Cette bande dessinée est tirée d’un « webtoon » sud-coréen, c’est-à-dire un manhwa publié en ligne (très souvent lisible gratuitement). L’éditeur accompagne d’ailleurs l’ouvrage d’un bandeau précisant que ce webtoon a été vu plus de 4 millions de fois. L’ambition de l’auteur est très louable, ce webtoon a but pour but de vulgariser les rouages du système économique et financier pour le plus grand nombre. Une sorte de manuel illustré de « l’économie pour les nuls ». Graphiquement, l’auteur a recours à un procédé littéraire très utilisé en bande dessinée qui fonctionne assez bien : la personnification.
C’est assez pédagogique, les fourmis sont convoquées avec les stéréotypes qui leurs sont attachés : elles sont laborieuses, parfois disciplinées etc. La reine des fourmis ne travaille pas, elle est influencée par des conseillers. Peu de planches sont dédiées à chaque notion, ainsi en moins de 200 pages d’un format A5 (15×21) l’auteur explique en 23 chapitres : la création de la monnaie, du marché, le système bancaire, l’inflation, les cycles économiques, les entreprises capitalistes, les actions, le commerce mondial, la stagflation, les contrats à terme, les bulles financières, les impôts, les obligations. Le dessin est assez basique, les décors quasi inexistants, les dialogues sont assez concis.
Ainsi des notions parfois complexes comme « valeur » sont expliquées simplement, ou les différents types de banque sont bien exposés (commerciales, centrales etc …).
Ce webtoon se veut une présentation enlevée, vulgarisatrice et précise de l’économie, avec une dimension amusante et des anecdotes. C’est réussi, le ton est plutôt léger, avec des petites blagues et des anecdotes drôles comme à la page 14, il est rappelé que « dans l’Ouest américain du XIXème siècle, ce sont les balles qui servaient de monnaie ». Après certains procédés narratifs sont parfois un peu limites ; ainsi il est fait fréquemment recours à la « fourmi idiote » tout au long de ce webtoon : c’est misogyne et déplacé (en 2024).
Les premiers chapitres expliquent juste les mécanismes économiques sans contextualisation, sans repère historique, et on en déduit que l’avènement du système capitaliste est inéluctable (sans précision temporelle ou spatiale). C’est le problème principal de cet ouvrage, qui se veut un « manuel », sous ces attributs de dépouillement (graphique et textuel) et de simplicité il n’est pas idéologiquement neutre.
Tous les chapitres se terminent par une rubrique « Pour aller plus loin… » avec quelques lignes rédigées, qui sont très souvent partielles, partiales voire problématiques…
Par exemple à la fin du chapitre 4 « Panique à la banque ! » il est écrit : « De nombreux économistes s’accordent à dire que les banqueroutes telles qu’on les a connues ne peuvent plus arriver de nos jours. Dès les premiers signes, des mesures sont prises immédiatement. Ce n’est pas le cas dans le monde des cryptomonnaies. […]. » (p.38). La banque Lehman Brothers a fait faillite en septembre 2008, tout comme la Silicon Valley Bank en 2023 ! Des États ne sont pas à l’abri de défauts de paiement ou de très mauvaises gestions. L’Islande a refusé d’honorer certains de ses prêts, la Grèce a été au bord du défaut de paiement. À la page 54, l’auteur reprend sans aucune distance critique la vulgate « néo-libérale » sur les augmentations de salaires qui entraîneraient une hausse des prix, une hausse du chômage et donc un ralentissement de l’activité économique. De nombreux économistes complexifient ou contestent ces théories économiques.
On s’aperçoit qu’à vouloir simplifier, vulgariser et décontextualiser, l’auteur « trahit » ses penchants pour une économie capitaliste et néo-libérale et fait des parallèles très caricaturaux. Il écrit page 70 : « […] 2/ Durant cette industrialisation, les droits des travailleurs ont été négligés, suscitant des contestations sociales. Pourtant, les zones urbaines prospèrent tandis que vivre à la campagne est de plus en plus difficile : la condition des travailleurs des villes est devenue relativement meilleure. 3/ Il est intéressant de noter que ce fonctionnement économique d’industrialisation fait écho à ce que l’économie planifiée des pays soviétiques fut : un système de non-accumulation capitaliste, qui négligeait les droits fondamentaux humains. ». Ainsi, il mélange les processus d’industrialisation que l’on peut situer en Europe au XIXème siècle, mais que l’auteur ne situe ni géographiquement ni historiquement, durant lesquels les conditions des travailleurs en ville ne se sont absolument pas améliorées de manière uniformes et constantes. Le parallèle avec les pays soviétiques donc durant le XXème siècle semble pour le moins hasardeux, Ernest Mandel, par exemple, définissait l’économie soviétique comme « une économie marchande mise en place par une bureaucratie despotique ».
Au fur et à mesure de l’ouvrage, on constate que l’auteur n’est absolument pas neutre. Il est implicitement opposé au protectionnisme par exemple. Il est même très explicite : « Le capitalisme a cela de cruel qu’il ne peut pas rendre tout le monde heureux ». (sic) ! (p.118). L’avant dernier chapitre concerne les « impôts et la fiscalité », il est peut-être le plus caricatural et partisan. D’après l’auteur, les impôts, bien sûr toujours plus nombreux et dont personne ne veut s’acquitter servent à réparer les routes. Dans la rubrique « Pour aller plus loin », on apprend qu’Antoine Lavoisier a été guillotiné à la Révolution française car Fermier Général. L’auteur n’écrit pas un mot sur les systèmes de santé, de défense, d’éducation qui produisent de la valeur, et sont autant de services que la population ne « paie » pas à son réel coût.
Cet ouvrage est graphiquement original, quelques fois drôle, pour aborder des notions parfois obscures et complexes de l’économie. Il insère des schémas et une vulgarisation certaine pour comprendre les mécanismes du système capitaliste. Finalement, les intentions de l’auteur doivent certainement être prises au premier degré lorsque l’on relit son quatrième de couverture : « « Museon-Headset » est bien sûr un pseudonyme. Cela veut dire … « casque sans fil ». Je regarde souvent des documentaires ou des vidéos sur l’économie, ce qui m’a un jour conduit à créer une bande dessinée sur ce sujet. Mon objectif est de trouver un filon, comme l’ont fait les vendeurs de jeans pendant la ruée vers l’or. Mon but principal est de sensibiliser mes lecteurs à l’économie, afin qu’ils comprennent que ce ne sont pas ceux qui s’intéressent aux actions ou aux cryptomonnaies qui sont stupides, mais plutôt ceux qui ignorent tout de ces sujets. »…