Cet album est le cinquième volume de la saga Une génération française, qui suit les destins croisés de trois jeunes protagonistes dans la France de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’attache au parcours de Tanguy, introduit dans le tome 2, où cet officier de tradition d’origine aristocratique s’est montré un intrépide combattant de la campagne de 1940. La suite de ses aventures plonge le lecteur au sein du marigot de Vichy, où cet archétype de la caste militaire inféodée au képi de chêne du maréchal Pétain fait allégeance au régime de la Révolution nationale.
Une ambiance malsaine y règne, dont le fil conducteur est constitué par les dissensions de caractère et les rivalités de pouvoir entre Pétain et Laval. Cette approche a un certain intérêt didactique dans la mesure où elle permet d’exposer les origines et les enjeux de la Collaboration d’État. L’importance de l’entrevue de Montoire dans l’adoption de ce choix politique est utilement soulignée. Cependant, l’accent mis sur ce duel retors a pour effet de rétrécir l’intrigue au microcosme politicien de la capitale thermale, ce qui laisse quelques amorces incidentes en suspens (l’arrestation de Paul Reynaud) et borne à des mentions indirectes d’autres aspects essentiels du régime (persécutions politiques et raciales, culte du maréchal).
Dans ce contexte, Tanguy apparaît comme un homme de l’ombre du maréchalisme, un rouage proche du cénacle dirigeant dévoué au vieux chef. Après avoir participé aux actions de l’organisme illégal du Camouflage du Matériel (CDM), embryon ambigu de résistance militaire, il intègre les services de renseignement du maréchal et est chargé d’espionner les menées lavaliennes auprès des autorités allemandes. Mais, doutant du sens de sa mission et du bien-fondé des choix de l’État français, et par ailleurs en crise sur le plan intime, il finit par être muté en Syrie où il affronte les troupes gaullistes.
Le principe de l’immersion dans la grande histoire d’un héros fictif est un procédé distrayant d’une efficacité pédagogique éprouvée. Mais force est de convenir que la trajectoire à la fois disciplinée et indécise de Tanguy ne façonne pas un héros très attachant, contrairement à Martin et surtout Zoé Favre, les deux autres têtes d’affiche d’Une génération française. On doit aussi rejoindre certaines réserves soulevées par le précédent album sur la précision d’une partie des détails représentés. Ajoutons qu’en termes de vraisemblance, les pérégrinations de Tanguy en uniforme français dans le Paris occupé (ce qui, pour un agent secret, peut en outre paraître manquer de discrétion) laissent assez perplexe, de même que sa pilosité de hipster ! Sur le fond enfin, on ressent, dans ce qui semble un album de transition, un déficit de point de vue qu’un héros plus tranché dans un sens ou dans l’autre aurait permis d’éviter. L’impression que donne Tanguy est celle d’un homme qui ne sait pas qui il est. Métaphore d’une France vaincue ayant perdu ses repères ? Souhaitons alors que la suite des aventures de ce vichysto-résistant velléitaire le porte à s’affirmer plus clairement.
Guillaume Lévêque, pour Les Clionautes