L’ensemble des deux livres est constitué de 26 chapitres d’environ 14 pages chacun. Howard Zinn, professeur à l’Université de Boston, disparu en 2010 était célèbre notamment en France pour son « Histoire populaire des Etats-Unis ».. Rebecca Stefoff a eu la charge d’adapter le livre de Zinn pour les adolescents. Reconnaissons que l’ouvrage peut s’adresser aussi aux adultes éventuellement. Le premier volume est consacré à 1492- 1898, tandis que le second s’étend de 1898 jusqu’à aujourd’hui.

Déboulonner les mythes

Dans son introduction, Howard Zinn précise que ce projet répond aux questions qu’on lui posait souvent. Rappelons qu’il entendait redonner leur voix aux oubliés de l’histoire officielle comme les femmes, les Indiens ou les Noirs. En quelques pages ciselées, l’auteur glisse ses profondes convictions :  » est-il juste de saper le prestige des héros traditionnels de notre nation ? …je ne crains pas de désillusionner les jeunes en soulignant les défauts de nos héros traditionnels.  » Certes, mais il met aussi en évidence d’autres personnages et donc d’autres héros potentiels. Howard Zinn choisit la fin du premier chapitre pour enfoncer le clou sur ses convictions :  » mais que fait-on des ouvriers, des fermiers, des personnes de couleur, des femmes, des enfants ? Eux aussi font l’Histoire.  »

Cinq siècles d’histoire revisités

Christophe Colomb est le premier personnage a être abordé par Howard Zinn. C’est peut être ici qu’on sera le moins étonné, tant la figure du célèbre génois a connu depuis plusieurs années des remises en cause. Plus que Christophe Colomb, c’est toute la période de colonisation qui est examinée. Haïti comptait 250 000 Indiens avant son arrivée, la moitié deux ans plus tard, et en 1550 il ne restait plus que 500 Indiens. Même sur des épisodes « glorieux », et d’ailleurs surtout sur eux, il propose une approche différente, comme pour le premier chemin de fer transcontinental et ce qu’il a coûté en vies humaines. Les réformes du travail début XXe siècle sont aussi envisagées, tout comme le New Deal. Cette période est, et l’on s’y attend, plutôt bien vue mais l’auteur insiste aussi sur sa brièveté.

La question noire aux Etats-Unis

Parmi ses chevaux de bataille, il y a forcément la question de la place des Noirs dans la société américaine. Il aborde d’abord l’esclavage » en précisant qu’un tiers de tous les Africains transportés en Amérique moururent en chemin ». Voilà bien un thème qui occupe une grande place dans l’histoire américaine. Avec quelques références il dresse le tableau : dans le sud entre 1790 et 1860 on passe d’un millier de tonnes à un million de tonnes de coton grâce au travail forcé des esclaves ! Il parle d’une autre guerre civile : celle qui oppose les classes sociales. Il revient à plusieurs reprises sur cette question, ce qui permet de montrer des évolutions. Pourtant à le lire, on a parfois l’impression d’une histoire immobile. Il concède certes des évolutions législatives, mais malgré tout, en 1900, tous les Etats du sud avaient des lois qui empêchaient les Américains noirs de voter et de jouir de leurs droits de citoyens. Howard Zinn évoque dans le deuxième tome la révolte des noirs et les droits civiques avec les personnages attendus comme Rosa Parks ou Martin Luther King. Ces personnages là ne font pas l’objet de remise en cause, ce qui peut se comprendre en partie d’après le projet de l’auteur, même si on aurait aimé que sa sagacité critique s’exerce partout et tout le temps.

Des épisodes moins connus ou d’autres remis sur le devant de la scène

Si l’on n’est pas familier de l’histoire des Etats-Unis, des épisodes peuvent être des découvertes, y compris pour les adultes. Ainsi, la révolte de Bacon dans les années 1670 représente un soulèvement de colons pauvres contre deux groupes qu’ils considéraient comme leurs ennemis : les Indiens et les blancs privilégiés. Howard Zinn revient aussi sur la personnalité d’Andrew Jackson qui devint au début du XIXe siècle président après avoir été chasseur d’Indiens. Les deux ouvrages se distinguent en tout cas clairement par une plus grande attention portée à d’autres groupes que ceux traditionnellement envisagés avec par exemple la question des femmes dans les années 1960-1970 ou encore celle des minorités.

Une autre histoire, certes mais…

Il est donc intéressant de mettre en valeur d’autres angles de l’histoire, y compris des opposants au système, mais autant parfois l’auteur dit combien de gens se sont soulevés lors de tel épisode, autant il apparaît parfois vague ou alors parle de quelques milliers de personnes voire centaines. On peut certes réévaluer leur rôle, mais si chaque manifestation de quelques centaines de personnes donne lieu à des lignes dans un livre d’histoire, le nombre risque de singulièrement grossir.
Sur des points précis, on peut aussi critiquer ce qu’écrit Howard Zinn. Pour la guerre froide il écrit  » Truman instaura une ambiance de crise qu’on devrait appeler guerre froide » et quelques lignes en dessous  » la rivalité était bien réelle ». Dans ce genre de conflit, il faut être deux et on a pourtant l’impression d’une responsabilité à sens unique dans ce conflit majeur du XXe siècle. Plus loin pour le maccarthysme, il dit de même que  » des enquêtes permirent de prouver que toute l’affaire était bancale ». C’est aller un peu vite d’après ce que semblent dire les historiens aujourd’hui de cet épisode.

On peut reconnaître à l’auteur et à l’adaptatrice un vrai sens du récit et souligner combien l’ensemble est plaisant à lire mais n’est pas exempt de reproche ou de formules raccourcis : ainsi lorsqu’il évoque la Révolution américaine contre la métropole, il parle de « détourner l’énergie rebelle des colons contre l’Angleterre et du fait que cette idée de génie ne fut ni un plan ni une décision libérée, elle se forgea au fil des ans. « . Il donne donc l’impression que la Révolution américaine n’est pas programmée, mais sa formulation le suggère un peu quand même. Salutaire parfois, agaçante aussi, cette histoire populaire des Etats-Unis est donc plutôt à lire en complément, en opposition à une histoire « traditionnelle » pour que chacun se construise sa vision de l’histoire américaine. Celle-ci ne mérite ni une admiration béate, ni un hyper-criticisme.

© Jean-Pierre Costille