Trônes en majesté, l’autorité et son symbole

L’exposition qui a lieu au château de Versailles du 1er mars au 19 juin 2011, et dont il a été question, ici dès son ouverture,

http://www.clionautes.org/?p=2765

illustre un catalogue qui fait le point sur l’autorité et toutes ses représentions non seulement en France mais dans le monde dans une chronologie large. Il offre à la fois l’intérêt d’un catalogue avec description des objets et d’une synthèse qui fait le point sur la recherche. Ouvrage et synthèse ambitieux donc et formidablement illustrés, donnant une vision globale d’une histoire matérielle qui traduit l’allégorie de la magistrature suprême associée à une histoire du comportement.

La géométrie du pouvoir est illustrée par le déplacement sur un axe vertical : assis, le pouvoir, debout l’autorité. Le trône et ses accessoires délimitent un espace orienté dans les quatre directions cardinales. L’ouvrage offre tous les types de trône, fauteuils d’audience, sellisternes et lectisternes romains, sièges des autorités déléguées, professorales, économiques et institutionnelles avec une nomenclature précise. Sans omettre les sièges mobiles, palanquin, pavois, barges, et wagon…

La force et la permanence du Siège

Sur plus de cent pages, sont analysés minutieusement le bestiaire et les motifs anthropomorphiques, allégoriques, floraux et végétaux qui déploient une variété extraordinaire, donnant une image complète des vertus et des pouvoirs des souverains laïcs ou ecclésiastiques dans le monde entier. La mise en perspective avec des souverains africains traditionnels, des empereurs chinois, la profanation des trônes par des colonisateurs divers au moment des conquêtes coloniales, voire des choix de mise en scène au cinéma est très éclairante sur le sens des gestes et la force de la symbolique du trône encore à l’heure actuelle.

Quelques sièges légendaires sont analysés comme œuvre d’art exemplaire (qui d’ailleurs sont présentés dans l’exposition). L’analyse du tableau du sacre de Napoléon de Jacques Louis David est magistrale : Napoléon debout (comme un vaincu qui dépose les armes…) et le pape assis, au second plan, signe de la permanence et d’une autorité (universelle) peu ébranlée…. De quoi varier et compléter son enseignement d’Histoire des arts !

J’ai particulièrement apprécié la partie finale sur le trône renversé et l’autorité contestée qui fait suite à l’article qui ouvre le catalogue sur le trône et l’autorité, où est mise en place et définie l’autorité : augere, « accroître, porter à l’intensité de l’existence ». Ainsi les régimes antiques se constituent en créant l’autorité, comme Auguste (augere) qui procéda à une palingénésie (régénération du pouvoir) lui permettant d’assurer le système impérial en le liant au sacré. Pour Philippe Lauvaux et Jean Paul Lepetit, la forme la plus aboutie de l’autorité fut celle des rois carolingiens qui s’inscrivait dans un lien fort de l’autorité au divin, matérialisée par une disposition unique des lieux du palais. Auctoritas est fortement liée au sacré, ce que n’explicitent pas assez les études françaises sur la majesté sacrée. L’autorité est souvent comprise comme autoritarisme ce qui en fausse le sens, elle est déléguée par une force supérieure, transcendante, apparente et devient permanente. Le pouvoir quant à lui, est ponctuel, acquis par la force, s’affirme et s’exerce sur des hommes.

Le trône renversé

« Le trône fut renversé » si l’on en croit les auteurs, par l’inversion produite par la religion protestante donnant autorité à la Bible seule. Suit alors une belle explication du tableau du temple de Lyon qui se trouve dans tous nos manuels scolaires. L’inversion se poursuit quand nos rois loin d’être d’autorité absolue, affirment le pouvoir absolu et se font de plus en plus représenter debout, en pied, en bas de la dernière marche !

Là encore, des analyses de tableaux de Philippe de Champaigne, Laurent la Hyre, ou Carle Van Loo renversent tout ce que nous avons l’habitude d’enseigner en classe… ! Abandon de l’archétype du roi trônant pour des rois présentant, eux même, en tableau d’apparat, des doutes face à leur propre mission temporelle au point de se présenter debout (p 248). Pas besoin d’attendre la Révolution de 1789 pour nommer la place du trône renversé. Et c’est surtout les révolutions de 1830 et de 1848 qui portèrent un coup fatal au trône en profanant sa part d’autorité symbolique quand mourut entre ses bras, un jeune héros de l’école polytechnique.

La lecture de cet ouvrage remet en cause notre lecture des symboles du pouvoir qui privilégie dans nos études et programmes, la notion des éléments du pouvoir (regalia) ou des manifestation de l’appareil du pouvoir aux dépens de la signification allégorique de l’autorité, de la supériorité du symbolique.

En ne lisant plus les symboles, notre époque montre qu’elle préfère la soumission à la force plutôt qu’à l’auctoritas.

Instructive lecture sur notre représentation de la symbolique politique. Cette lecture se termine par l’observation des positions des chefs d’Etat élus et non élus dans l’Europe actuelle, de ceux qui n’ont pas renoncé à s’asseoir pour parler, de la relégation des trônes belges sous une croisée (signe d’une future défenestration ?), ou de la reine d’Angleterre dont vous regarderez avec plus d’attention la position lors du mariage du mois de mai… pour confirmer si son autorité est assise.

© Pascale Mormiche