Ayant contribué à l’ouvrage fondateur que fut l’Histoire de l’édition française dirigée par Henri-Jean Martin et Roger Chartier (4 volumes, Paris, Promodis, 1982-1986), auteur d’une thèse importante sur l’éditeur Ernest Flammarion, Professeur d’histoire du livre à l’Ecole Nationale des Chartes, E. Parinet était parfaitement qualifiée pour rédiger cette synthèse.
Le propos s’ordonne autour de deux idées-forces. La première est la complexité des dynamiques qui régissent le monde du livre. Elles sont pour une part d’ordre général (industrialisation, niveau de vie, alphabétisation, notamment), mais aussi spécifiques au secteur éditorial : l’aspect matériel du livre et donc les questions de typographie, de reliure, d’illustration, l’organisation des maisons d’édition et des circuits de distribution, la diversification du lectorat et les stratégies commerciales qu’elle suscite ou permet, les interventions politiques, etc. trouvent ici une large place. Cette complexité est mise en évidence à de multiples reprises. Ainsi, la scolarisation massive à partir des années 1830 entraîne à la fois la disparition de petits éditeurs mal adaptés, l’affirmation de quelques grandes maisons (Mame, plus encore Hachette) et la naissance de nouvelles comme Armand Colin en 1870. Elle suscite un nouveau marché, celui des livres de prix et de la littérature de jeunesse, qui fait la fortune des mêmes mais aussi d’Hetzel, par exemple. La laïcisation fournit un autre exemple. Elle entraîne un recul du livre religieux, mais aussi un regain de dynamisme d’éditeurs catholiques qui ont su se lancer dans le livre de prix et le livre scolaire – Mame, Ardant, Barbou -, puis, à partir des années 1860-1870, dans le roman populaire moralisant, destiné surtout aux lectrices, avec des éditeurs comme Gautier et Languereau ou La Maison de la Bonne Presse.
La deuxième idée-force est celle du rôle-clé de la période qui s’étend des années 1840 à la Belle Epoque. Une structuration durable du monde éditorial s’effectue alors. Ainsi, c’est à partir de 1840 seulement, alors que la multiplication des lecteurs potentiels était évidente depuis plusieurs décennies, que les éditeurs renoncent à une politique de prix élevés. Les facteurs en sont multiples – pression du roman-feuilleton et de la contrefaçon, initiatives de pionniers comme Gervais Charpentier, innovations techniques – et les effets, immédiats ou différés, considérables, avec l’effacement d’anciennes institutions – cabinets de lecture, colportage -, les nouvelles pratiques des libraires jouant sur les rabais, l’expansion des tirages. Cette présence plus massive du livre a des incidences sur son statut politique. Il reste, malgré l’affirmation des valeurs démocratiques, objet de projections négatives, accusé de répandre la dépravation, l’anarchie, voire le suicide des jeunes femmes.
Ces deux axes majeurs justifient pleinement la part accordée – environ le quart de l’ouvrage – au monde des éditeurs du XIXe siècle. Outre les grandes maisons d’édition généralistes comme Calmann-Lévy, Hachette, Larousse ou Flammarion, E. Parinet étudie avec acuité des structures moins développées, spécialisées, bénéficiant à la fois des réformes universitaires et de la multiplication des revues qu’elles éditent, tels Sirey, Dalloz, Masson, Baillière, Guillaumin ou Alcan. On saisit là, au plus près, la modernisation du monde éditorial au cours du siècle, mais aussi la survivance de traits anciens, comme le caractère familial des entreprises et la rareté du recours au système bancaire. E. Parinet tire ici grand profit de ses propres travaux comme de la richesse de ceux d’autres chercheurs, Jean-Yves Mollier étant justement le plus connu.
L’importance donnée au XIXe siècle n’empêche pas une évocation précise et équilibrée des transformations du monde éditorial après 1914. Chaque aspect en est confronté aux acquis antérieurs. Ainsi, la hiérarchie des grandes maisons d’édition est confirmée dans l’entre-deux-guerres, avec la domination d’éditeurs généralistes, comme Fayard, Flammarion et surtout Hachette, dont le dynamisme doit beaucoup à un investissement du domaine des messageries. Mais une vraie nouveauté s’observe, avec le rayonnement acquis par les grands éditeurs littéraires que sont Gallimard et Grasset. Leur concurrence acharnée laisse peu de place aux nouveaux venus, tels José Corti, Au Sans-Pareil, Denoël, etc. dont la fragilité est patente. De même pour la question du livre de poche. La nouveauté formelle en est précisée, comme son impact sur l’ensemble de la production. En même temps, E. Parinet montre bien son intégration au système éditorial préexistant, et sa dépendance à l’égard de ressorts traditionnels comme le primat de la littérature et le débouché scolaire et universitaire.
La dernière partie est consacrée aux bouleversements récents du monde de l’édition. Le double mouvement de concentration financière et de mise en dépendance dont il est l’objet est très clairement exposé. Le cœur du système éditorial français, c’est-à-dire l’ensemble des éditeurs « moyens », en dessous des deux groupes dominants, en est la principale victime, alors que la vitalité des « petits éditeurs » subsiste. Comme les tirages diminuent depuis la fin des années 1970, contrairement au nombre de titres, il faut bien parler d’une crise, observable dans tous les secteurs. Les mutations technologiques, y compris le livre électronique, n’y ont pas – pas encore ? – apporté de réponse satisfaisante.
Au total, le livre d’Elisabeth Parinet constitue une riche synthèse et devrait s’affirmer ouvrage de référence. Il est inévitablement tributaire de l’état de la recherche, qui majore la place de l’édition littéraire. Mais les pistes nouvelles sont clairement balisées par le livre, qui constitue aussi un point de départ. Il a donc toutes les qualités requises du genre.
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