Tout ! Ce que nous voulons : tout. Le titre du quinzomadaire et son sous-titre indique clairement l’intention du groupe politique dont il est l’organe, à savoir Vive la Révolution (VLR), qui rassemble des militants tels que Roland Castro, Stéphane Courtois, Richard Deshayes, Rémi Grumbach, Annette Lévy-Willard… Il est l’héritier direct de l’éphémère Vive le communiste, très éphémère journal de la formation maoïste éponyme (VLC) : trois numéros (janvier à juin 1969). Il est aussi celui de Vive la Révolution, qui prend le relais jusqu’à l’été suivant.
Rejointe par des comités divers (dont celui de Censier), les militants de VLR sentent qu’il faut sensibiliser une plus grande fraction de la population. Or, leur journal est essentiellement lu par des gens déjà acquis. Ce sera Tout !. Comme la dénomination choisie pour VLC et VLR, le titre sonne comme une proclamation : un « cri » (p. 41). Mieux : une résolution ferme.

Le premier numéro sort le 23 septembre 1970, distribué dans la région parisienne et dans vingt-trois départements ; les tirages sont de plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires (50 000 pour le n° 9, montrant Richard Deshayes défiguré par l’explosion d’une grenade lors d’une manifestation, p. 117, que l’on aperçoit en haut à droite de l’illustration de la couverture, avant son agression). Et son originalité éclate aussitôt, notamment par comparaison avec la presse politique et militante. Le résultat du positionnement de VLR est un journal complètement débridé, avec une créativité, une liberté de ton et d’expression qu’on a rarement vues. Outre les thèmes abordés, ce qui surprend encore aujourd’hui, ce sont les choix de mise en page reposant sur des couleurs et des illustrations qui occupent une place importante. Autant VLC était encore dans la ligne des publications d’extrême gauche, autant Tout ! s’affirme en prenant un virage éditorial très audacieux. Dans ce numéro et les suivants, le journal cherche à faire connaître les luttes qui se poursuivent un peu partout, en France métropolitaine mais aussi dans les DOM-TOM, notamment dans les Antilles. Il s’attaque aux citadelles interdites par le conservatisme ambiant, comme la sexualité (et l’homosexualité), le féminisme, la condition des travailleurs immigrés, celles des prisonniers, l’environnement, l’autonomie régionale, etc. Et on explore les différentes formes d’expression : des articles classiques, mais aussi des poèmes, des dessins et des bandes dessinées (voir « La puissance ou la jouissance ? » dans le n° 12 du 23 avril 1971, p. 124) qui s’inspirent de la contre-culture américaine (Crumb, le magazine Mad…), des photographies et des montages, des slogans détournés (« Ho-ho-homosexuels ! »)… La dérision est aussi mise à contribution, avec la provocation comme partenaire (Pompidou en veuve joyeuse, après la mort de de Gaulle, p. 98). L’idée est aussi d’associer les lecteurs à la conception de leur journal, et les inciter de cette manière à créer localement leur propre Tout !.

À vouloir se débarrasser du carcan des idéologies que ses concepteurs ont bien connu ailleurs, on peine à trouver en quoi il est l’expression d’une formation maoïste. En réalité, Tout ! a dépassé VLR. Lors d’une réunion tenue le 17 avril 1971, Roland Castro annonce la dissolution et de Vive la révolution. La liberté a débouché sur des fractions qui sont parties (comme le groupe « femmes ») dans d’autres organisations, ou sont en instance de le faire. Il semblerait que la décision tienne aussi à la tentation terroriste d’une partie des militants. /Tout !/ survit un court moment : l’ultime numéro, le seizième, paraît le 29 juillet 1971. Le journal aura vécu l’espace de dix mois

L’ouvrage de Manus McGrogan, historien indépendant, est un condensé de sa thèse sur Tout ! et la presse alternative en France après 1968. On sait (ou on ne sait pas…) la difficulté de ramasser un travail aussi exigeant en deux cents pages, en l’occurrence. Le propos n’en reste pas moins clair, précis. Il s’appuie, de plus, sur des reproductions d’extraits du journal, dans des tonalités de gris qui ne permettent malheureusement pas de rendre compte de l’originalité de Tout !. Mais Manus McGrogan ne se borne pas à faire un historique du journal et de VLR. En s’appuyant sur des témoignages, il replace son évolution dans le contexte politique de cette époque, dans celui des luttes sociales. Il montre tout ce qui en fait l’originalité et la force, avec ce qu’il emprunte aux courants culturels, y compris étrangers. Il établit enfin l’influence qu’il a pu avoir sur d’autres journaux, comme Le Torchon brûle (MLF), Le Fléau social ou Antinorm (FHAR : front homosexuel révolutionnaire), etc.
La bibliographie est volontairement réduite, compte tenu du format du livre, mais il aurait été utile de savoir quelles sources ont été utilisées. Pour cela, il suffira de se reporter à la thèse de l’auteur, mais le lecteur n’en a pas la possibilité (sauf erreur…), faute d’indication pour le faire. En revanche, le même lecteur appréciera d’avoir l’adresse à laquelle consulter les numéros du journal, sans avoir à se déplacer à la BDIC de Nanterre.

Mais ce sont là des éléments de curieux éclairé. Ce Tout ! permettra de plonger un doigt dans le bouillon qui remue la France de la fin des années soixante et du début des années soixante-dix, et de prendre la température des luttes sociales alors en cours. Manus McGrogan nous fait bien comprendre qu’une transition essentielle s’effectue à ce moment-là, même si nombreuses restent les questions soulevées par le journal qui n’ont toujours pas reçu de réponses satisfaisantes quarante-cinq ans après.


Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes