En cette année 2007, Sebastien Le Prestre plus connu sous le nom de Vauban est à l’honneur. On commémore en effet le tricentenaire de sa mort et la France a choisi de présenter la candidature du réseau Vauban pour l’inscription au patrimoine mondial de l’Unesco. Ce réseau regroupant 14 sites majeurs de Vauban entend montrer son œuvre dans sa diversité, en mettant l’accent sur la capacité de l’homme à s’adapter aux contraintes des lieux.
Autant dire que cette conjonction de raisons donne lieu à une production éditoriale déjà très nombreuse et qui ne va faire que s’accélérer. Plusieurs biographies existaient déjà sur le personnage, toutes datant de moins de vingt ans : il y eut celle de Bernard Pujo, d’Anne Blanchard ou de Michèle Virol. Les deux dernières se révèlent assez complémentaires car à une biographie classique et chronologique (celle d’Anne Blanchard) s’ajoute un travail sur l’œuvre intellectuelle de Vauban (Michèle Virol).
Pele-mêle, on pourra découvrir aussi cette année une sélection de la correspondance de Vauban présentée par Guillaume Monsaingeon et cela ira jusqu’à la consécration du personnage avec la publication de l’ensemble de ses oeuvres baptisées « Oisivetés » et cela sous la direction de Michèle Virol à l’automne prochain.
Daniel Halévy n’y croyait pas : « L’édition nationale de ses écrits, jadis souvent proposée, projetée, n’a jamais été qu’un rêve, et ce rêve même, nous ne le formons plus. » Cette étrange formule est tirée de son livre « Vauban ». Elle s’explique par le fait que le livre de Daniel Halévy date de plus de quatre-vingt ans ! On pourrait donc s’étonner de la republication de ce livre paru pour la première fois en 1923. Ainsi, les sources utilisées sont moins fournies que dans beaucoup d’ouvrages actuels sur Vauban. L’apport de Daniel Halévy est peut-être ailleurs. Rappelons qu’il vécut de 1872 à 1936. Il fut historien et philosophe et écrivit sur Péguy ou sur Degas..
La maison d’édition ne manque pas de couvrir son livre d’un élégant bandeau « 2007 année Vauban ». Avant de parler du fond, remarquons que pour le lecteur non avisé, rien dans la quatrième de couverture ne lui indique qu’il s’agit d’une réédition d’un livre vieux de plus de quatre vingt ans. Voilà pour la forme.
Le fond s’avère plus intéressant. En effet, on ne peut juger de la qualité d’un livre uniquement par la date de son copyright. En un peu plus de 160 pages, Daniel Halévy dresse un portrait de Vauban fort attachant. C’est peut-être là d’ailleurs la force et la faiblesse de cet ouvrage car on sent une certaine empathie du biographe pour l’homme. Cela donne lieu à d’élégantes formules et de beaux morceaux écrits : « Vauban le maçon sent le plâtre et la terre. Il est toujours au loin, dans la neige, dans la boue ; s’il ne combat pas, il construit, voyage et lève des plans. Vauban s’est dévoué à son œuvre, il y a disparu. »
L’ouvrage est composé de six chapitres. Dans chacun, Daniel Halévy truffe son propos d’extraits de lettres écrites par Vauban, nous donnant mieux à voir l’homme, derrière la figure un peu monolithique du fortificateur. Tous ces morceaux choisis agrémentent de façon très plaisante le livre. En effet, et là n’est pas la moindre des qualités de cet ouvrage, l’auteur, dès 1923, dessine le portrait d’un homme qui fut bien plus qu’un militaire. En cette année 2007 beaucoup d’ouvrages insistent sur ses différentes facettes , mais beaucoup sont déjà présentes dans ce livre. Notons cependant que le portrait offert ici de Vauban s’apparente davantage à une peinture par petites touches, quasi impressionnistes.
L’ordre chronologique est respecté,mais là n’est pas la vraie articulation du livre. Il vise davantage à présenter l’homme dans ses différentes facettes. on sent bien que là n’est pas la principale préoccupation de l’auteur. Il évoque le Vauban contestant la révocation de l’édit de Nantes en citant là encore des lettres d’époque : « Que le Roi donc, tandis qu’il possède encore la plénitude de sa force et se liberté, donne ce que demain on lui arrachera ; qu’il rappelle, qu’il rallie ces sujets naguère fidèles ; qu’il rétablisse l’Edit de Nantes, qu’il restitue les temples, annule les confiscations… »
Il évoque également le Vauban qui s’intéressa à l’impôt à travers son projet de Dîme royale. Daniel Halévy insiste aussi sur combien l’homme fut de plus en plus sensible au mieux être des troupes. Il met aussi en avant sa compassion : à propos d’un soldat déserteur, voici ce qu’écrit Vauban : « C’est un misérable qui a cinq ou six petits enfants qui meurent de faim, et qui me fait compassion. » et Daniel Halévy d’ajouter : « Compassion : c’est un mot dont on n’use guère dans les années, et qui peint l’homme. ». De la même façon il résume en quelques formules le personnage : « Vauban n’a pas l’ame féodale, il est dévoué à l’Etat, il aime le Roi en qui l’Etat s’incarne. »
Parfois, la marque de 1923 semble se dessiner dans le texte comme en filigrane : « Qu’ont-ils enfin voulu ces grands serviteurs dont il est le dernier ? Une France unie, dévouée, forte ; féconde en blé, en viande, en vin, nombreuse en ses familles, généreuse en son peuple, glorieuse en ses chefs et retranchée contre ses ennemis par les trois mers, les monts et le Rhin qui la couvrent. » N’y a t il pas là une phrase qui sent les lendemains de guerre ? Et même si tel est le cas, peu importe, car on sait bien que l’historien est toujours fils de son temps. De temps à autre on sent que l’auteur s’aventure dans une histoire psychologique qui est peut-être la contrepartie d’une certaine empathie pour l’homme qu’il présente.
Au final cet ouvrage n’est pas à situer sur le même plan que d‘autres biographies qui paraitront ou reparaitront cette année. Il n’est pas non plus un éclairage sur un angle de l’œuvre de Vauban comme il en en a surgi et en surgira encore en 2007. Il nous permet peut-être, comme une fresque, de découvrir un personnage en son siècle, le tout écrit avec un souffle certain. Il n’est nullement une somme, mais peut-être finalement une introduction à , incitant le lecteur à aller plus loin. L’ouvrage de Daniel Halévy montre déjà cet homme multiple qui n’attendait pourtant « qu’un peu d’encens de la postérité ».
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