Un masque en pierre olmèque, une tuile coréenne, un galion mécanique ou encore un service à thé victorien : voilà quelques pièces de l’étrange bric-à-brac que propose Neil MacGregor, considéré comme l’un des plus célèbres historiens de l’art. Son livre invite à un voyage autour des objets comme point d’entrée pour aborder l’histoire du monde. Il s’agit au départ d’une émission de radio à la BBC, prolongée également aujourd’hui sous la forme d’une exposition itinérante.
L’histoire par les objets
Une des idées sous-jacentes de l’auteur, c’est que les grandes dates peuvent être vues à travers des objets. Ceux-ci racontent des histoires multiples ; ils peuvent aussi être une compensation quand l’écrit n’est pas là. Ils portent la trace de leur utilisation et aussi de leur éventuelle réappropriation, ce qui est aussi intéressant. Ce livre s’inscrit, à sa façon, dans le courant de la world history en cherchant à offrir un panorama le plus large possible. Il est composé de vingt chapitres qui suivent une logique chronologique avec cinq entrées à chaque fois autour d’une thématique commune. La quatrième partie par exemple est intitulée « Les commencements de la science et de la littérature » ou la dix-septième porte sur « Tolérance et intolérance ». Autour d’une écriture assumée à la première personne, on trouve à chaque fois un texte d’introduction, une ou plusieurs vues de l’objet, son commentaire, avec notamment l’intervention d’une ou un spécialiste. Autant dire que la lecture ne requiert pas d’être faite dans l’ordre. On peut, au contraire, se laisser porter au gré de ses envies ou du hasard. Signalons également des cartes de repérage des différents objets, une liste des objets étudiés, une bibliographie avec deux ou trois titres pour chacun d’eux, ainsi qu’un index général.
Mondes anciens
Neil MacGregor a eu le souci de présenter quelques grands classiques mais surtout beaucoup d’éclairages originaux. On est frappé par la fragilité de certains objets comme cette sculpture taillée dans une défense de mammouth qui date de 11 000 avant Jésus-Christ. Conservée dans une boite climatisée, il faut lui éviter tout choc qui risquerait de la réduire en poussière. On pourra s’émerveiller devant ces maquettes peintes de vaches en argile qui datent de 3500 avant Jésus-Christ ou encore suivre l’auteur autour de la marmite jomon qui constitue un exemple de l’universalité de la poterie. On est émerveillé quelques pages plus loin en découvrant la cape en or de Mold ou un récipient rituel Zhou. Ce récipient en bronze, autrement appelé gui, faisait partie des objets les plus difficiles à fabriquer alors en Chine. La surprise vient quand on l’examine à l’intérieur car il comporte des inscriptions qui font de cet objet de rituel un instrument de pouvoir en même temps. Les fragments de textile de Paracas qui datent de 200 avant Jésus-Christ séduisent d’abord par leur qualité de conservation mais lorsqu’on s’y arrête un peu plus, on découvre des personnages inquiétants. Neil MacGregor n’en oublie pas non plus quelques classiques comme ce morceau d’une sculpture du Parthénon, une pièce d’Alexandre ou encore la pierre de Rosette dont il rappelle tout l’intérêt avec son sens de la formule : « la pierre de Rosette est simultanément une expression de pouvoir et de compromis, bien que lire le texte d’un bout à l’autre soit aussi enthousiasmant que de lire une nouvelle réglementation européenne rédigée en plusieurs langues. » L’ouvrage est d’une richesse considérable permettant au lecteur de naviguer entre une mosaïque romaine anglaise, une tuile coréenne de 700 après Jésus-Christ ou un plat en argent venant d’Iran et du quatrième siècle.
Quelques symboles de prestige
Cette treizième partie est emblématique du reste de l’ouvrage, proposant autour d’une thématique commune cinq déclinaisons mondiales. On commence par les pièces du jeu d’échecs de Lewis, puis on découvre un astrolabe hébreu, une tête d’Ife, des vases de David et enfin un siège rituel taino. Le jeu d’échecs surprendra par la présence de beaucoup de pièces majeures et son faible nombre de pions. L’astrolabe hébreu en cuivre du quatorzième siècle a probablement été fabriqué en Espagne et il représente à sa façon une « grande synthèse intellectuelle d’une période où les trois religions coexistaient en paix ». La tête d’Ife est une statue en cuivre du Nigeria du quinzième siècle qui fait partie d’un ensemble de treize têtes sculptées découvertes en 1938. Elle est d’autant plus fascinante qu’elle représente le témoignage d’une culture qui n’a laissé aucune trace écrite. Les vases de David en porcelaine viennent de la province chinoise du Yushan et comportent des inscriptions qui disent qu’ils ont été consacrés le mardi 13 mai 1351 ! Le chapitre se termine avec un siège rituel taino des Caraïbes. Il comporte un visage grimaçant d’une créature mi-humaine, mi-animale sculptée sur l’avant du tabouret.
Au seuil du monde moderne
Cette partie commence par un tughra de Soliman le Magnifique. C’est « un insigne d’État, un cachet de l’autorité et une œuvre du plus grand art ». A travers lui, c’est toute une histoire que l’on arrive à découvrir car ce tughra témoigne d’abord de l’existence d’une bureaucratie efficace. Ensuite, il figurait sans doute sur l’en-tête d’un document majeur, ce qui peut expliquer qu’il ait survécu. Neil MacGregor propose d’ailleurs d’enchaîner avec un papier monnaie chinois, autre puissant instrument de l’État. Celui qui est proposé date de 1400 et est très différent de ceux qu’on connaît aujourd’hui. Plus grand qu’une feuille A4, il est fait dans l’écorce de mûrier réputé pour sa douceur et sa souplesse. A l’intérieur de ce billet, on voit représenté dix tas de cent pièces d’où l’utilité d’un tel billet qui devait éviter de se déplacer avec cet ensemble qui aurait autrement pesé trois kilogrammes !
La première économie globale 1450-1650
On découvre d’abord un magnifique galion mécanique fabriqué à Augsbourg en 1585. C’est une miniature, ce qui en fait, comme dit l’auteur, « un des plus superbes jouets de la Renaissance et en même temps un résumé de ce qu’était la construction navale en Europe ». Muni de plusieurs mécanismes, ce galion miniature était capable autrefois de produire du bruit et de la fumée. C’est un objet à resituer dans le contexte des automates qui ont tant séduit à l’époque. L’auteur propose ensuite une plaque du Bénin ou encore le célèbre serpent à double tête du Mexique. Composé d’environ 2000 petits morceaux de turquoise fixés sur un cadre en bois incurvé, c’est à la fois un serpent et un oiseau. On découvre également ces étonnants éléphants de Kakiemon, qui sont des figurines en porcelaine en provenance du Japon. Au-delà de l’aspect esthétique, ils témoignent des relations qui existaient entre l’Asie et l’Europe occidentale. « Bien que coupés du monde extérieur, les artisans japonais utilisaient des techniques empruntées à la Chine et à la Corée pour fabriquer des images d’animaux originaires de l’Inde et satisfaire les goûts des acheteurs en Angleterre en passant par les Hollandais ».
Vers le monde actuel
L’avant-dernier chapitre consacré à la période 1780-1914 s’intitule « Production de masse, persuasion de masse ». Il donne à voir un chronomètre de marine du H.M.S Beagle, un service à thé victorien, la célèbre Grande vague de Hokusai, un tambour à fente soudanais ou encore un penny défiguré par les suffragettes. Le dernier chapitre s’intitule « Le monde que l’on fabrique » et va de 1914 à 2000 avec seulement, là aussi, cinq objets. Autant dire que le choix est difficile. L’auteur propose donc une assiette révolutionnaire russe peinte à Saint-Pétersbourg en 1921, une gravure de David Hochney, un trône d’armes venant du Mozambique, une carte de crédit et enfin une lampe et chargeur à énergie solaire fabriqués en Chine.
Ce livre est une véritable réussite qui transporte le lecteur à travers les époques et les lieux. Il peut être picoré au gré de ses envies et chaque article parvient à souligner en quelques pages l’essentiel pour nous faire comprendre l’importance de l’objet. Bien illustré, et d’un prix modique pour une telle entreprise, il invite à un tour du monde des plus séduisants. Une réussite à s’offrir ou à offrir !
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.