Voilà bienvenue une compilation d’articles, parus dans la revue l’Histoire, qui sont consacrés à Versailles. Mais dans cet ouvrage en 4 parties, présenté par l’éminent spécialiste de la période qu’est Joël Cornette, la dernière est composée d’inédits dont le propos est de montrer la puissance du modèle versaillais. Dans un avant-propos, J.Cornette rappelle que Versailles fut conçu afin d’exprimer la puissance du roi, Louis XIV en l’occurrence.

La première partie s’intéresse à un château dont J.Cornette rappelle qu’il fut voulu comme un manifeste de pierre glorifiant le roi absolu ; il décrit ainsi le grand appartement dont le programme iconographique, fait d’images de divinités et de héros antiques, dessinait le portrait d’un roi parfait donc du « plus grand roi du monde ».
Mais avant Versailles, le roi de France, comme le souligne Philippe Hamon, n’avait pas une résidence fixe jusqu’à ce que Louis XIV, désireux de s’éloigner de Paris, choisisse le pavillon de chasse construit par Louis XIII. Ce départ de Louis XIV n’est pas sans rappeler celui de Philippe II d’Espagne quittant l’Alcazar de Madrid pour faire édifier l’Escorial ; toutefois Joseph Perez identifie deux différences notables entre ces deux souverains : l’un construisit pour la gloire de Dieu, l’autre pour la sienne et l’Escorial ne devint jamais le centre du royaume d’Espagne, contrairement à Versailles.
Sur le temps long des transformations apportées par Louis XIV à Versailles, Vaux-le-vicomte, le joyau de Fouquet, retentit chez le roi comme un défi, un aiguillon, un modèle. C’est pour cette raison, et Jean-Christian Petitfils le signale bien, qu’après la disgrâce de Fouquet, les réalisateurs de Vaux-le-vicomte furent embauchés pour le chantier versaillais. C’est ainsi que Le Nôtre réalisa ce qui reste considéré comme Le jardin à la française qui a pour caractéristiques essentielles: son aspect géométrique mais ponctué de « surprises » (fontaines), sa subordination aux bâtiments du château. Tout cela fit de Versailles, et ce avant le décès de Louis XIV, un modèle imité, en Espagne comme en Russie, mais Etienne François insiste sur ce point : pas une imitation stricte mais associée à d’autres influences.
Cette partie est conclue par Dominique Poulot pour qui Versailles est un lieu de mémoire car il donne une image homogène de la monarchie d’Ancien Régime.Dans la seconde partie, le roi est, pour contredire une affirmation de Ponce Ludon de Malavoie, un « sujet »… d’étude. Joël Cornette revient sur la phase d’apprentissage du métier de roi dans laquelle l’aspect militaire est primordial, primauté relevée dans les nombreux traités d’éducation destinés aux princes. Les deux articles suivants présentent des personnages proches du roi : Marie du bois, un de ses valets de chambre qui a laissé des mémoires très intéressantes concernant le quotidien du roi puisque cet office lui permettait d’avoir accès au monarque tous les jours ; dans l’autre, Guy Chaussinand-Nogaret mentionne l’absence de toute représentation de la famille royale à Versailles car le roi ne peut partager sa puissance et la reine n’a qu’un rôle : perpétuer la dynastie. Elle partage, de plus, les attentions royales avec une ou plusieurs favorites publiques dont les enfants se verront reconnaître par Louis XIV la possibilité de lui succéder.
D’autant plus proche du roi que les finances vont devenir une des préoccupations majeures du règne, Colbert, dont l’ascension irrésistible pour André Zysberg, ne fut pas celle d’un personnage de modeste extraction mais celle d’un homme issu d’une famille de riches marchands-boutiquiers et qui eut la volonté d’accumuler un maximum de richesses pour lui comme pour sa famille. Les énormes besoins d’argent de la monarchie peuvent expliquer l’importance qu’il prit ainsi que celle de ses successeurs : face à une monarchie aux abois financièrement, il fallut avoir recours aux impôts mais aussi aux avances que les Grands lui accordèrent pour financer les guerres causes d’un déficit structurel jamais épongé jusqu’en 1789. Ces problèmes financiers hantèrent, d’après François Lebrun, Louis XIV lors de ses derniers jours qui le virent s’inquiéter de l’état dans lequel il laissait le royaume à un dauphin de 5 ans.La cour, dans la troisième partie, et ses dessous, sont dévoilés à partir d’optiques variés. Les mémoires de Saint Simon et de Louis Nicolas le Tonnelier, baron de Breteuil, introducteur des ambassadeurs et princes étrangers, permettent d’appréhender et sous différentes facettes le système curial : chez le premier, E. Le Roy Ladurie identifie comme essentiel les hiérarchies au sein de la cour ; pour le second, c’est l’étiquette, comme instrument de pouvoir, qui est capitale.
Ensuite, Frédéric Garrigues et Philippe Gillet mettent en avant les aspects alimentaires du phénomène versaillais. F.Garrigues rappelle d’abord qu’il y avait des milliers de personnes à nourrir quotidiennement au château et que pour cela, il a fallu une « administration » qui passait des contrats avec des marchands sur plusieurs années. Pour ceux-ci, l’affaire n’était rentable qu’à condition que le roi paie en retard et avec intérêts. Ce roi dont le repas était entouré d’un cérémonial particulier et précis affirmant le caractère sacré de sa fonction mais dont les menus versaillais étaient plutôt monotones même si Philippe Gillet note une évolution culinaire : fin des cuisines très épicée, importance donnée à la fraîcheur des aliments et à la juste cuisson.La dernière partie intitulée, Versailles, le chantier de l’historien, est entièrement inédite. Elle permet à Joël Cornette de revenir sur certains points essentiels :
– La force d’attraction du modèle versaillais, ce jusqu’à Washington dont les avenues convergent vers le Capitole comme celles qui se rejoignent au château de Versailles.
– Les sources et notamment les plus importantes : Saint Simon dont J.Cornette relève la fascination pour Versailles, Louis XIV lui-même dans « Mémoires pour l’instruction du dauphin ».Vient ensuite, toute une série de contemporains : des très connus comme La Fontaine qui donne une description de la grotte de Thétis détruite en 1684 à d’autres moins : Félibien, historiographe du roi et de ses bâtiments qui confirment une certaine programmation des travaux à Versailles. Enfin, à signaler, Jules Guiffrey qui, fin XIXème, évaluer le coût des travaux à Versailles à 82 millions de livres de 1661 à 1715.
– Enfin, un retour sur la masse bibliographique disponible et un accent mis sur le renouvellement des problématiques.
J.Cornette rappelle que la rencontre entre Versailles et les historiens fut tardive, le château n’intéressait pas ; il note que dans les deux dernières synthèses consacrées à Louis XIV, peu de pages sont consacrées par exemple au programme iconographique de Le Brun.
Toutefois, depuis une dizaine d’années, il y a eu une multiplication des travaux sur Versailles. Gérard Sabatier dans son « Versailles ou la figure du roi» présente le château comme le centre décisionnel de l’état absolu, un instrument de gouvernement. Avec « Versailles, le chantier de Louis XIV », Frédéric Tiberghien présente le château comme le plus grand chantier de l’Europe du XVIIème, exceptionnel par son coût, le nombre d’ouvriers mais ordinaire par les techniques utilisées.
D’autres historiens ont insisté sur les habitants de Versailles (les valets du roi avec Mathieu da Vinha), l’occupation du château avec William Richtey Newton reconstituant l’occupation de tous les logements permettant d’identifier des hiérarchies.
Enfin J.Cornette signale deux études tendant à relativiser la puissance de Versailles : celle de Marc Fumaroli décrivant La Fontaine comme un résistant, un de ces princes de l’esprit qui tel Pascal, écrivirent loin de la cour ; celle de Katia Béguin qui centre son travail sur la reconstitution par les princes de Condé d’un réseau de clientèle et donc d’un espace d’influence fonctionnant à partir de Chantilly comme une contre-cour.

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