Ce livre reçu en avant-première par la Cliothèque s’inscrit dans une démarche qui est celle de l’histoire globale, dont les particularités ont été présentées lors d’une importante conférence pendant les Rendez vous de l’histoire de Blois, et très suivie par les Clionautes, concernant l’histoire du monde avant la mondialisation.
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Dans le cas spécifique de Chris Harman, et de son histoire générale, de l’âge de pierre au nouveau millénaire, le point de vue est résolument basé sur la conception marxiste de l’histoire. Si dans le tournant des années 70 et 80, cette approche est très largement critiquée, cela peut s’expliquer à la fois par un certain nombre de révélations sur le socialisme réellement existant, par la publication de l’archipel du goulag, par Alexandre Soljenitsyne, et par une offensive idéologique des libéraux.
L’historiographie n’a pas été épargnée par ce courant, pendant lequel on a vu des plumes prestigieuses, et pas des moindres, brûler ce qu’elles avaient naguère adoré.
Il semblerait d’ailleurs que le débat d’idées n’échappe pas au rythme cyclique des effets de mode. La parution de cet ouvrage qui semble susciter une certaine curiosité, suite à la disparition récente de son auteur, engagé dans le mouvement socialiste britannique, et investi à divers titres dans le mouvement trotskiste, inscrit sans aucun doute dans une forme de renaissance de ce courant d’idées.
Le choix de l’auteur et d’inscrire un les différentes périodes historiques dans le processus qui conduit au changement de mode de production et d’appropriation des richesses produites par les sociétés humaines. On retrouve cette démarche à toutes les périodes de l’histoire.

Dans la seconde partie, on traite par exemple des premiers empires chinois, l’auteur reprend les explications marxistes sur le passage du royaume combattant à l’explication de l’empire, avec la prise de contrôle par l’État des industries clés du sel et du fer.
Dans le chapitre neuf, consacré aux cités grecques, on pourra trouver une très intéressante explication sur le passage des monarchies à la tête des cités, aux oligarchies, avant que dans le cas d’Athènes, se réalise le passage à la démocratie, mais qui est présenté comme une exception.
Évidemment, le rôle des grands hommes est présenté comme étant l’émanation des forces sociales dont ces derniers apparaissent comme les représentants.
On retrouve quelques siècles plus tard le même type d’analyse à propos de la réforme en Europe et des guerres de religion en France. La thèse de Max Weber sur l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme et confirmé par l’auteur qui analyse ce phénomène comme étant lié à la superposition de structure du marché et du féodalisme dont les contradictions ont favorisé des aspirations nouvelles, que l’on a pu retrouver d’ailleurs dans la guerre des paysans, à la fin de 1524. À ce propos, on pourrait retrouver une synthèse tout à fait enrichissante sur les contradictions entre Luther et les prédicateurs protestants comme Thomas Müntzer pour qui l’accomplissement du christianisme signifiait la transformation révolutionnaire du monde.

Le point de vue des perdants

À propos des guerres de religion en France, certaines remarques peuvent interroger. D’après l’auteur, le calvinisme semble avoir été lié, dès le départ, un soutien à des nobles en révolte contre le pouvoir de l’église et de la monarchie absolue. La petite bourgeoisie urbaine s’est finalement soumise aux objectifs des grandes familles réformées qui étaient évidemment hostiles à toute transformation sociale.
La guerre civile américaine que l’auteur n’appelle pas la guerre de sécession est présentée d’un strict point de vue économique. Les états du Sud souhaitaient à cette période s’accaparer les terres du Mississippi au Pacifique, de terre qui était également convoitées par les populations du Nord. On apprendra dans ce chapitre que la guerre civile a été précédée par des affrontements antérieurs à propos de la mise en place de l’esclavage dans le sas en 1854. En réalité, ce n’était pas un jugement moral sur l’esclavage qui posait problème la bourgeoisie de la Nouvelle-Angleterre, mais bien le fait que cette appropriation des terres par les grandes familles de planteurs remettait en cause le principe du « sol libre » permettant la constitution de lots de terres pour recueillir l’excédent de population de la côte est. Cette guerre civile américaine a été étudiée par Karl Marx et Chris Harman reprend certaines explications, notamment celle sur le faite que l’abolition de l’esclavage n’était pas le but premier des nordistes, mais qu’ils y ont été contraints par l’évolution de la guerre elle-même, et notamment la nécessité d’incorporer des régiments noirs. Cette vision de la guerre de sécession apparaît pour le moins discutable d’ailleurs.

Des conceptions discutables et pourtant salutaires

Bien d’autres éléments sont extrêmement discutables dans cette lecture marxiste de l’histoire. Vouloir présenter une explication uniquement économique à la montée du national-socialisme, on prête très largement le flanc à une certaine forme de schématisme. Au passage, l’auteur a du mal à évacuer certaines appréciations qui appartiennent très clairement au langage communiste des années 30, en évoquant la « lâcheté stupide des dirigeants sociaux-démocrates. »
Il est tout à fait étonnant par contre que les consignes suicidaires de l’internationale communiste refusant l’alliance avec « les sociaux traîtres », ne soit pas évoquées.
Un des chapitres reprend le titre d’un livre du révolutionnaire russe Victor Serge publié en 1939. « S’il est minuit dans le siècle », publié en 1939, présente cette cruelle réalité de ces hommes qui après avoir lutté pour un monde meilleur ont été confrontés à la trahison de leurs idéaux par des logiques d’État. On apprend dans ce chapitre des éléments sans doute mal connus sur le lait et des évolutions politiques du parti communiste américain, qui, après avoir dénoncé le New Deal de Roosevelt s’est mis à le soutenir. Cela permet de comprendre peut-être comment, au début de la guerre froide, le maccarthysme a pu s’appuyer sur des engagements de certains intellectuels, pour dénoncer ces communistes infiltrés.
Cette lecture marxiste de l’histoire pourrait être surprenante pour des lecteurs qui n’ont pas connu le tourbillon idéologique des années 60 et 70. De ce point de vue cette histoire globale pourrait constituer une approche rapide de plusieurs questions, mais à prendre simplement comme une présentation synthétique qui appelle la nuance et même parfois la contestation. Dans le même temps, l’ouvrage permet de revenir à des fondamentaux. Et notamment celui qui consiste à comprendre que ce sont les irruptions des peuples qui font l’histoire, quand bien même les grands hommes, où les communicants, peuvent parfois les conduire.

Bruno Modica