Paru chez Glénat, Un flic sous l’Occupation est le premier tome d’une nouvelle série scénarisée par Philippe Richelle et dessinée par Jean-Michel Beuriot. Le duo, déjà remarqué pour la saga Amours Fragiles, s’intéresse une nouvelle fois à la complexité des comportements humains en temps de guerre. L’album mêle enquête policière et chronique historique dans un Paris occupé, où la frontière entre le bien et le mal se brouille. À travers le destin de policiers confrontés à la corruption, à la peur et à la collaboration, cette bande dessinée explore les dilemmes moraux et les ambiguïtés d’une période sombre de l’histoire française.

Un polar au cœur de la France occupée

L’intrigue s’ouvre sur un double meurtre brutal : un couple de bourgeois est retrouvé assassiné après un cambriolage. Chargé de l’enquête, l’inspecteur Marsac découvre rapidement des similitudes troublantes avec un crime commis avant-guerre par un certain Lucien Grenier, ancien criminel aujourd’hui au service des Allemands. Dès lors, l’enquête dépasse le simple cadre policier pour devenir le reflet d’une époque où la justice est gangrenée par la collaboration et la peur. Le scénariste Philippe Richelle ancre son récit dans un réalisme historique rigoureux : marché noir, trafics, enrichissement de certains, déchéance morale d’autres.

L’album évoque également des aspects économiques et politiques essentiels du contexte de l’Occupation, comme l’aryanisation de l’économie, qui a spolié les entreprises juives au profit de collaborateurs, ou encore le rôle joué par l’organisation Todt, structure allemande d’ingénierie et de construction chargée de grands travaux pour le Reich et très active en France pendant la guerre. Ces références confèrent au récit une profondeur historique et montrent comment le crime et la corruption s’inscrivent dans un système de domination et de profit bien plus vaste.

Des personnages pris dans les contradictions morales

Dans ce contexte, les inspecteurs de la police française se trouvent tiraillés entre l’exigence morale et l’opportunisme égoïste, entre l’obéissance aux autorités françaises et allemandes, et entre la conformité et la contestation. Si le commissaire Fleury demeure fidèle à ses valeurs de probité, Marsac, lui, commence à jouer un jeu dangereux.

Ces portraits contrastés incarnent une période où chaque choix engage à la fois la conscience et la survie. Le scénariste met ainsi en lumière la banalité du mal, mais aussi la résistance silencieuse de ceux qui s’efforcent de préserver leur intégrité au sein d’un système corrompu.

Un réalisme graphique au service de l’atmosphère

Le dessin de Jean-Michel Beuriot plonge le lecteur dans un Paris des années 1940. Son trait réaliste, associé à une palette de couleurs ternes, restitue une ville étouffée par les peurs et les privations. On y retrouve un petit air de Tardi dans cette vision d’un Paris à la fois populaire et bourgeois, rongé par la compromission. La vision sombre de Marsac n’est pas sans rappeler celle de Nestor Burma, même si ici le personnage bascule parfois dans la facilité et l’égoïsme.

Si la mise en scène est impeccable, le récit souffre parfois d’un manque de tension et de rythme, laissant le lecteur sur une impression d’attente. Ce premier tome semble surtout, on l’espère, poser les fondations d’une intrigue plus vaste à venir.

Un flic sous l’Occupation est un polar historique, servi par un dessin réaliste et une grande justesse documentaire. En mêlant enquête criminelle, enjeux économiques et réflexion morale, Philippe Richelle et Jean-Michel Beuriot signent une œuvre qui éclaire les zones grises de l’Occupation, entre courage, opportunisme et trahison. C’est une bande dessinée qui, sans chercher le spectaculaire, privilégie la profondeur et la justesse du regard sur une époque complexe.