Le bandeau de couverture interpelle le lecteur ainsi : « Et vous, comment auriez-vous réagi si sous aviez visité l’Allemagne entre 1919 et 1945 ? ». Cette accroche résume bien l’esprit de ce livre qui propose de nombreux témoignages d’époque, le tout organisé autour de thématiques tout en ayant une progression chronologique.
Des témoignages comme coeur de l’ouvrage
Julia Boyd, auteure de plusieurs ouvrages historiques, a parcouru les archives du monde entier pour réaliser cet ouvrage. Le livre a reçu le prix du « Los Angeles Times » dans la section « Histoire ». L’auteure fait le choix de citer parfois en longueur des extraits de témoignages plutôt que d’en extraire la petite phrase. Précisons également qu’on trouve en fin d’ouvrage une rapide présentation de chacun des contributeurs de ces témoignages, ce qui permet de les situer rapidement, ainsi qu’une bibliographie. Le livre est basé sur les témoignages écrits par des étrangers et tente de recréer ce qu’on pouvait ressentir alors en voyageant en Allemagne entre 1919 et 1945. L’auteure utilise tout type de témoins, qu’ils soient très célèbres comme Charles Lindbergh ou Samuel Beckett, mais aussi et surtout des voyageurs un peu moins connus comme Michael Burn, journaliste, Rhys Jones, enseignant, ou encore Emily Pollard qui écrivit un journal pendant les vacances qu’elle passa en Allemagne en 1930. Un tel assemblage conduit forcément à une vision très éclatée de l’Allemagne mais c’est justement un des objectifs de l’ouvrage. Comme le dit elle-même Julia Boyd, « perturbants, absurdes, émouvants, allant du profondément trivial au terriblement tragique, ces récits de voyageurs donnent une vision nouvelle de la complexité du III ème Reich ».
Les lendemains de la Première Guerre mondiale
Plusieurs chapitres abordent cette thématique et racontent ensuite l’ambiance dans les années 1920. Aux lendemains du conflit, de nombreux Britanniques se rendent en Allemagne et, souvent, leur opinion était que le traitement réservé à l’Allemagne était à la fois injuste, moralement et dangereux politiquement. L’auteure restitue aussi le climat quotidien, bien différent de l’ambiance anglaise, et insiste par exemple sur la liberté sexuelle qui existait alors en Allemagne. Le rapport au corps et à la nudité surprenait beaucoup de voyageurs étrangers. Au niveau culturel, plusieurs éléments attiraient les touristes. L’aéroport de Berlin-Tempelhof déjà à lui tout seul représentait une véritable attraction, mais il y avait également les studios de l’Universum Film AG ou UFA. Julia Boyd relève le fait que, très souvent, des étrangers pouvaient exprimer une aversion pour l’action de jeunes nazis tout en exprimant dans leur correspondance qu’ils étaient « horrifiés par le nombre de Juifs qu’il y a ici ». En 1931, Charlie Chaplin, venu faire la promotion de son film « Les lumières de la ville », reçut un accueil hostile. Il préféra quitter Berlin avant même la première. « Les Britanniques et les Américains restaient relativement populaires en Allemagne au contraire des Français derrière lesquels se cachaient les Juifs pour nombre d’Allemands ». Une des craintes les plus souvent exprimées par les voyageurs étrangers était que l’Allemagne bascule dans le communisme.
Hitler au pouvoir
A partir du chapitre 6 le livre évoque l’Allemagne sous Hitler. On trouve d’abord des témoignages où s’expriment des doutes sur sa personnalité. Pour les journalistes alors présents, ils considéraient souvent celui-ci « comme un visionnaire, un leader inspiré ….qui rendait sa fierté au pays ». Le régime essaya de séduire ceux qui venaient visiter l’Allemagne. Des évènements culturels comme le festival de Bayreuth faisaient à la fois la fierté de la population et rayonner le pays à l’extérieur. On trouve des extraits de publicité du voyagiste Thomas Cook pour convaincre les touristes de se rendre en Allemagne. Dans de nombreux témoignages on ressent que les personnes d’un côté estimaient la culture allemande et, de l’autre, continuaient à visiter l’Allemagne nazie. Des anciens combattants, comme le capitaine Pitt-Rivers, furent séduits par ce qu’il voyait en Allemagne.
La séduction par les nazis
L’auteure évoque ensuite le cas des personnalités littéraires fascinées par le nazisme. « On est toujours décontenancé par le fait que les écrivains ne condamnent pas un régime caractérisé par la brutalité et la censure ». Le grand écrivain Knut Hamsun répondit à un courrier de sa fille alors en voyage en Allemagne : « Décris plutôt les réalisations d’Hitler et de son gouvernement malgré la haine et l’hostilité manifestées par le monde entier. » A l’inverse, la communiste Maria Leitner dénonça sans relâche la face cachée du régime nazi. « Intuitivement nous avons tendance à croire que les écrivains sont libéraux et plus ouverts d’esprit que l’individu moyen. mais quand il s’agit de l’Allemagne nazie, il semblerait que bon nombre d’entre eux, comme le commun des mortels, s’étaient déjà forgé une opinion avant même d’y mettre les pieds ». Julia Boyd détaille ensuite d’autres exemples qui montrent comment l’Allemagne chercha à attirer les étrangers. Les Jeux olympiques d’hiver et d’été constituèrent un moment phare dans la propagande. Il faut aussi se rappeler que trois semaines après la clôture des Jeux Olympiques d’hiver, les troupes allemandes occupèrent la Rhénanie ».
Le régime nazi
« A la fin de l’année 1936, il était difficile pour un habitant de Grande-Bretagne qui n’était ni reclus, ni antisémite, ni partisan convaincu du national-socialisme de clamer son ignorance de la brutalité nazie ». Plusieurs voyageurs semblent pourtant ignorer la réalité du régime nazi comme si la campagne, la culture traditionnelle et la bière pouvaient faire oublier tout le reste. Pendant longtemps, le pays conserva « tout son charme et son pouvoir de séduction ». Julia Boyd s’arrête ensuite sur la façon dont fut perçu l’Anschluss par les étrangers présents en Allemagne à l’époque. On peut aussi citer le cas de l’historien Arthur Bryant qui eut pendant très longtemps une opinion bienveillante des nazis. Le chapitre 20 s’intitule « La guerre » et décrit cet entre-temps si particulier entre 1939 et 1940. Une fois le conflit déclaré, le thème des bombardements occupa une très large place dans les écrits des témoins étrangers.
En conclusion, Julia Boyd revient sur plusieurs points. On s’aperçoit que la plupart des visiteurs avaient déjà une opinion bien arrêtée sur l’Allemagne avant d’y venir. Beaucoup « s’accrochaient à l’espoir qu’Hitler disparaisse bien vite ». La formule de W E B Du Bois est un bon résumé lorsqu’il écrit en 1937 : « Il est extrêmement difficile d’exprimer une opinion à propos de l’Allemagne d’aujourd’hui, qui serait vraie de tous les points de vue, sans y apporter de nombreuses modifications et explications ». Les visiteurs étrangers étaient aussi décontenancés par le fait que les Allemands étaient considérés comme très accueillants et qu’en conséquence cela ne cadrait pas avec la façon dont ils traitaient les Juifs. Enfin, il y avait peu « d’états totalitaires qui accueillaient les visiteurs étrangers avec autant de bienveillance ».
Le livre de Julia Boyd fait donc la part belle aux témoignages de ces visiteurs étrangers en proposant des profils variés. On pourra utilement s’appuyer sur les extraits fournis dans le cadre des cours sur le sujet en présentant en même temps succinctement la personne qui parle.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes.