Mélangez la quête de l’Arche d’Alliance, des archéologues plus ou moins honnêtes, des hommes d’affaires, sans oublier un contexte géopolitique explosif et vous obtenez « Tunnels », la nouvelle bande dessinée de Rutu Modan. L’autrice, qui a précédemment publié  « Exit wounds » et «  La propriété », livre ici un récit picaresque, multipliant les rebondissements et les chausses trappes.

Des personnages hauts en couleurs 

On croise de nombreux personnages durant ce récit. Il y a tout d’abord Nilli et son frère Broschi sans oublier leur père. Celui qui est aujourd’hui un vieux monsieur a, en son temps, été un célèbre archéologue. Il n’a pourtant pas obtenu alors les honneurs qu’il aurait dû recevoir à cause d’un ambitieux personnage, Motké Sarid, professeur à l’Université. Pourtant, et par pure ambition d’obtenir un poste, Broschi travaille pour lui. Il ne faudrait pas oublier Doc, le fils de Nilli, qui l’accompagne partout. Comme tout adolescent, il n’a qu’une obsession, avoir accès à un téléphone portable avec suffisamment de batterie pour pouvoir continuer à jouer à son jeu préféré. Ajoutez, entre autres, un marchand d’art et collectionneur, Emile Abouloff, ou encore un spécialiste des tunnels archéologique, monsieur Gedanken, et vous aurez alors une idée plus précise de la galerie (c’est le cas de le dire pour un tel album !) de personnages souvent truculents qu’offre Rutu Modan.

Un élément déclencheur

Tout commence au moment où moment où le marchand d’art, Emile Abouloff, décide de  se séparer de sa collection d’antiquités. Son dragon de femme, Allegra, a d’ailleurs commencé à négocier avec Motké Sarid pour écouler auprès de lui une grande partie de sa collection. Cette vente fait ressurgir une tablette qui contient une inscription qui permettrait d’accéder à l’Arche d’Alliance. A partir de là, la quête autrefois menée de façon infructueuse par le père de Nilli repart de plus belle et voit s’affronter plusieurs ambitions. L’Arche d’Alliance, c’est ce trésor inestimable dont il est question dans la Bible et qui contiendrait les tables de la Loi. 

Une histoire de famille

Cette bande dessiné ne se résume pas à une quête archéologique. Elle raconte aussi une histoire de famille, entre un frère et sa sœur, et entre ces deux personnages et leur père. Nilli est très concernée par cette histoire car, lorsqu’elle était enfant, son père l’emmenait dans ses fouilles archéologiques et elle avait notamment découvert à six ans le sceau de Josué.

Des aventures rocambolesques

Il est impossible de résumer la totalité des aventures des différents personnages, ce qui en gâcherait d’ailleurs la lecture. Motké Sarid engage donc une équipe pour relancer les fouilles, ce que fait également Nilli. Mais, ensuite, que se passera-t-il si Nilli arrive à mettre au jour cette Arche d’Alliance ? Dans quel territoire actuel se trouvera-t-elle d’ailleurs ? C’est là que les aventures prennent une autre dimension.

Des tunnels et des hommes

Sans trop rien révéler, on peut dire que lorsque l’équipe israélienne de Nilli commence à creuser, elle tombe nez à nez avec des Palestiniens, dont Mehdi, le fils de Hamoudi qui avait creusé avec le père de Nilli il y a bien longtemps. Les motivations de ce dernier ne sont pas les mêmes car il s’agit, dans son cas, de passer des produits d’un côté à l’autre du mur. Cette manie de creuser donne lieu à des moments souvent cocasses. D’ailleurs, au cours de sa quête, Nilli trouve un autre lieu, mais pas forcément celui qu’elle cherchait initialement, ce qui relance encore l’aventure.

Un contexte géopolitique en toile de fond 

Mutu Rodan n’en oublie pas le lieu dont elle parle. Au moment de commencer à creuser, Nilli tombe face à face avec quelque chose qui n’existait pas auparavant, le mur construit par Israël. Cette quête se déroule sur un territoire revendiqué par Israéliens et Palestiniens. Aussi, lorsque commencent de nouvelles fouilles, tout se complique forcément. D’abord, il y a des manifestations d’Israéliens qui s’opposent au fait que l’on creuse et qu’on déplace des tombes juives. Une intervention rapide d’un rabbin résoud le problème. Nilli doit trouver du matériel spécialisé ce qui engendre d’autres péripéties. A un autre moment, Nilli est arrêtée car elle a osé touché un soldat israélien qui patrouillait dans le coin et qui s’interrogeait sur ce qu’elle faisait. Comment aussi vont se dérouler les rapports entre archéologues israéliens et passeurs palestiniens ? 

Après le dénouement, que l’on ne racontera pas, on retrouve plusieurs des personnages, trois mois après les derniers évènements pour conclure cette histoire pleine de rebondissements. Cette bande dessinée de Rutu Modan est portée par une ligne claire pour les spécialistes du style. Elle adopte un ton bien à elle qui mélange des éléments qui auraient pu paraître, au mieux périlleux, au pire incompatibles. Rutu Modan tisse un récit qui entremêle habilement histoires familiales, querelles entre personnages pittoresques, le tout sur une toile de fond géopolitique sensible. 

Jean-Pierre Costille