Cet ouvrage est la publication de la thèse de Laurick Zerbini, maîtresse de conférences en histoire des arts d’Afrique subsaharienne à l’Université Lyon 2. Elle est membre du LARHRA (CNRS), Axes Religions et croyances. Ses recherches se concentrent sur les expositions et musées missionnaires en croisant le fait missionnaire et l’anthropologie, l’architecture chrétienne en Afrique de l’Ouest et la photographie missionnaire en Afrique de l’Ouest. Le sujet : quel fut le rôle de Lyon dans la colonisation et la christianisation de l’Afrique noire, entre action des laïcs et des missionnaires ? Elle croise une approche classique d’histoire et un aspect plus novateur de l’histoire de l’art : ce que peut nous apprendre l’histoire des musées et de leurs collections, Lyon disposant en effet d’environ 5 000 œuvres africaines.
Les Lyonnais et l’Afrique noire au XIXe siècle
L’auteure aborde, dans cette première partie, l’activité missionnaire des élites lyonnaises qu’elle décrit en détail. Elle analyse les outils de propagande grâce aux Annales de l’œuvre de propagation de la foi et de L’écho des Missions. Elle étudie différentes sources, des récits de missionnaires aux grands dictionnaires, qui permettent de montrer l’image de l’Africain, souvent négative : paresse, lenteur… « de grands enfants », un fétichisme qui empêche tout développement intellectuel. Pourtant un missionnaire au Dahomey comme Pierre Bouche1 décrit un toute autre réalité réfutant la malédiction de Cham.
L’auteure aborde aussi les écrits de Teilhard de Chardin et la théorie des climats comme la notion de race et l’idée d’inégalité présentent dans les grands dictionnaires de la fin du XIXe siècle. De même que les publications de l’œuvre de propagation de la foi font une large place aux sacrifices humains.
Dans le troisième chapitre on retrouve les élites économiques et intellectuelles et leur intérêt pour l’expansion coloniale d’abord vers l’Asie dès le XVIIIe siècle puis vers l’Afrique notamment à travers la Société de géographie de Lyon fondée en 1873, dans un but de géographie utilitaire comme le montre la lecture de ses Bulletins, analysés de 1880 à 1900 ou sa participation au parti colonial. L’auteure montre ici la convergence entre volonté missionnaire et intérêts économiques et scientifiques.
L’Afrique noire au théâtre des colonies
Cette seconde partie est organisée autour de l’exposition coloniale de 1894 au Parc de la tête d’or. Sont présentés les enjeux politiques de la province face à Paris, le rôle des chambres syndicales propagandistes de la cause coloniale notamment en la personne d’Ulysse Pila dont l’entreprise de soieries existe toujours. L’auteure décrit la manifestation du Parc de la tête d’or, le message civilisateur. Comment le visiteur est entraîné dans un voyage imaginaire qui démontre les potentialités économiques de l’empire en tout glorifiant les « héros de la conquête » contre le roi Béhanzin. L’articulation des collections met en lumière l’étendue de l’expérience coloniale au Soudan à Madagascar ; on expose les produits du sol, du sous-sol mais aussi des savoir-faire (textile, teinture) ainsi que des objets ethnographiques (armes, bijoux). La dimension économique est très présente avec l’affichage de la valeur des articles présentés.
Un chapitre est consacré à l’exposition des missions catholiques qui insiste sur les motivations morales et humanitaires de l’entreprise coloniale et la supériorité de la culture européenne, entre approché idéalisée des civilisations asiatiques à la sauvagerie africaine et aux cultes fétichistes.
Enfin l’auteure revient sur les représentations théâtrales ethnographiques, elle resitue les villages « nègres » comme une suite de l’exposition parisienne de 1889, une occasion d’évoquer les préjugés : dialectes africains ruraux / langues urbaines d’Afrique du Nord. La description de ces villages permet une analyse de cette reconstitution qui mêle Sénégal et Dahomey et une étude du rôle des Africains qui les peuplent, représentation de la vie et des mœurs, acteurs à la fois salariés de la Chambre de commerce et producteurs d’un spectacle et d’objets artisanaux. Ces exhibitions seront reprises en France comme en Europe ou aux États-Unis, des pratiques et des expressions désormais bien connues des historiens2.
L’objet africain sous le prisme du colonial, du scientifique, du missionnaire
Cette troisième partie est une plongée dans les réserves, les collections et l’histoire des lieux muséaux de la ville de Lyon, c’est là l’aspect le plus novateur de l’ouvrage qui permet de suivre les évolutions du rapport à l’empire colonial au début du XXe siècle, une meilleure connaissance géographique, ethnographique tant chez les militaires, les administrateurs que les missionnaires.
Le thème de la mise en valeur économique apparaît dans le discours de la Chambre de commerce lyonnaise dès les années 20.
L’essentiel de cette partie est une présentation de l’histoire des différents musées laïques ou religieux qui présentent les objets de l’Afrique subsaharienne.
Dès les débuts du XXe siècle la Chambre de commerce avait ébauché un musée colonial suite à l’exposition de 1894 qui connaît un véritable développement entre 1920 et 1946. L’auteure décrit le projet, les missions, les locaux, les collections.
D’autre part les missionnaires organisent des expositions pour présenter au public leur action et rechercher des financements comme en 1927 celle consacrée aux arts dahoméens organisée par Francis Aupiais qui montrent une réelle évolution du regard sur les cultures africaines.
Troisième acteur, la ville de Lyon, Herriot et le musée colonial scolaire crée en 1922, le musée comme outil d’instruction populaire célébrant la grande France, un musée qui connaît une réelle expansion avec des donations privées (Charles Louis Rioux, Ferdinand Gravier).
Après avoir retracé ces aventures muséales, l’auteure consacre un chapitre à une analyse de l’approche de l’objet africain à partir des archives et des collections d’anthropologie et d’ethnographie au Muséum du Palais des arts où une salle est créée en 1878 et à l’action de deux précurseurs Louis Lortet et Ernest Chantre.
Elle montre la perception de ces objets, notamment les fétiches considérés dans un premier temps comme l’expression de la sauvagerie, dénoncé comme sataniques que nombre de missionnaires voudraient détruire et perception qui ensuite évolue vers la reconnaissance d’un système de croyances.
A partir de nombreux exemples, Laurick Zerbini montre comment la mise en image des objets dans les récits des missionnaires constitue un argumentaire : de l’expression de la brutalité (armes, masque) à la présentation de techniques primitives (outils, instruments de musique) pour justifier l’évangélisation. Elle démontre que les récits missionnaires insistent sur la matérialité des objets sans réelle mise en relation avec leur contexte social et culturel. Puis lentement à partir des années 20 se développe une reconnaissance des cultures africaines et de l’animisme.
Le Musée des Missions Africaines, créé dans les années 1860 présente deux aspects : les réalités africaines à partir des objets et des scènes de catéchisme dans des mises en scène (voir illustration page XVIII) A noter les nombreuses ventes d’objets destinés à financer l’œuvre d’évangélisation qui a entraîné une dispersion dommageable des collections (une pratique qui demeure d’actualité d’après cet article du Monde Afrique : « Art africain : une vente aux enchères solidaire pour « restituer autrement ». Le Fonds de dotation Lévêque propose une centaine de masques, statuettes, sceptres, dont les bénéfices seront versés à des associations de femmes africaines; ».
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Est ensuite abordé un autre musée à caractère religieux, le musée de la propagation de la foi qui cherchait à rendre hommage aux « martyrs » de la mission. Il abritait tout une collection en rapport avec la divination et sans doute la plus importante collection ethnographique lyonnaise jusqu’en 1979.
A partir du pontificat de Pie XI (1922-1939) on assiste à la lente émergence d’un art chrétien africain par une adaptation aux cultures locales comme le montre l’exposition de Léopoldville en 1936 d’art chrétien indigène. C’est à cette évolution qu’est consacré le dernier chapitre : une réflexion sur le concept même d’adaptation, le rôle des Jésuites, les réticences voire la résistance des missionnaires perceptibles dans leurs revues. L’auteure évoque particulièrement Kevin Caroll et l’atelier d’Oyé-Ekiti (1947-1954) d’art yoruba chrétien dont deux œuvres sont présentées dans l’annexe iconographique (pages XXVII et XXIX).
Un siècle de patrimonialisation
En guise de conclusion l’auteure rappelle les liens étroits entre les domaines religieux, politiques et économiques de l’intérêt que les Lyonnais ont porté à la colonisation et l’évolution sur un siècle notamment en matière artistique.
Epilogue, 20 ans après…Février 2019
Laurick Zerbini évoque l’intérêt très contemporain pour les « arts premiers » et en parallèle l’évolution déclinante des musées lyonnais jusqu’à la création de Musée des Confluences3 qui offre une nouvelle scénographie à ce patrimoine.
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1 Sept ans en Afrique occidentale : la côte des esclaves et le Dahomey / par l’abbé … Bouche, Pierre, 1885 disponible sur Gallica : https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k103362r.texteImage
2 Voir par exemple : Catherine Hodeir, Michel Pierre, L’exposition coloniale de 1931, Editions André Versailles, 2011 ; Benoît De L’Estoile, Le goût des autres. De l’exposition coloniale aux arts premiers, Flammarion, 2007 ; Yves Le Fur, D’un regard l’Autre. Histoire des regards européens sur l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie, Editions de la Réunion des Musées Nationaux, 2006
3 Situé 86 quai Perrache à Lyon, le musée abrite pour les les sciences humaines, des collections développées à partir du XIXe siècle et sont constituées de deux grands ensembles : l‘archéologie régionale, nationale, européenne et internationale, dont une section remarquable en égyptologie et l’ethnologie extra-européenne Afrique, Proche et Moyen-Orient, Asie, Océanie, Amérique, Arctique et Cercle polaire) et un peu d’ethnologie européenne en particulier la Collection de l’Œuvre de la Propagation de la Foi.
C’est aussi un outil pédagogique pour tous les enseignants : http://www.museedesconfluences.fr/fr/enseignants