La collection « en 100 questions » chez Tallandier qui jusque-là avait proposé des thématiques plutôt géopolitiques autour d’États qui agitent l’actualité comme l’Iran, la Turquie, la Corée du Nord, l’Arabie Saoudite, le Pakistan ou bien encore l’Amérique de Trump ou la Russie de Poutine ; s’ouvre à un sujet proprement d’Histoire « Vivre à la cour de Versailles ». Mathieu da Vinha, à qui l’on doit notamment un riche et utile dictionnaire suivi d’une anthologie sur Versailles (aux éditions Robert Laffont, collection Bouquins), nous invite à comprendre et à revivre cette entreprise démesurée qui courent sur presque deux siècles.
Le choix éditorial qui se prête à une lecture libre et même décousue, sans prérequis, et qui réside en un système efficace de question-réponse, conduit le lecteur à parcourir avec assiduité ce livre. Cette accroche fonctionne donc parfaitement, d’autant plus que la formulation des questions prend souvent une dimension ludique et parfois légère qui pourrait s’identifier aux interrogations du simple visiteur. La réponse avancée n’en demeure pas moins sérieuse, argumentée et sourcée. Toutefois l’étudiant ou le professeur d’Histoire trouvera certaines questions et leurs réponses évidentes ou attendues.
Le domaine, l’environnement, le cadre
La première partie du livre s’ouvre sur une série de huit questions. L’auteur souligne le site plutôt « ingrat » que constitue Versailles : le vent, les marécages, le manque d’eau de source ; malgré l’attrait d’un territoire giboyeux. Mais pour un roi très ambitieux, tout est à construire autour de l’affection pour le relais de chasse de son père.
Depuis le 6 mai 1682, la cour vit dans un chantier permanent. Versailles est devenu le lieu incontournable et indispensable des élites et des puissants. Toutefois à la mort de Louis XIV le 1er septembre 1715 et jusqu’en 1722, la cour s’installe très provisoirement à Vincennes, puis à Paris dès le mois de décembre, sous la régence du duc Philippe d’Orléans, neveu du roi défunt. Pourtant durant cette parenthèse de nombreux bourgeois investissent les ailes du château. L’agrément du domaine attire toujours. Sa renommée n’est pas affectée puisque le tsar Pierre le Grand y séjourne en 1717.
Versailles est bien la résidence officielle et principale de la cour, mais Louis XIV fréquente de plus en plus, au fil de son règne, le château de Marly, une résidence de plaisance, jusqu’à 143 jours par an (en 1711). Louis XV aussi s’attachera à changer régulièrement de lieu, profitant des résidences au cadre moins pesant, sans audience, sans étiquette, moins stricte, vouées au divertissement, comme celles de Marly, de Trianon, de La Muette (dans le bois de Boulogne), de Choisy, de Saint-Hubert (dans la forêt de Rambouillet) ou de Bellevue à Meudon.
La construction, l’architecture
Les conditions de travail sur le chantier sont très rudes : tout au long des 11 heures de travail par jour en moyenne (pour 220 jours ouvrés) la discipline est stricte. A cela s’ajoute l’insalubrité des terrains qui entraîne de nombreuses épidémies. On dénombre une centaine de morts en moyenne par an, au-delà des nombreux blessés. Mme de Sévigné fait l’écho d’accidents en janvier 1672. Les ouvriers (jusqu’à 36 000 en 1685) sont nombreux. La surintendance dirigée par Colbert, puis par Louvois réquisitionne aussi des soldats, pour augmenter les effectifs, surveiller les ouvriers et bien sûr augmenter la productivité. Dans l’urgence des travaux engagés d’un chantier interminable et malgré les moyens humains, les défauts de construction et les malfaçons sont récurrents.
L’auteur consacre plusieurs questions à la Grande Galerie, qui s’est avérée une nécessité en raison de l’installation à demeure de la cour et du gouvernement à Versailles, dont il faut faciliter la circulation. Il s’agit aussi de mettre un terme aux infiltrations d’eau répétées de la terrasse à l’italienne. La Galerie des Glaces apparaît au monde comme un puissant outil de propagande et une vitrine des savoir-faire techniques et artistiques français.
En dépit du gigantisme des travaux, Versailles n’est pas le plus grand des châteaux de France (63 154 m² contre 135 000 m² pour le palais du Louvre), ni même le plus grand parc (8 000 ha en 1715, 15 000 ha en 1789, mais aujourd’hui 850 ha avec le domaine de Marly). Chambord, avec ses 5 440 ha ceinturés par un mur de 32 km, reste le plus grand parc forestier clos d’Europe.
Au XVIIIe siècle, l’art de vivre à la française s’impose et sert de modèle aux autres cours européennes. Ainsi le modèle du jardin à la française imaginé par Le Nôtre, avec ses longues perspectives, ses plans réguliers, inspirera les jardins de Peterhof (palais d’été de Saint-Petersbourg), de Drottningholm (proche de Stockholm), de Sans-Souci (Postdam).
En revanche, seuls quelques éléments architecturaux sont pris pour modèle. On cherche davantage à reproduire l’image de Versailles dans ce qu’elle représente symboliquement, politiquement – autrement dit le souverain maître absolu à la fois de la nature et de ses sujets, dans un lieu devant exalter sa gloire.
Ville, parcs et jardins
Un système de messagerie permet de se rendre à Versailles. Les prix varient selon le mode de transport (carrosse, coche, carriole) et selon la présence ou l’absence du roi dans le domaine.
Avec l’accroissement du château et de son activité, la ville se développe et passe de 25 000 habitants en 1715 à 45 000 en 1789. Pavage, éclairage, ramassage des boues se mettent en place.
Les jardins de Versailles s’agrandissent, offrant des styles différents, où domine le mythe apollinien à travers la sculpture. Selon Saint-Simon, le roi cherche à dompter la nature. Les maîtres fontainiers, comme la famille des Francini, « font voir les eaux », qui s’animent sur le passage de Sa majesté.
Accéder à Versailles
La résidence officielle du roi est accessible au public. Les entrées sont peu filtrées par les différents corps de garde et soldats (les gardes de la Porte protégeant la résidence, les archers de la Prévôté circulant dans l’ensemble du domaine…), pourvu que l’on soit correctement habillé (un « justaucorps à brevet » pour les hommes dans les premiers temps de Versailles afin de pouvoir suivre le roi ; le « grand habit » pour les dames importantes de la cour), et que les hommes portent l’épée et le chapeau. Seuls quelques appartements ne sont pas accessibles. On ne peut pas être aussi dans la même pièce que le roi. Les Cent-Suisses et les gardes du corps assurent la sécurité de la personne royale. Des guides de visite existent depuis la fin du XVIIe siècle. Tout est fait pour accentuer l’admiration des visiteurs et rappeler la magnificence royale. Peu de souverains, d’héritiers, de princes viendront découvrir Versailles. Ces illustres visiteurs voyagent incognito, par exemple le comte de Falkenstein est Joseph II d’Autriche, le comte de Haga est Gustave III de Suède, le comte du Nord est Paul Ier de Russie. Cela permet de se déplacer plus librement et d’échapper au lourd protocole.
Le logement et son confort
Il est nécessaire de posséder une charge auprès du roi ou d’un membre de la famille royale pour bénéficier d’un logement au château, ce qui n’est pourtant pas le cas de la comtesse Du Barry, la dernière favorite de Louis XV, dispensée de cette condition. Ainsi à la fin du règne de Louis XIV, Gabriel compte 20 logements de princes et princesses et 189 logements particuliers dans le château (hors dépendances). Le roi-soleil instaure la charge de seconde dame d’atours pour Mme de Maintenon (1679) ce qui lui permet de disposer d’un logement (exigu) composé de quatre pièces en enfilade (deux antichambres, un cabinet et une chambre). Saint-Simon obtient en 1710, grâce à sa femme qui devient dame d’honneur de la duchesse de Berry, épouse du troisième petit-fils de Louis XIV, un appartement de 250 m². Mais ces surfaces restent bien en-deçà de celles des hôtels particuliers parisiens ou versaillais des courtisans. Durant le XVIIIème siècle plusieurs de ces logements sont « recloisonnés » et/ou entresolés. Il n’y a pas de loyer à payer à Versailles. De plus les appartements sont meublés, et l’on fournit le bois et les bougies. Pour limiter les abus d’aménagement et de travaux dans le logement réclamés par les courtisans, Hardouin-Mansart dès sa nomination en 1699 met en place une réforme. Mathieu da Vinha consacre dans cette partie quelques questions au chauffage et à l’éclairage. La grande chambre du roi, d’une superficie de 92 m², haute de plafond, située à partir de 1701 au centre du château ne dispose au temps de Louis XIV que d’une cheminée ! Vers 1715, selon Gabriel, les officiers de fourrière ont en charge l’entretien de 1 315 cheminées du château. Des « brasiers » mobiles constituent des chauffages d’appoint. Les poêles qui consomment moins et d’un meilleur apport calorifique se développent au XVIIIème siècle. Éclairer le palais ordinairement chaque jour est très coûteux : plusieurs milliers de bougies, de cire blanche (la plus chère), de cire jaune, de suif sont utilisées par les officiers de la fruiterie en charge de ce service.
Hygiène et beauté
Dans les logements des courtisans, les simples serviteurs royaux se contentent de toilettes publiques ou d’une chaise percée qu’ils partagent avec leur compagnon. La garde-robe, en plus de sa fonction de conserver les habits, sert aussi de lieu d’aisance avec un mobilier spécifique. Dans le dictionnaire de Furetière on peut lire « Aller à la garderobbe, c’est, Aller descharger son ventre ». En 1710, on dénombre 34 fosses d’aisance installées sous le château, qui conduisent à des aqueducs souterrains formant tout un système d’égouts pour évacuer les eaux usagées dans différents endroits de la ville. La chaise « à l’anglaise », avec un système d’évacuation immédiat grâce à une chasse d’eau, fait son apparition sous Louis XV. L’auteur nous cite l’amusante anecdote rapportée par le comte d’Hézecques où Louis XVI est confronté, à un chat angora installé dans la cuvette de faïence dans sa chaise percée… s’en l’avoir remarqué… Sur la question de la toilette, il est rappelé que les bains se prennent dans un but prophylactique sous contrôle médical. Ainsi la toilette sèche est une pratique courante et quotidienne. Le roi se fait frotter le corps avec une serviette imbibée d’eau tiède ou d’esprit-de-vin (alcool). Il se lave les mains avant et après les repas. Le principe de « netteté » s’impose : dès que Louis XIV transpire un peu, on lui change sa camisole. Au cours du XVIIIème siècle des pièces spécialisées (cabinets de toilette) apparaissent avec l’aménagement de baignoires fixes dans les appartements royaux et princiers.
Face aux mauvaises odeurs, et malgré le changement régulier de linge, la pratique de la toilette sèche ou du bain, il convient de se parfumer. On a recours au parfum lui-même, aux gants parfumés, aux sachets de senteur, aux pommades… Le parfum représente un marqueur social. Mme de Montespan en fait un usage à l’extrême. La perruque présentée le matin à Louis XIV est parfumée. Le souverain commence à en porter dès 1658, depuis qu’il a contracté à Calais une fièvre typhoïde qui lui a fait perdre ses cheveux lors de sa campagne militaire dans les Flandres. Les barbiers-perruquiers, comme les frères Quentin, sont chargés de trouver dans toute la France de véritables cheveux longs châtain clair, la couleur naturelle du roi, pour fabriquer les perruques royales, celles-ci étant conservées dans le cabinet des Perruques contenant plusieurs armoires couvertes de glaces de la manufacture de Saint-Antoine (futur Saint-Gobain). Le roi change de perruques jusqu’à cinq fois par jour (à son lever, pour aller à la messe, après son dîner (= déjeuner), à son retour de chasse ou de la promenade, avant d’aller souper).
Se nourrir
Les travaux de Louis-Philippe ont fait disparaître les cuisines dans le château. Sous l’Ancien régime, 150 personnes sont mobilisées tous les jours pour préparer les repas de la famille royale (Grand Couvert, Petit Couvert…) et de ses commensaux. Les courtisans qui ont le privilège de « bouche à cour » sont peu nombreux. Les autres ont la possibilité de « piquer » une table, « cherchant midi ». Ceux qui ne trouvent pas à se faire inviter achètent eux-mêmes leur nourriture et la mange dans leur appartement. Par ailleurs, les officiers de la Bouche revendent au détail les plats des différentes tables, que les domestiques des courtisans s’empressent d’acheter aux offices de la Maison du roi ou à de nombreuses baraques présentes autour du château. La Maison-Bouche est en charge de l’organisation des repas royaux mais aussi de tous ceux qui ont « bouche à cour ». Son personnel s’occupe non seulement de servir, mais aussi de cuisiner et de réceptionner les denrées destinées à plusieurs centaines de personnes. La mise en place de serres dans le potager du roi, dirigé par La Quintinie, permet la production de fruits et de légumes toute l’année.
La vie des souverains et l’étiquette
Le « cérémonial de cour », autrement dit l’étiquette, a pour objectif de contenir la cour en imposant une distance entre le roi et ses sujets. Ce règlement non écrit dicte les comportements à adopter en toute occasion. Louis XIV s’emploie en toute circonstance à respecter cette vie en public : « Nous ne sommes pas comme les particuliers ; nous nous devons tout entier au public ». Toutefois le roi se ménage des « heures rompues », c’est-à-dire des moments d’intimité, après son dîner vers 14 heures ou encore vers 23 heures avant son coucher officiel. Louis XV, quelque peu hostile aux règlements, joue avec l’étiquette et adapte son emploi du temps. Sa journée ne commence pas avant 10 ou 11 heures car il a pour habitude de se coucher tard. Les courtisans issus de la noblesse ancienne tiennent à être distingués lors de la « présentation à la cour », ce qui ouvre le droit au privilège de chasser avec le roi, de monter dans ses carrosses ou encore de souper dans les petits appartements. D’autres rituels très réglés s’exercent aussi hors de Versailles durant les sacres et les cérémonies funèbres royales.
Être et paraître à travers travail et divertissements
A l’époque de Louis XIV, chaque jour est consacré à un conseil particulier. Parfois le roi travaille en fin d’après-midi avec l’un de ses ministres.
Par ailleurs la cour ne doit pas s’ennuyer à Versailles. Le Roi-soleil veut que les courtisans se divertissent en permanence. Les festivités se succèdent donc, à l’exception des périodes de deuils ou durant l’absence du souverain parti à la guerre.
Louis XIV voue une passion démesurée pour la musique. Trois ensembles composent le corps de la Musique du roi (pour un total d’environ 200 musiciens). Les musiciens de la Chapelle sont en charge de la vie liturgique de la cour (messes ordinaires quotidiennes et extraordinaires lors des grandes fêtes solennelles), tandis que les musiciens de l’Ecurie accompagnent surtout les grandes festivités de plein air (carrousels, parades équestres, processions, entrées royales, ballets, opéras, promenades). La formation musicale la plus importante est celle de la Chambre, se produisant lors des dîner, du souper, du coucher, des soirées d’appartement.
La frénésie du jeu a cours lors des soirées d’appartement qu’organise le roi, trois fois par semaine durant les hivers. Le commissaire de police Nicolas de La Mare dans son Traité de police distingue les jeux permis relevant de l’adresse et de l’esprit, les jeux défendus ne faisant appel qu’au hasard et enfin les jeux tolérés mêlant les deux. Ainsi la pratique des jeux de hasard, pourtant interdite dans tout le royaume, est autorisée à Versailles, occasionnant des dépenses inconsidérées de la part des courtisans.
La chasse est un autre divertissement très apprécié des souverains. Elle s’apparente à un plaisir sportif. Louis XIV s’y adonne trois fois par semaine, soit entre 110 et 140 jours par an. Il suit la chasse en calèche depuis qu’il ne monte plus à cheval (1683). Louis XV et Louis XVI consacrent entre 145 à 180 jours par an pour cette activité. Un immense chenil aménagé en 1685 accueille 160 chiens. Avec Louis XV, les différentes meutes atteignent plus de 400 bêtes.
Curiosités
Cette dernière partie nous a paru d’un intérêt moindre.
Le cadre chronologique de cet ouvrage est clairement défini dès l’introduction : il se limite au 6 octobre 1789. Aussi pourrait-on envisager une suite, par la publication d’un autre titre dans cette collection, pour un Versailles de 1789 à aujourd’hui, car il reste encore tant de choses à dire de ce lieu et de la richesse patrimoniale qu’il représente. En cela les questions restent nombreuses, dans le domaine de la conservation, de la restauration (comme celle de la Galerie des Glaces en 2004-2007 ou plus récemment du domaine de Marie-Antoinette), de l’acquisition et l’enrichissement des collections, du mécénat, mais aussi pour évoquer les moments forts au fil des XIXème et XXème siècle : l’ouverture de la galerie des Batailles en 1837, le traité de Versailles en 1919, la tempête de 1999… Les usages et les pratiques spatiales du château et de ses jardins (les réceptions privées ou de chefs d’État, les expositions temporaires notamment celles d’artistes contemporains), la fréquentation touristique, l’organisation, la logistique et l’envers du domaine peuvent susciter de l’intérêt.
D’une lecture très accessible à tous, y compris pour des scolaires, en raison du format proposé où chaque réponse à une question se limite à deux ou trois pages, ce livre pourrait être exploité pédagogiquement par l’enseignant à l’occasion d’un travail collectif en classe. On peut imaginer, par exemple, dans un premier temps que le professeur sélectionne une trentaine de questions ; puis à partir de deux exemplaires acquis de l’ouvrage que les élèves font circuler entre eux pendant une quinzaine de jours, ils prélèvent les informations essentielles, en prenant des notes à propos de la question sur laquelle ils sont amenés à travailler pour en faire une très brève restitution orale en classe. On peut aussi concevoir l’élaboration d’un récit collaboratif ou la réalisation d’un affichage mural à partir des apports de chacun.
Ce livre plaisant, facile et grand public, satisfera les lecteurs. L’ouvrage allie rigueur scientifique, exemples et anecdotes bien choisis pour étayer l’argumentation.