L’histoire de la Renaissance de Jean Delumeau ne se restreint pas à une évocation des arts ou de la littérature (15-25). Comme l’auteur le rappelle, si l’expression italienne rinascità apparaît à la fin du XIVe s. pour qualifier une renaissance des arts après l’obscurité qu’aurait connue le Moyen-Âge, cette appellation désigne depuis le XIXe s. une période historique, allant de Pétrarque à la mort de Shakespeare et de Cervantes, toutes les deux en 1616, ou bien encore de la première implantation portugaise en Afrique du Nord en 1415 à la mort d’Henri IV roi de France en 1610. Cet élargissement sémantique ne doit pas surprendre car la Renaissance connaît un grand nombre de changements aussi bien techniques que culturels.

Toutefois, cette période ne doit pas se confondre avec l’humanisme, terme forgé au XIXe s., entendu au sens d' »une philosophie qui met l’accent sur la valeur fondamentale de l’homme » (21). Sinon, Nicolas Machiavel en serait exclu. Il est donc préférable de parler d’humanistes, dont le sens originel aux XVe et XVIe s. est « connaisseur des humanités », c’est-à-dire des langues anciennes. Enfin, Jean Delumeau nous met en garde contre deux idées fausses. Le Moyen Âge n’ignorait pas l’Antiquité et il n’a pas disparu tout d’un coup pendant la Renaissance.

Ce préambule fait, l’auteur entreprend de nous faire découvrir cette période à l’aide d’œuvres d’art plus ou moins célèbres, chacune d’elles ouvrant un chapitre.

Les deux premiers chapitres présentent aux lecteurs une géographie européenne de la Renaissance et les principales étapes de la découverte du Nouveau Monde (26-63). On s’étonnera qu’à cette occasion Jean Delumeau semble considérer comme des effets positifs l’implantation du catholicisme dans toute l’Amérique (62).

Puis, il présente les principales caractéristiques de la Renaissance artistique (64-101). Notons au passage une explication très claire des progrès réalisés dans le domaine de la gravure (70-71) ou de la polyphonie (80-81). Il rappelle la dimension européenne de ces transformations qui de Florence gagne la péninsule italienne puis l’Europe, en évoquant les figures de Raphaël, de Michel-Ange qu’il qualifie de « géant de la Renaissance » mais aussi de Bruegel l’Ancien qui illustre la diversité de ce courant artistique.

Mais la Renaissance est également une période de transformations intellectuelles (102-127). L’imprimerie permet la diffusion d’une quantité de savoir inaccessible jusque là et elle renforce les effets des progrès de la scolarisation. Comme l’indique Jean Delumeau, les nobles souhaitent imiter les princes italiens ou les souverains comme François Ier et montraient leur intérêt pour la culture. Les vertus militaires ne suffisaient plus. En outre, le besoin d’instruction était lié au développement du commerce et de l’administration, activités auxquelles les bourgeois destinaient naturellement leurs enfants. Les universités déclinent pendant que les cours prennent une importance nouvelle.

Les humanités sont les matières chéries par les hommes de la Renaissance qui apprennent aussi bien le grec que l’hébreu. Mais il ne s’agit pas d’un simple retour à l’Antiquité. Le goût pour celle-ci servit à « créer un art nouveau et une culture nouvelle dans le cadre d’une civilisation qui ne ressemblait pas à celle des Latins et des Grecs de la période classique » (127).

Certains d’entre eux exaltent la puissance du génie humain. Pic de la Mirandole, dans son Discours de la dignité de l’homme, rédigé en 1485, affirme que l’homme « est l’être le plus fortuné et par conséquent digne de toute admiration » (cité par Delumeau 1999, 121). Mais, cette philosophie optimiste ne doit pas nous faire oublier d’autres œuvres car ces exaltations ne sont pas aussi partagées qu’on a voulu le penser. Érasme représente un humanisme modéré sans doute plus partagé par ses contemporains que l’optimisme débridé de Pic de la Mirandole. Dans son Éloge de la folie, il se moque des certains comportements humains qu’il juge absurdes. Il est parfaitement conscient des faiblesses des hommes, tout en pensant que la piété (la « folie » chrétienne selon Saint Paul) et l’éducation permettent une amélioration.

Mais l’un des intérêts du livre de Jean Delumeau est de rappeler que la Renaissance est une période de progrès techniques, comme l’illustre la présence d’une grue tournante au deuxième étage de La tour de Babel peinte par Bruegel l’Ancien (128-139). On peut évoquer ici quelques inventions comme celle des horloges mécaniques ou du verre blanc qui permit à l’optique de se développer. De même, l’auteur ne répugne pas à nous amener au fond de la mine pour constater les progrès dans l’extraction des minerais. Jusque là, la production stagnait car on ne savait pas éviter l’inondation des galeries lorsqu’on gagnait en profondeur. « Il fallut imaginer des pompes aspirantes et foulantes, des roues à godets pour élever l’eau et la déverser dans des réservoirs. Pour évacuer le minerai, on mit en place dans certaines mines des chariots se déplaçant sur des rails de bois. Enfin, on améliora l’aération des exploitations » (137).

Les innovations concernent également les domaines militaires et maritimes (140-153) : l’artillerie, les sabords, les arquebuses, la caravelle… Il serait vain d’en dresser la liste et il est préférable que le lecteur se reporte aux précisions minutieuses et claires que Jean Delumeau apporte sur tous ces points (voir aussi l’origine du nœud comme mesure nautique, 152).

Il décrit ensuite les principaux éléments qui font le dynamisme économique européen (155-171).

Cependant, l’enrichissement de l’Europe pendant la Renaissance ne doit pas faire oublier les dures réalités du quotidien qui s’opposent très nettement aux fêtes somptueuses décrites par l’auteur, comme la fête « brésilienne de Rouen » au cours de laquelle Montaigne rencontra des Indiens (172-191). En effet, les bénéficiaires de la croissance ne furent pas les paysans mais les propriétaires des terres. De plus, la mortalité reste forte (un enfant sur deux n’atteignait pas l’âge de vingt ans en France). De même, les villes avec leurs rues étroites bordées de maisons en bois constituaient des proies toutes désignées pour les flammes (le grand incendie de Londres en 1666 détruisit 13000 maisons).

Enfin, Jean Delumeau revient sur les grandes transformations religieuses que connaît l’Occident (192-209). Il rappelle que les abus de l’Église n’expliquent pas tout. L’époque éprouvait une grande inquiétude religieuse nourrie des catastrophes de la fin du Moyen-Âge et des affrontements entre papes. Les hommes se demandaient si tous ces malheurs ne présageaient pas la fin des temps que de nombreux prédicateurs annonçaient. L’auteur peut alors présenter les principales figures de la Réforme. Il donne également une explication simple et claire du concept d’intolérance ainsi qu’un encadré sur les principales décisions prises au Concile de Trente (206) tout en précisant que la rénovation est antérieure à celui-ci. Ainsi, la Renaissance que nous présente Jean Delumeau est une période de progrès indéniable mais cela ne doit pas cacher les chasses aux sorcières, les réticences à accepter les esprits scientifiques novateurs comme Copernic et les inquiétudes eschatologiques de certains (210-213). L’idée de progrès n’est venue que plus tard. Sa démonstration bénéficie d’une iconographie riche et variée, de cartes très utiles (voir par exemple celle de la Réforme en Europe, 204) et d’un vocabulaire simple et précis que l’auteur n’hésite pas à définir pour faciliter la lecture. On en regrettera d’autant plus les nombreuses fautes de sous-titres (85, 117…) qui semblent avoir été ajoutés non par l’auteur mais par l’éditeur pour apporter une plus grande clarté aux lecteurs. Ce défaut mis à part, ce magnifique ouvrage fera le délice de tous ceux qui souhaitent avoir un aperçu de qualité sur une période historique de grands bouleversements. Le souci pédagogique évident qui a présidé à la rédaction de ce livre permet également de le conseiller à un public d’adolescents qui y trouveront de nombreux compléments et éclaircissements sur la Renaissance.