Le petit ouvrage qui porte le titre d’Ulysse suivi de Persée, est une retranscription, par l’éditeur Bayard, de deux conférences devant un jeune public proposées au Nouveau Théâtre de Montreuil le 12 mai 2001 et le 29 novembre 2003.
Jean-Pierre Vernant (1914-2007), grand résistant et immense helléniste, a offert quelques-uns des plus beaux livres scientifiques ayant trait à la religion grecque et aux grands récits mythiques de cette même civilisation.
Ulysse, champion de la métis, de la « ruse »
Il est celui qui, initialement, n’entend pas prendre part à la guerre, qualité qui le rend « plutôt sympathique » à Jean-Pierre Vernant. Sa ruse la plus célèbre lors du conflit entre Achéens et Troyens, le cheval, permet la prise de la cité de Priam après dix années de conflit mais entraîne également le déchaînement d’une violence effroyable.
L’errance d’Ulysse prend alors tout son sens dans un tel cadre. Le roi d’Ithaque, qui n’a pas été nécessairement le plus cruel, paye un lourd tribut à l’hybris des Grecs . Jean-Pierre Vernant dit en effet (p.23) qu’ « Ulysse va payer, au fond, peut-être, pour expier le fait que les Grecs n’ont pas su garder la mesure pendant cette guerre, qu’ils n’ont pas su se sentir proches de ceux-là mêmes qu’ils combattaient, qui étaient des ennemis, mais aussi des humains, des frères. Il est envoyé dans un monde qui est les frontières de la nuit, un monde où les puissances, aux yeux des Grecs, tout ce qui s’appesantit sur vous, sont maîtresses ».
Ulysse se retrouve dans un univers qui n’est plus à proprement parler « humain », sans « mangeurs de pain », « buveurs de vin », dans lequel « il n’y a plus de gens qui respectent l’hospitalité (p.22) ».
Sa curiosité le pousse à la rencontre des cyclopes ou à vouloir entendre le chant des sirènes mais sa ruse face à Polyphème, le fameux je me nomme Outis, Personne en grec, peut également servir de fil conducteur au reste de sa geste. Ulysse va faire l’expérience réelle de « n’être personne » : on ne pourra plus citer son nom et il va disparaître des mémoires. En quittant Calypso et en refusant l’immortalité qui lui est offerte, il fait le choix de redevenir un mortel dont le nom restera vivant, « héros de la mémoire et de la fidélité à soi (p.50) ».
Persée, deuxième héros évoqué
Il est celui qui va affronter la mort en promettant à Polydectès, de lui ramener la tête de Méduse. Jean-Pierre Vernant dit (p.81) que « la Gorgone, c’est la mort, c’est à dire quelque chose d’impensable. Non seulement on ne peut pas voir la Gorgone, mais tous les textes disent qu’on ne peut ni la voir, ni la peindre, ni la décrire, ni la penser. La tête de la Gorgone, la mort, c’est ce qui dans notre univers humain est l’inintelligible, quelque chose qu’on ne peut pas comprendre, l’horreur. Pas seulement par ce que ça fait peur, mais parce que son monde est à ce point contraire à celui de la vie, le néant par rapport à l’être, qu’on ne peut le penser. Comment penser le non-être, comment penser qu’un être qui est vivant, que je vois avec ses gestes, son sourire, son éclat, tout d’un coup peut avoir disparu, avoir été effacé ? C’est cela, la Gorgone, et c’est cela que Persée doit ramener ».
Deux grands récits mythiques évoqués avec brio, à la manière d’un aède contemporain.
Grégoire Masson