Pour ce nouveau livre, « La Rome antique, vérités et légendes », Dimitri Tilloi-d’Ambrosi pose la question des idées reçues à propos de Rome. La civilisation
antique romaine fascine tant par sa longévité (plus de mille ans), que par l’étendue de son territoire (de l’Atlantique à l’Euphrate, du Sahara aux limes des Clyde/Rhin/Danube). Pourtant, la littérature, la peinture et les péplums ont entretenu de nombreux clichés à son sujet. Tantôt matrice acclamée de notre civilisation, tantôt symbole exécré de tous les excès, l’histoire de Rome est toujours évidemment beaucoup plus complexe.
Cette collection « Vérités et légendes » chez l’éditeur Perrin, dirigée par Emmanuel Hecht rédacteur en chef du service livres à L’Express depuis 2009, se donne pour objectif de dépasser les idées reçues sur des sujets aussi divers que des acteurs (ex : Kennedy), des lieux (ex : Le Vatican) ou des périodes historiques (ex : La révolution française).
En s’appuyant sur les auteurs anciens, l’épigraphie, les fouilles archéologiques les plus récentes, Dimitri Tilloi-d’AmbrosiAgrégé, docteur en Histoire romaine, Dimitri Tilloi-d’Ambrosi est professeur dans le secondaire et enseigne à l’université de Lyon III. Spécialiste des questions alimentaires, sa thèse portait sur « la cuisine et la diététique à Rome, du IIIe siècle av. J.-C. au IVe siècle ap. J.-C » (2019). Il a publié plusieurs ouvrages, notamment chez Arkhê : « L’Empire romain par le menu » (prix Anthony Rowley 2018) ; « Les Voyages d’Hadrien. Sur les traces d’un empereur nomade » (2020) ; et aux PUF : « 24 heures de la vie sous Néron » (2022). apporte toute la nuance nécessaire à la bonne appréhension d’un monde romain pluriel.
Le livre est construit à partir de 25 chapitres reprenant des questions précises sur la civilisation romaine, questions thématiques indépendantes les uns des autres. Cela permet au lecteur de lire le livre dans l’ordre de ses préférences. Cette démarche fait penser à celle d’Alberto Angela, paléontologue, vulgarisateur scientifique, écrivain et journaliste italien. Comme un guide actuel, les thèmes sont prosaïques, avec une volonté de mots employés contemporains, qui doivent susciter l’intérêt en écho à nos préoccupations intemporelles, tout en évitant l’écueil de l’anachronisme.
Des empereurs ont-ils été réellement fous ?
La question du chapitre 7 combat les clichés récurrents dans les médias d’un pouvoir impérial total et sans limite, engendrant toutes les dérives. Ces clichés sont déjà présents dans « La vie des douze Césars » du chevalier Suétone au IIe siècle et « L’Histoire Auguste » œuvre d’un sénateur anonyme du début du Ve siècle. L’auteur nous rappelle que les sénateurs étaient hostiles au pouvoir impérial, qui a plusieurs reprises a été répressif à leur encontre (ex : sous Domitien à la fin du Ie siècle). Le « capax imperii » s’oppose à l’« hybris » (la démesure) : l’empereur incapable de se gouverner ne saurait gouverner
un empire qui se veut universel. La majorité des historiens estiment par exemple que Néron n’est en rien responsable de l’incendie de Rome en 64.
L ‘empire romain est-il tombé sous les coups de Barbares ?
La question du chapitre 9 est toujours d’actualité comme le montre Bertrand Lançon La Chute de l’Empire romain : une histoire sans fin, Perrin 2017 qui recense 210 théories avancées. L’historien italien Alessandro Barbero dans Barbares, immigrés, réfugiés et déportés dans l’Empire romain (2009) insistait sur les différentes formes de leur intégration (reprenant une idée de Paul Veyne « d’invités envahissants »). Il rappelle aussi le débat actuel ouvert par l’historien américain Kyle Harper dans Comment l’Empire romain s’est effondré : le climat, les maladies et la chute de Rome (2017), faisant écho à nos préoccupations actuelles environnementales.
Les femmes romaines étaient-elles émancipées ?
La question du chapitre 14 est un stéréotype né de la comparaison avec la situation de la femme grecque. Évidemment la position des femmes romaines a évolué au fil des siècles et des groupes sociaux. Parler d’émancipation paraît anachronique dans une société marquée par la domination masculine du citoyen romain. Il fait pourtant écho à un certain renouveau du féminisme. L’emploi du néologisme “féminicide” à propos d’une femme morte des mains de son mari à Lyon, le souci de la nommer, de souligner le chagrin de son frère et de son fils, nous renvoient à l’actualité.
Aborder la question de la place des femmes, c’est aussi rappeler le contrôle du corps par l’intermédiaire de la médecine, de la loi (l’adultère) ou de la morale (connue par les inscriptions funéraires). Cependant si certaines ont su acquérir une réelle indépendance économique, d’autres connaissent le paradoxe, à l’instar de l’astronome grecque d’Alexandrie, Hypathie, d’une une position d’autorité par leur savoir, contestée violemment par des fanatiques chrétiens au début du Ve siècle.
L’écriture limpide et précise permet une lecture agréable et accessible, didactique. Le regret tient au fait que les références ne fassent pas l’objet d’une bibliographie in fine. C’est donc un excellent ouvrage initiatique. Dans sa volonté de vulgarisateur, l’auteur a aussi réalisé plusieurs interview filmés sur ses recherches, diffusés par exemple sur YouTube.
Dominique Rech, professeur agrégé d’Histoire-Géographie