L’objectif de cette collection de Brève Histoire est de demander à un auteur de référence, en 9 chapitres, de tracer l’Histoire et le portrait de son sujet. C’est ainsi qu’ont été traitées, en autres, le jardin, l’aviation, l’Espace, le chat ou bien encore la corrida ! Ici, c’est au tour de David Le Breton de se prêter à l’exercice.
David Le Breton est professeur de sociologie à l’université de Strasbourg et membre de l’Institut Universitaire de France. Son sujet de prédilection est l’adolescence. Il a notamment beaucoup travaillé sur l’adolescence en souffrance, sur les conduites à risques ou bien encore les piercings, les tatouages et autres marques corporelles.
L’adolescence ? Vaste sujet ! « L’adolescence n’est pas un fait, mais d’abord une question qui traverse le temps et l’espace des sociétés humaines. Certaines sont soucieuses de démarquer les classes d’âge et les responsabilités qui leur sont liées. (…) D’autres n’en font aucun cas, et la maturation sociale se donne insensiblement sans cérémonie et sans attention particulière. » (p. 5) L’usage du terme, apparu autour du XVIème siècle, en même temps que celui d’adulte, désigne un phénomène de croissance. Il renvoie à la médecine, à la puberté alors que « la jeunesse, elle, serait d’emblée une notion relevant du lien social. » (p. 6) C’est du moins comme cela que les choses étaient présentes par Debesse (La crise d’originalité juvénile. 1936). Fixer les âges de cette adolescence est une question complexe puisque la scolarisation obligatoire a rallongé cette période intermédiaire entre l’enfance et la maturité sociale. Avec l’émergence du phénomène des « adulescents », la question de bornes chronologique est brouillée.
Aussi, pour comprendre l’émergence de l’adolescence en tant que fait de société, David Le Breton trace l’histoire de ce concept. Il s’appuie pour cela sur d’honorables travaux d’historiens (Philippe Ariès. L’enfant et la famille sous l’ancien régime, 1973 ; G. Lévi et J.C. Schmitt, Histoire des jeunes en Occident, 1996 ou bien encore L. Bantigny et I. Jablonska. Jeunesse oblige. Une histoire des jeunes en France XIX-XXIème siècles, 2009) pour montrer que la jeunesse comme l’adolescence n’ont pas toujours été vues comme des moments à part de la vie. Il faut attendre la publication de L’Emile de Rousseau (1757-1762) pour qu’émerge « le sentiment d’adolescence » (p. 27). Rousseau préconise de prendre en compte ce moment si particulier de la vie. Il propose« une éducation libérée de la tutelle des Eglises et il en paiera le prix le 9 juin 1762 par un arrêt du Parlement de Paris qui condamne L’Emile à être lacéré et brûlé, et son auteur emprisonné. » (p. 29). Cet âge à part est valorisé au moment de la Révolution française avec l’émergence de la famille moderne dans les milieux privilégiés. Pour les autres, rien n’a changé. Les enfants travaillent dès l’âge de 6 ans. Finalement, c’est grâce à l’école que les choses vont bouger. En ouvrant des établissements scolaires et en rendant l’école obligatoire, la prise de conscience de la particularité de ce que sont les enfants et les adolescents s’opère. Viennent ensuite les mouvements de jeunesse qui encadrent le temps hors scolaire des jeunes et cherchent à leur inculquer des valeurs et à les détourner d’ « activités contre-nature », « porteuses de maints dangers physiques et moraux. » (p. 46)
« Une véritable science de l’adolescence » (p. 50) se met en place avec la psychologie de l’adolescence en France (Ribot, Compayré, Mendousse…), aux Etats-Unis (G.S. Hall. Adolescence, itspsychology and its relation to physiology, anthropology, sociology, sex, crime, religion and education, 1904). L’école de Chicago s’intéresse à la jeunesse par le biais de la délinquance. La suite est plus connue. Les Trente Glorieuses permettent aux jeunes d’accéder à des biens de consommation et se développe véritablement une culture jeune. Les comportements à risque de cette jeunesse sont dénoncés par les médias.
La seconde moitié de l’ouvrage traite de la question de l’adolescence aujourd’hui : Lolita, Tanguy, importance des pairs, des marques (consumérisme)… Tous ces éléments qui révèlent le rapport du jeune à sa famille. L’auteur n’est pas tendre avec ces parents qui ne savent pas mettre de limites à leurs enfants. « (…), en ne marquant pas les différences d’âge et en n’assumant pas leur responsabilité, ils privent l’adolescent des repères nécessaires pour grandir et prendre son autonomie. » (p. 87). Les comportements déviants des parents comme des jeunes sont analysés et on regrette que l’adolescent « normal » n’ait pas sa place dans cet ouvrage. A peine le voit-on apparaître sauf dans le dernier chapitre « Transmettre », véritable ode à l’éducation et au rôle qu’elle a à jouer. A partir du film « L’esquive » d’Abdelatif Kechiche, David Le Breton montre qu’un enseignant peut jouer le rôle de déclencheur pour nombre de jeunes et leur transmettre le goût d’apprendre mais aussi celui de l’exigence. « A l’opposé de la séduction, l’autorité réside dans une reconnaissance mutuelle de ce qu’une parole possède une valeur qui tranche sur celle des autres. » (p. 136)
Catherine Didier-Fèvre ©Les Clionautes