Martin Favre se retrouve coincé dans la poche de Dunkerque, en juin 1940, mais réussit à traverser la Manche sur une embarcation civile. Victime d’une varicelle, il doit rester pendant trois semaines dans un hôpital britannique. C’est là qu’il entend l’appel de de Gaulle à la BBC. Avec deux autres, il s’engage dans les forces françaises libres. Convoqué par un commandant assez teigneux (p. 23), il est sommé d’accepter le grade d’aspirant, lui qui était brigadier. Le 6 août, les deux prennent place dans un hydravion qui les emmène au Nigeria, pour organiser la conquête du Cameroun. Le commandant en question, on l’apprend à la page 37, s’appelle Leclerc. On suit alors le duo dans cette entreprise, occasion d’assister aux turpitudes de de Gaulle. Martin Favre prend alors conscience que « le pouvoir est solitude » (p. 39). Mais l’Histoire n’attend pas : la colonne Leclerc doit s’élancer à l’assaut de la Libye italienne, et s’empare de Koufra (2 mars 1941). Le récit se conclut sur cette page de gloire.Il est difficile de dire qu’on n’a guère apprécié un ouvrage, mais on ne trouve pas beaucoup d’arguments pour le défendre. Les personnages ne sont guère à leur avantage. Leclerc est constamment grimaçant, hargneux. Martin Favre apparaît sous les traits d’une sorte d’adolescent qui n’a pas l’air d’avoir prise sur son destin, se laissant porter par les événements : l’antimilitariste s’assume rapidement en militaire. De Gaulle est inconstant, tantôt énergique quand il accueille froidement les premiers ralliés, puis doutant fortement lors de l’échec de Dakar. Et c’est sur eux que repose l’avenir de la France libre.
L’épisode de Dunkerque montre que les auteurs se sont documentés : le sanatorium de Zuydcoote ressemble bien à celui qui est encore en place, et à celui que l’on voit dans le film d’Henri Verneuil. Mais un certain nombre d’invraisemblances entament le crédit. La longueur de la chevelure de Léon Cohen et, dans une moindre mesure, celle de Martin Favre, laissent à désirer, mais personne ne leur en fait la remarque. Il est permis de circuler tête nue, et de saluer. Un aspirant porte déjà les galons d’un lieutenant. Leclerc pense duper le gouverneur général du Cameroun en arborant ses marques de colonel aux poignets et non sur les épaules. On le voit faire le coup de feu au fusil contre les Italiens, et ses officiers (dont Martin) ne portent pas les insignes de leur grade. Etc.
On perd au passage ce qui constitue la problématique du récit. S’agit-il de raconter la guerre vécue par Martin Favre ? Car Leclerc lui vole la vedette.Bref, l’album déçoit, et c’est dommage. L’idée du fil conducteur assuré par les trois jeunes gens n’est pas critiquable. Le fait de placer l’un d’eux au plus près des dirigeants militaires l’est davantage, car on sent que les auteurs cherchaient à raconter le conflit d’en bas. Les premiers albums n’avaient pas ce défaut de conception. il reste à espérer que les deux suivants n’empruntent pas le même chemin.
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Frédéric Stévenot, pour Les Clionautes