assez marginale et très prometteuse pour le développement local (le tourisme de pêche sportive en Océanie) dans des territoires insulaires qui peuvent « faire valoir leur atout de périphérie vierge et paradisiaque » Ibid., p. 103.. algré tout, le développement de cette pratique demeure marginal et les effets sur les territoires très contrastés. Ce secteur fait ainsi l’objet de réticences des populations et des acteurs institutionnels qui lui préfèrent le « secteur de la pêche commerciale qui polarise la majorité des aides et des programmes de développement »Ibid., p. 104.. Enfin, Anne GAUGUE conclue cette première partie par une analyse des itinéraires touristiques en mer à travers le cas des croisières hauturières cherchant à comprendre comment à travers ces itinéraires se construisent des centralités dans les lieux de navigation. Le paradoxe entre l’attrait et la recherche de la part des croisiéristes d’escales considérées comme périphériques (angles délaissées, isolats) à l’écart des principaux itinéraires et la nécessité de passer par des grands centres (ports, escales offrant « des infrastructures et des services utiles au navigateur »Ibid., p. 121. existe bien et cet article permet d’analyser la fabrique de centralités touristiques maritimes par les croisiéristes.

La seconde partie de l’ouvrage s’attache, à partir de six contributions, à étudier l’extension, l’intensification et la densification de l’œcoumène touristique alimentant la réflexion sur « la place du tourisme dans le processus d’intégration des marges et la centralisation, [… le tourisme étant] un des leviers permettant de corriger [la] dissymétrie entre le centre et la périphérie, en contribuant à rééquilibrer les flux de personnes, de capitaux et d’informations entre ces deux entités spatiales » Ibid., p. 131.. Carole BLONDY, Jean-Christophe GAY et Hélène PÉBARTHE-DÉSIRÉ abordent ainsi la question de l’instrumentalisation de la périphicité insulaire à travers le cas du tourisme dans les îles tropicales en menant une comparaison entre Maurice, la Nouvelle-Calédonie et la Polynésie française. Les politiques mises en œuvre peuvent ainsi contribuer à faire sortir les périphéries insulaires de l’isolement et en faire de véritables « centres touristiques à l’échelle mondiale, à l’instar d’Hawaï et de ses 8,6 millions de touristes ou des Maldives et de Maurice qui ont respectivement atteint un million de touristes en 2013 et en 2014 »Ibid., p. 135.. Mais, les auteurs soulignent également les différences dans la réussite des trajectoires touristiques selon les territoires et les acteurs qui les mettent en œuvre et l’inégal gain de centralité qui en résulte. Antoine DELMAS, Amina FELLAH et Michel DESSE s’intéressent ensuite à des espaces situés aux limites de l’œcoumène et donc pendant longtemps restés à l’écart de la mise en tourisme : les déserts chauds et froids (Sahara et Groenland). Ces territoires et leurs habitant.e.s présentent des images identitaires fortes pour des voyageurs occidentaux de plus en plus nombreux et en quête d’ « authenticité » et d’aventure. L’imaginaire véhiculé par ces espaces marginaux, ultrapériphériques et à fortes contraintes favorise une mise en tourisme aidée par un fort marketing territorial. Cette dernière aboutit à une dichotomie spatiale entre des centres qui « impulsent la dynamique de mise en tourisme et constituent des portes d’entrée vers des espaces périphériques fréquentées selon les moyens et les temporalités des touristes » Ibid., p. 173. (des fronts pionniers touristiques) d’une part et des confins qui « restent encore terrains d’aventure et de découvertes pour les touristes particulièrement curieux et téméraires »Ibid., p. 132.. Jérôme LAGEISTE, s’intéresse ensuite à l’exemple de la Patagonie argentine et chilienne, espace de marge et de confins (« Far South touristique ») présentant de fortes discontinuités spatiales. Ce « bout du monde », vide démographique et immensité géographique, est ainsi devenu un front pionnier touristique dynamique et attractif, fonctionne aujourd’hui selon une logique archipélagique de spots touristiques originaux. Nicolas BERNARD et Yvanne BOUVET se penchent ensuite sur l’exemple de l’Argentine afin d’analyser le rôle du secteur touristique dans le processus d’intégration des marges de cet immense pays dans une perspective géohistorique (depuis 1816 et l’indépendance jusqu’à aujourd’hui) et multiscalaire. Le tourisme international est ainsi un facteur d’intégration de l’Argentine (et notamment des marges du pays) à l’économie mondialisée. Christian HÉLION et Sylvie CHRISTOFLE analysent l’échec de la mise en tourisme de l’arrière-pays maralpin, une marge de la Côte d’Azur pourtant haut lieu touristique mondial. Si le littoral azuréen est passé en 150 ans de marge géographique de la France à un lieu central du tourisme à toutes les échelles, la montagne azuréenne demeure elle, une « périphérie d’un système touristique mondialisé » Ibid., p. 231.. Cette partie se conclue par une communication de Samuel JOUAULT, Marcela JIMENEZ MORENO et Ana GARCIA DE FUENTES sur l’arrière-pays touristique de Cancún – Riviera Maya où « la coprésence des touristes et des sociétés locales est bonne dans la mesure où le tourisme ne peut se développer sans l’accord des membres de ces sociétés locales car il existe un contrat tacite entre celles-ci et les touristes » Ibid., p. 233.. En parallèle et en complémentarité avec le tourisme littoral, de masse, se met en place dans cet espace rural un tourisme « alternatif » qui propose de valoriser la culture et les sociétés locales de l’arrière-pays mais qui présente néanmoins quelques difficultés.

Enfin, dans une troisième et dernière partie, les trois contributions réinterrogent les relations centre/périphérie par le tourisme (« ‘’mettre à l’épreuve du feu’’ le modèle centre/périphérie par le tourisme »Ibid., p. 254.). André SUCHET et Salvador ANTON CLAVÉ questionne l’intérêt du concept d’arrière-pays en géographie du tourisme. Après être revenus sur le sens et l’épistémologie de ce concept, les auteurs concluent à la pertinence de celui comme « outil utile pour comprendre le jeu des relations entre les différents espaces, tout spécialement dans le cadre d’une approche de géographie du tourisme »Ibid., p. 254.. Mathis STOCK interroge ensuite le concept de centralité à l’épreuve du tourisme et montre qu’il est difficile d’analyser les lieux touristiques à partir du modèle des lieux centraux, en soulignant la difficulté car « l’articulation entre centralité et tourisme, plus précisément, la conception des lieux touristiques [en particulier les stations touristiques] comme lieux centraux (W. Christaller, 1933) est mise en doute »Ibid., p. 271..

L’auteur va toutefois proposer des pistes pour dépasser ce constat. Enfin Emmanuelle PEYVEL replace le modèle centre/périphérie et son utilisation en géographie du tourisme dans une perspective épistémologique et à travers le cas du Viêt Nam s’attache en particulier à démontrer que ce « modèle à participé à invisibiliser certaines centralités, en particulier dans les anciennes colonies européennes » Ibid., p. 291..

©Rémi BURLOT pour Les Clionautes