L’auteur, avocate noire et originaire de Colombie se situe dès l’introduction dans la dénonciation du crime contre l’humanité que constitue la traite et l’esclavage.
Si l’auteur accuse volontiers les historiens européens de ne pas prendre en compte tous les aspects de la question, elle ne semble pas bien connaître les recherches nombreuses et récentes qui ont apporté des éclairages nouveaux. Si l’auteur a le mérite de faire découvrir au lecteur peu averti des travaux comme ceux de Cheik Anta Diop, la démonstration aurait gagner en efficacité si elle s’appuyait sur une analyse plus rigoureuse et mieux documentée; des télescopages chronologiques comme au chapitre 4 et la référence à Wikipédia ou au monde diplomatique peuvent déconcerter le lecteur.
Le premier chapitre se propose de montrer que l’esclavage et surtout la traite est une réalité bien présente en Europe au Moyen âge et notamment à travers la vente d’eunuques capturés en pays slaves, « fabriqués » puis vendus par les marchands juifs en Espagne musulmane mais l’auteur s’appuie sur quasiment une seule source peu récente (1955), les travaux de l’historien belge Charles Verlinden et plus déconcertant sur Wikipédia (renvoi en page 21). Par ailleurs l’origine de l’antisémitisme médiéval serait la conséquence d’une concurrence commerciale entre Juifs et non-Juifs à propos de la vente d’esclaves au monde arabo-andalou.
L’Afrique avant le 16ème siècle est décrite au chapitre 2 comme peuplée, prospère grâce au commerce en particulier de l’ivoire ou du fer vers l’Asie à partir des travaux de Basil Davidson publiés entre 1962 et 1965. La présentation reste très générale et pourtant il existe toute une littérature historique récente, due notamment à des chercheurs africains, sur l’Afrique avant la traite qui aurait permis de mettre en valeur cette période,
On entre, ensuite, dans le corps du sujet avec les relations entre Portugais et le Mani-Congo, les débuts de la traite et les tentatives de révoltes des peuples africains. Soit un tableau maintenant assez bien connu qui aurait mérité d’être plus actualisé.
Le chapitre suivant tente un tableau de la condition noire en Amérique au temps de l’esclavage en analysant en particulier le rôle de l’Église, de l’Inquisition et plus globalement de la christianisation dans l’asservissement des populations noires. Toutefois un télescopage chronologique avec les guerres à l’Est de l’Europe aux X et XIème siècles montre que le propos de l’auteur est plus de faire un réquisitoire que de se placer en historienne, d’autant qu’une longue digression sur la dictature de la junte argentine au XXème siècle vient « démontrer » le rôle de la religion comme outil dans les atteintes au droit de l’homme. Si les faits relatés et leur aspect condamnable sont biens réels, leur évocation dans ce livre pose la question de son objet même. Le chapitre se termine sur la place de la Suisse dans la traite négrière et le rôle des Juifs chassés d’Espagne à la fin de la Reconquista vers la Hollande et ses plantations des Caraïbes.
Réparation à Durban
Il s’agit ensuite , pour l’auteur de montrer les conséquences humaines durables de ce crime contre l’humanité que furent les bateaux négriers , la racialisation de l’esclavage et la discrimination qui en découle jusqu’aux Etats Unis des années 60 ou dans l’actuelle Colombie, Elle nous rappelle la demande de réparation faite à la conférence contre le racisme de Durban en 2001.
« Les Africains d’après la version consacrée des Européens » montrent que la traite a permis l’enrichissement de l’Europe et le dépeuplement de l’Afrique. L’auteure récuse l’idée même que des Africains aient pu participer à ce trafic tout en affirmant que la guerre est la culture de la seule Europe. Certes il y a des exemples de refus comme celui évoqué en 1787 par un Suédois et cité en page 152, la démonstration aurait, sans doute, gagné en efficacité à ne pas rejeter des faits en les qualifiants de propagande mais en les questionnant: les collaborateurs africains avaient-ils le choix?
Les deux derniers chapitres portent sur la période contemporaine avec l’évocation des indépendances : chaotique au Congo du roi Léopold à Kabila, les déboires de Sylvain Olympio au Togo ou de Thomas Sankhara au Burkina Faso en passant par le Cameroun et la Françafrique. Sans nier ces réalités ni celles le l’exploitation des richesses du sous-sol par les multinationales (AREVA au Niger, ou le Coltan au Congo) on est là plus dans l’article journalistique que dans l’analyse véritable. Le livre se termine sur un parallèle entre colonisation et nazisme, et dénonce les nostalgiques du colonialisme en opposant aux propos d’Éric Zemmour lors d’une émission télévisée de 2007 une argumentation assez classique : travail forcé, exploitation des ressources au profit des métropoles, constructions des infrastructures dans ce but et on peut s’étonner de ne pas trouver ici de référence par exemple au livre de Marc Ferro.
En Conclusion un livre dont le projet est intéressant, qui propose des pistes de réflexion mais qui à trop vouloir convaincre risque de décourager le lecteur désireux de références solides.
Christiane Peyronnard © Clionautes