Catalogue officiel de l’exposition Un dictateur en images Photographies de Heinrich Hoffmann du 27 juin au 16 septembre 2018 au Pavillon Populaire de Montpellier.
Même si son nom n’apparaît pas dans le titre, c’est bien de Hitler dont il s’agit dans cet ouvrage, condensé d’une partie de la double exposition organisée à Montpellier lors de l’été dernier. Un nouveau livre sur Hitler pourrait-on dire ? Oui, mais un livre différent de ceux publiés par Johann Chapoutot et Christian Ingrao ou Peter Longerich, biographies les plus récentes. Images et contributions, d’Alain Sayag, de Johann Chapoutot, de Denis Pechanski, n’ont pas de vocation biographique mais cherchent à déconstruire et expliciter la fabrique de l’image de Hitler, passant de chef d’un modeste parti de la droite völkisch à führer d’un Reich qui se souhaitait millénaire.
Ces images produites à des milliers d’exemplaires, et principalement par Heinrich Hoffmann, photographe attitré de Hitler et artisan sans talent particulier, lui ont permis d’asseoir son personnage et pour Jacques Fredj, directeur du Mémorial de la Shoah, de « renforcer la figure du führer ». Cet ouvrage possède plusieurs vertus. La première est celle de nous rappeler, de nous replonger dans la fabrication de la propagande, cette « fabrique du consentement » théorisée par Edward Bernays1, par le biais d’un objet aussi banal qu’une photographie. Tour à tour, les contributeurs alertent le lecteur sur l’usage d’images non contextualisées, sur l’usage que firent les Nazis et notamment Goebbels des clichés de Hitler : « L’appareil photographique ne trompe pas » dira le ministre du Reich à l’éducation et à la propagande or il s’agit bien pour lui, pour eux de mettre l’image du chef au centre du régime, de « le rendre admirable » explique Johann Chapoutot, de contrôler son image.
Comment atteindre ce triple objectif ? Voilà ce que nous montre les photos reproduites dans cette publication. On devine, on comprend à travers celles-ci que ce fut un travail de longue haleine au cours duquel Hitler devient l’architecte de sa propre image à travers les milliers de photos prises par Hoffmann, ramené au rang de simple exécutant ; il multiplie, surtout dans les premiers temps, les pauses, les attitudes, les « costumes » afin de parvenir à une image idéale. Il n’est toutefois pas question de diffuser toutes ces photos mais de noyer la population sous un flot d’images au nombre limité. Voici la deuxième qualité évoquée plus haut, celle de nous montrer que Hitler fut l’ordonnateur de sa propre image alors qu’il se méfiait de la photographie, objet qui pouvait le desservir tant il avait bâti son personnage sur ses performances oratoires gommant un physique quelconque. Au fil du temps, et les images reproduites l’illustrent, l’image du führer se construit, s’affirme, s’affine passant des multiples expériences iconographiques de l’orateur des années 20 à l’image plus standardisée de l’homme d’État dans les années 30 dont l’image est déclinée, sur de multiples supports, en fonction du public cible : les femmes2, les militaires3, les amoureux de la nature4… Hitler devient chaque partie de la Nation et, en même temps, il est la Nation : la construction devient la réalité.
La réalité, il en est question dans les derniers chapitres. Les dernières images, rassemblées sous le titre « la chute », qui n’est pas sans rappeler le film d’Olivier Hirschbiegel, se résument à deux thématiques et une surprise : la destruction de symboles (la chancellerie, le Berghof, le Reichstag) et les dernières apparitions d’un Hitler bouffi mais aussi d’étonnantes photos de Hitler retouchées par l’OSS, envisageant une possible fuite du dictateur. L’ultime série d’images revient sur le bras « armé » de Hitler : Heinrich Hoffmann, serviteur, familier, intime et « complice » de son maître et condamné à dix de prison en 1947 mais finalement libéré trois ans plus tard.
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1 « Propaganda. Comment manipuler l’opinion en démocratie ? », Edward Bernays, 1928
2 P127, entouré d’enfants pour son 50ème anniversaire.
3 P125, sur le front russe avec Mussolini.
4 P94, avec Albert Speer à Berchtesgaden.