Ce livre, largement illustré, présente quelques lieux disparus du Versailles de Louis XIV, dont certains faisaient partie des merveilles du château (la grotte de Téthys, la Petite Galerie…). S’appuyant sur des dessins d’architecte, des gravures, des tableaux et les descriptions des contemporains de cette époque, cet ouvrage s’efforce de donner la plus exacte vision possible de ces espaces, en proposant un travail de reconstitution 3D, prolongeant le documentaire Versailles. Le palais retrouvé du Roi Soleil (réalisé par Marc Jampolsky et Marie Thiry, en 2019).

Alexandre Maral, conservateur général au musée national des châteaux de Versailles et de Trianon, rappelle dans les grandes lignes les principales phases de ce gigantesque et interminable chantier voulu par Louis XIV. L’aménagement des jardins avec la réalisation du bassin d’Apollon et du bassin de Latone dans l’axe de la Grande Perspective, le Grand Canal, les premiers bosquets, les parterres, l’orangerie, la ménagerie, le tracé des trois avenues en patte-d’oie, l’enveloppe de Le Vau dévolue aux Grands Appartements, celui du roi au nord et celui de la reine au sud. Chaque plafond de ces salons est dédié à une divinité symbolisant une planète ou un satellite du système solaire : Diane, Mercure, Apollon, Jupiter, Vénus. La grotte de Téthys (située à l’emplacement de l’actuel vestibule de la chapelle), l’appartement des Bains, l’escalier des Ambassadeurs avec son éclairage zénithal et ses marbres polychromes…
L’installation de la cour à Versailles en 1682 rompt avec la tradition d’une monarchie itinérante. Après la guerre de Hollande, à partir de 1678, des remaniements de grande ampleur sont entrepris. La terrasse de l’enveloppe de Le Vau laisse place à la Grande Galerie conçue par Hardouin-Mansart (achevée en 1684), garnie de miroirs dans ses dix-sept arcades qui font face aux fenêtres et encadrée aux extrémités des salons de la Guerre et de la Paix. L’aile du Midi et l’aile du Nord se déploient. Le réaménagement de l’appartement du Roi autour de la cour de Marbre est décidé. Sur son côté sud, Louis XIV fait édifier la Petite Galerie, un espace privé où sont exposés les chefs-d’œuvre de ses collections artistiques, comme La Joconde. D’autres bosquets apparaissent. Les jardins s’enrichissent de sculptures en marbre et en bronze. Le Trianon de marbre succède au Trianon de porcelaine après 1688. Les ailes des ministres sont construites pour accueillir le personnel gouvernemental. Les écuries royales sont édifiées en marge du château (Grande Ecurie, destinée aux chevaux de selle au nord, Petite Ecurie pour les chevaux de trait et les voitures au sud). La machine de Marly, mise en service en 1682, a pour but de satisfaire en eau les nombreuses fontaines des jardins. Mais la guerre de la Ligue d’Augsbourg met à l’arrêt pendant près de dix ans les chantiers d’envergure. Le réaménagement de l’appartement du Roi a lieu en 1701 et aboutit à la réalisation du salon de l’Oeil-de-Bœuf, et à la transformation du salon du roi en chambre du Roi. Enfin, la chapelle royale, inaugurée en 1710, représente le testament architectural de Louis XIV.

La grotte de Téthys tapissée de pierres, de coquillages, de nacre, de perles et de coraux, de panneaux de miroirs, est animée de jeux d’eaux (en 1665). Elle s’ouvre sur les jardins par trois arcades. La devise solaire de Louis XIV, « Nec pluribus impar » (littéralement « Pas inégal à plusieurs ») figure sur la façade. Celle-ci est aussi occupée par un soleil (placé sur l’imposte de la grille centrale) qui rayonne sur le monde, figuré par six cartes représentant quatre continents et deux espaces antarctiques. Charles Perrault aurait imaginé le dispositif intérieur où Apollon se repose dans la grotte après avoir fait le tour de la Terre. Les admirables groupes sculptés en marbre de Carrare installés au fond de la grotte font l’objet d’un passage du poème Les Amours de Psyché et de Cupidon de La Fontaine en 1669 :
« Quand le Soleil est las, et qu’il a fait sa tâche,
Il descend chez Thétis, et prend quelque relâche.
C’est ainsi que Louis s’en va se délasser
D’un soin que tous les jours il faut recommencer… »
Ce lieu impressionne les contemporains de Louis XIV. Mlle de Scudéry fait l’éloge du groupe sculpté central, Apollon servi par les nymphes. Félibien rend compte de l’atmosphère de la grotte et de l’expérience esthétique qui se joue. Pourtant la destruction de la grotte intervient en 1684.

L’appartement des Bains, situé au rez-de-chaussée, se compose de cinq pièces principales. Les travaux sont achevés en 1680. Ces espaces particulièrement luxueux, dominés par la splendeur des marbres, auront été très éphémères, puisque la marquise de Montespan s’y installe en 1685, selon la volonté du roi. Désormais cette partie du château sera affectée à loger des membres de la famille royale, comme le comte de Toulouse (entre 1692 et 1737), dernier fils naturel de Louis XIV et de Madame de Montespan, ou les filles de Louis XV de 1752 à 1789. Elle subira donc de nombreux aménagements au fil du goût nouveau. L’enfilade correspond aujourd’hui à l’appartement de Madame Victoire. La reconstitution de l’appartement des Bains est rendue difficile compte tenu des archives lacunaires. Toutefois les nombreuses illustrations qui accompagnent ce chapitre du livre permettent de saisir la richesse des décors et l’agencement de ces pièces. Elles soutiennent efficacement les descriptions de Sophie Mouquin, historienne de l’art, qui propose des hypothèses de reconstitution de cette fastueuse création des années 1670-1680, où les marbres, les bronzes dorés et les peintures s’harmonisent.

La Petite Galerie représente une pièce d’apparat privée, qui abrite des objets et des tableaux précieux de la collection royale. Elle communique avec l’escalier des Ambassadeurs et les cabinets privés du roi. Dans un premier temps, cet espace est appelé, selon certaines sources contemporaines, la « galerie des Bijoux », en raison de la présentation des gemmes, agates et filigranes du roi. Ce lieu constituera par la suite un écrin pour les collections royales de peinture, rythmé par des « pilastres cannelés de broderie d’or ». Le décor par son raffinement devait participer à la présentation des œuvres. Une réflexion a été entreprise pour reconstituer l’accrochage des tableaux, en fonction des critères matériels et visuels de l’époque. Dans un souci d’esthétique et selon un principe d’équilibre et de symétrie, les œuvres mises en pendant sont d’un format proche, quitte à couper ou agrandir les toiles. Aussi, l’harmonie s’effectue par le sujet de l’œuvre, sa composition et ses coloris. En suivant les recommandations du théoricien de l’art, Roger de Piles, on s’autorisait, par un accrochage côte à côte, à comparer les œuvres d’un même artiste ou de deux écoles différentes. Sur ce principe, La Joconde du Florentin Léonard était présentée en regard à La Madeleine du Vénitien Titien. Des changements d’accrochage intervenaient régulièrement. Ils représentaient seulement un quart du nombre total des (75) tableaux, et concernaient davantage les tableaux de cabinet, autrement dit les petits formats.

En 1715, Jacques V Gabriel, contrôleur des Bâtiments du roi, dénombre dans le corps même du château, en plus des appartements du roi et de la reine, 20 logements de princes et de princesses et 189 « logements particuliers », affectés à ceux qui disposent d’une charge importante ou indispensable auprès du souverain ou de l’un des membres de sa famille.
C’est ainsi que le duc et la duchesse de Chevreuse avaient le privilège d’être logés dans l’aile du Midi dans un appartement de sept pièces. A partir de 1689, Charles Honoré d’Albret de Luynes, duc de Chevreuse (1646-1712), capitaine-lieutenant des chevau-légers de la garde du roi (depuis 1670) et son épouse Jeanne-Marie Thérèse Colbert (1650-1732) ont occupé dans l’aile du Nord un nouvel appartement (mieux documenté) donnant sur les jardins. On estime que le logement comprenait une douzaine de pièces pour un total d’environ 250 mètres carrés. Une telle superficie se justifie par le fait que les Chevreuse sont d’importants courtisans, titulaires de grandes charges. Mathieu da Vinha, auteur de ce chapitre et directeur scientifique du Centre de recherche du château de Versailles, rappelle que l’attribution des appartements répond à une combinaison subtile entre nécessité de service et faveur. Encore faut-il y être confortablement logé et bien placé. Des échanges d’appartement entre courtisans s’organisaient donc dans le but d’améliorer son environnement social. La topographie versaillaise témoigne de la volonté des Grands de mettre en place, au sein du château, des regroupements familiaux et des réseaux d’affinités politiques.

L’emplacement de la chambre du roi change au fil des chantiers engagés par les campagnes de travaux et des aménagements liés aux remaniements successifs. En 1684, le salon de Mercure constitue la grande chambre (d’apparat) du Roi, dite « chambre du Lit ». Louis XIV y passe environ 4000 nuits. La décoration et l’aménagement font de cette pièce un lieu de cour. L’ameublement est d’argent, à l’image de la balustrade faite d’une tonne d’argent massif et ciselé. L’argenterie sera fondue en 1689 pour financer la guerre de la Ligue d’Augsbourg, et remplacée par un mobilier de bois doré. Une nouvelle chambre du roi, désormais point focal du château, répondant à l’étiquette et adaptée à la mise en scène du pouvoir royal, voit le jour en 1701. Cette vaste pièce, précédemment salon, occupe 89 mètres carrés avec 10 mètres sous plafond. Les trumeaux de glace doivent améliorer la luminosité de la pièce. Le décor pictural souligne le goût du roi. Louis XIV passe environ 3000 nuits, durant quatorze ans, dans cette chambre, où il meurt le 1er septembre 1715. Situé au centre du palais, cet espace incarne l’aboutissement architectural, décoratif et cérémoniel du dessein versaillais du roi de France très chrétien, au cœur de sa société de cour et plus largement de son royaume.

La dernière partie du livre, « Reconstituer Versailles virtuellement », explique la démarche engagée pour la réalisation du documentaire Versailles. Le palais retrouvé du Roi-Soleil. La collecte des sources s’est appuyée sur la vaste entreprise de numérisation de plans, de coupes et d’élévations, mais aussi de détails d’architecture ou de décoration. L’exploitation de ces données a permis de consolider les hypothèses. La modélisation par la reconstitution des volumes vise à donner l’impression du réel. A cela s’ajoute l’application des textures, comme le marbre par exemple, et le réglage des éclairages. Les auteurs détaillent les techniques employées pour la reconstitution 3D des différents lieux.

Au fil de cet ouvrage, ces lieux féeriques et de pouvoir, aujourd’hui disparus, reprennent vie. L’analyse des documents d’archives et les reconstitutions virtuelles minutieuses, immersives et pertinentes permettent ainsi de saisir le caractère éphémère des décors de Versailles.

Eric Joly, pour les Clionautes.