W.R. Newton promène son lecteur dans le parc et les jardins de Versailles avec une égale minutie que, ses ouvrages précédents, dans le château et le grand commun. Il porte ses regards principalement sur les hommes, le personnel des jardins, sur ces uniformes rencontrés à l’ombre d’un bosquet.
Ses premiers chapitres font sortir des archives de la Maison du roi, une hiérarchie d’inspecteurs des jardins, de Suisses, de garde bosquets, de fontainiers sans oublier le taupier du parc de Versailles.
Chacun a une fonction attribuée et par conséquent une livrée distincte de drap bleu de Bergame, qu’illustrent de belles gravures placées au centre de l’ouvrage. L’obtention de ces livrées a un coût considérable pour le budget royal, plus d’une centaine de livres, et fait cependant l’objet de récriminations de leurs porteurs sur la forme des galons ou des boutons. On y apprend que Louis XIV raffolait de son système d’écoute favori, interroger ses Suisses qui, furetant dans les jardins, étaient par conséquent au courant de bien des secrets. Le pouvoir et les écoutes !
Meurtre dans un jardin français
Un fois posée la hiérarchie des hommes et de leurs emplois, W.R. Newton les met en mouvement et montre les empiétements, les oppositions dans le jardin. Ainsi sur la possibilité de servir de guide. Qui du garde bosquet ou du suisse peut s’attribuer cette prérogative ? Il en découle de savoureux coups fourrés dégénérant en règlements de compte violents à l’ombre des grands arbres ou dans la ville. A plusieurs reprises, vers 1780, le comte d’Angiviller se plaint au comte de Noailles, qui commande les Suisses aux grilles de « leur nullité », leur incapacité à endiguer un flot de gens qui traversent le parc, l’utilisant comme un raccourci vers la ville, endommagent les carrés plantés et forment des sentiers dans les bosquets. D’où le protocole d’ouverture et fermeture des grille, tour du parc, ronde du territoire…munis d’un sifflet avec des signaux précis pour communiquer. Mais les gardes des bosquets de Trianon refusent de siffler pour les gardes des jardins!
Dangereux, ces jardins où les polissons se cachent dans les vases pour faire des niches, où, plus grave, l’on se suicide dans les bassins ? Mal gardés, ces jardins, par des Suisses qui ne parviennent pas, malgré leur organisation, leur bonne mine et leur grande taille à empêcher le libertinage dans les bosquets ? On regrette évidemment l’absence d’un journal de la police des jardins pour estimer la routine des déprédations quotidiennes comme faire pâturer un bidet dans les parterres ou arracher l’écorce des ormes pour en faire des remèdes.
L’économie d’un jardin
Dans cet ouvrage, il est peu question de la grandeur du monarque mais plutôt des fonctions quotidiennes et concrètes du parc. C’est le lieu des pique nique, du canotage, de la pêche et des carpes à observer. Lieu de divertissement, de promenades quotidiennes, revendiqué par les Versaillais et la noblesse, face à la tentation de fermer le parc au public, déjà au XVIIIe siècle comme l’actuelle porte du Dragon!
Il s’agit également de fournir des matériaux aux jardins, du sablon de rivière, ainsi les oignons de plantes. Il faut en fournir plus de sept espèces souvent complété par l’achat de boisseaux entiers de jacinthes ou de narcisses. Les treillages coûtent plusieurs milliers de livres chaque année sans compter le fil de fer, tellement leur fragilité résistait peu à la force des branches. W.R. Newton estime que l’entretien fixe du château coûtait en moyenne 48 097 livres dont les jardins représentaient 80% des dépenses.
C’est aussi le lieu d’expérimentation botanique et scientifique avec la mise au point de serres froides, de serres chaudes, de potagers et de lieux d’acclimatation. Ces serres de trente mètres de long qui existaient alors, sont dissimulées actuellement aux touristes alors qu’elles feraient comprendre l’exploit de la production. Car Versailles était, et est, un lieu de production de grande taille : deux millions de pot de fleurs, afin de les changer souvent journellement. Sur les 123 arpents du parc, on préparait des plants sur 8% de la surface pour l’année en cours et l’équivalent pour l’année suivante !
Il s’agit enfin de la vente des produits du parc à savoir le bois issu des coupes d’entretien ou à la suite de dégâts naturels. W.R. Newton explique parfaitement comment un employé, tout prêtre qu’il fut, peut modifier le plan de coupe et augmenter le nombre d’arbres à vendre pour son propre compte en accord avec les marchands de bois. Cette démonstration faite ici, pourrait être transférée dans les forêts domaniales actuelles, si le contrôle des adjudications par l’administration se relâche faute de moyens ou faute d’inspection. Il faut comparer la valeur d’un arbre à la valeur du produit de première nécessité pour comprendre la tentation de l’abbé Nolin.
Le parc, c’est aussi le canal et son service de la petite Venise avec ce quartier si particuliers des petites maisons à l’angle du grand canal. Des travaux universitaires viennent d’être soutenus sur le réseau d’eau et sur la flottille (2010-2011), que n’utilise pas W.R. Newton. Cependant, il fait apparaître une amusante « République des filles de joie » et la difficile remise en ordre moral face à la hiérarchie du Domaine. On y apprend alors, chose difficilement imaginable, que le roi a soutenu des Ateliers Royaux, pour ne pas dire Nationaux, chantiers d’Etat pour donner du travail aux malheureux, victimes de la crise …. climatique de 1789-1790. Et la pression sur les employeurs était telle qu’ils craignaient une émeute à l’annonce de la fin du curage du grand canal !
Le Grand parc n’a rien perdu de son charme ni le jardin de son éclat
C’est un livre très agréable à lire, aux chapitres bien segmentés, chacun construit autour d’une unité. La documentation dépouillée aux Archives Nationales est toujours aussi impressionnante que pour les autres ouvrages de W.R. Newton. Les notes sont précises et bien référencées comme l’est également l’excellent index du personnel, ce qui fait la force et la spécificité de cet auteur américain qui s’affirme vraiment comme un historien du quotidien du château et non de la représentation du pouvoir.
Le titre est parfaitement justifié, non pas dans le temps chronologique comme le voudrait une histoire téléologique allant de Louis XIV à la révolution française. Mais c’est bien au milieu d’une telle splendeur qu’est ce parc du château de Versailles, que se trouve un formidable théâtre de divertissement mais également des petites misères humaines, des périodes d’abandon de la végétation, des espaces de délabrement dans des bâtiments, des serres, avant qu’ils ne soient réanimés par la passion toujours vive de replanter et de reconstruire.
Pascale Mormiche