Cette histoire du terrorisme, qui s’appuie sur 33 entretiens avec d’anciens ou d’actuels terroristes, des avocats, des enquêteurs et des juges, est organisée, comme le documentaire éponyme diffusé sur France 3 en mars 2012, en trois périodes.
« Les années de libération » (1945 – 1969)
Ce sont celles des mouvements de libération qui se soulèvent contres les puissances coloniales, de l’attentat de l’Irgoun contre l’hôtel King David de Jérusalem (QG du renseignement britannique en Palestine) en 1946 aux appels au Jihad contre l’Occident des Frères musulmans en Égypte, des attentats du FLN en Algérie à l’appel de la Tricontinentale en 1966 qui voit Che Guévara appeler à la révolution mondiale, de la structuration des organisations d’extrême-gauche (allemand, japonais) autour de la lutte du Front populaire de libération de la Palestine aux Black Panthers. Dans cette période, où les terroristes s’abritent et s’entrainent dans des camps algériens puis cubains, des intellectuels comme Frantz Fanon, Jean-Paul Sartre, Régis Debray jouent un rôle majeur dans la théorisation de l’usage de la violence comme tactique révolutionnaire.
Les « années de poudre » (1969 – 1989)
À bien des égards héritières des mouvements de 1968, elles s’ouvrent sur l’attentat suicide de l’aéroport de Lod à Tel-Aviv en 1972, premier grand attentat médiatique revendiqué par le FPLP mais réalisé par trois Japonais de la Fraction Armée rouge japonaise. Ce sont les années de ce que M. Prazan appelle le « terrorisme publicitaire », marqué par les détournements d’avions du FPLP . Ce sont aussi les années de la RAF (Fraction Armée rouge) et des Cellules révolutionnaires allemandes, des mercenaires terroristes comme Carlos, de l’attentat des Jeux Olympiques de Munich en 1972. Ce terrorisme international s’entraîne dans les camps palestiniens, en Jordanie et au Liban, et est souvent financé par le bloc de l’Est. Mais ce sont aussi les années de plomb des Brigades rouges et du terrorisme d’extrême-droite en Italie, et du terrorisme d’État avec le plan Condor des dictatures sud-américaines contre les guérillas et les mouvements de gauche. La deuxième moitié des années de poudre est dominée par la révolution islamique en Iran, les premières bombes humaines iraniennes dans la guerre contre l’Irak et la naissance du Hezbollah au Liban. Michaël Prazan montre aussi, en suivant le parcours d’Ayman Al-Zawahiiri (qui devint plus tard le second de ben Laden) comment, dans l’Égypte sunnite des années 1980, l’islamisme des Frères musulmans prend une nouvelle dimension révolutionnaire dans la jeunesse étudiante, sous l’influence des écrits de Sayyid Qutb dans les années 1960 et grâce à l’exemple iranien.
Les « années Jihad » (1989 – 2011)
Ce sont celles des suites du Jihad afghan après le retrait des troupes soviétiques, du GIA en Algérie à la Bosnie, au Soudan, à la Palestine, à la Tchétchénie, et du parcours complexe qui conduit à la formation d’Al-Qaïda par Oussama Ben Laden et Al-Zawahiri et au Jihad contre les États-Unis, jusqu’au 11 septembre 2011 et à la guerre des États-Unis contre le terrorisme.
Du terrorisme après 1945
On soulignera à quel point ce vaste et complexe tableau est peint avec clarté, précision et sens des nuances par Michaël Prazan, qui sait rendre intelligibles les arcanes du terrorisme international, sans oublier ses objectifs de départ : montrer l’unicité du phénomène terroriste depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi partir de là alors que le terrorisme existait déjà auparavant ? Pour Michaël Prazan la Seconde Guerre mondiale a constitué un tournant majeur dans l’histoire du terrorisme. Avant la guerre, les terroristes étaient organisés en petits groupes clandestins défiant les pouvoirs en place par des actes violents et considérés comme criminels dans les sociétés où ils les commettaient, autrement dit pour Prazan une définition subjective, venant des pouvoirs visés. Après 1945, la définition reste la même, mais elle s’objective en prenant pour cible non plus seulement les pouvoirs en place, mais principalement les civils. Après 1945, les groupes terroristes effacent la distinction entre civils et militaires : dans les colonies, le civil est un agent colonisateur ; en Israël il est un militaire en puissance, ou un ancien militaire. Michaël Prazan montre aussi très bien combien ces groupes terroristes sont liés entre eux. Leur référence constante est la Résistance française (qui n’a jamais ciblé les civils), cette identification permettant de légitimer la cause défendue et donc les actions menées, au nom d’un combat de libération. Les échanges entre eux sont logistiques, idéologiques, opérationnels, intellectuels, financiers. Ils se retrouvent dans les mêmes camps d’entraînement, qui se déplacent selon les époques (Algérie et Cuba, puis Jordanie et Liban, puis Afghanistan et Yémen). Ils partagent méthodes et savoir-faire, se rencontrent, s’imitent, apprennent très rapidement à utiliser les médias. Ils constituent une autre forme de mondialisation.
Bref, ce livre passionnant, à compléter par sa version documentaire, trace une autre histoire de la seconde moitié du XXe siècle, et sa richesse rendra sans nul doute de nombreux exemples enrichissants par exemple pour traiter certaines parties des nouveaux programmes de Première comme les nouvelles conflictualités.
© Laurent Gayme