Particulier que ce « Voyage en géographie » proposé par Yannick Brun-Picard où des jalons sont posés afin d’entreprendre un cheminement dans le vaste univers de ce que représente la géographie pour cet auteur prolifique, avec son 25ème ouvrage. Il annonce (p.12) : « Un voyage ne permet pas de voir, de visiter, de fouler, de goûter tout ce qui existe au cœur d’un territoire ou d’un espace d’évasion. » Cette précaution indique que les lecteurs n’ont pas en main un manuel d’épistémologie de la géographie. Ils liront, dans le meilleur des cas, un support propice à une approche humaniste des pratiques géographiques ainsi que de leur enseignement et de leur mise en œuvre dans des contextes éducatifs.

La structure récurrente des travaux publiés par Yannick Brun-Picard dans ses productions est toujours en six parties avec 24 figures et une bibliographie fournie aux extensions éducatives marquées. Il y a encore ce sentiment de cours donnés par l’intermédiaire d’une figure source des développements exposés. Cette technique peu commune trouve son originalité dans sa forme synthétique et reproductible. Les prémices posent des jalons au sujet de l’humanisme, des influences, du néo-socioconstructivisme et de la transdisciplinarité. La mise en forme s’articule autour d’une conceptualisation, des domaines, de la géographicité et d’une trame d’étude. L’empreinte anthropique est dépeinte avec les interfaces, l’anthropocène, la puissance aménageuse et la place des océans. Les pratiques présentent l’extinction de masse, l’homme habitant, les risques et la durabilité. L’enseignement de l’humanisme géographique s’appuie sur une pratique pédagogique, l’apprenance, la dialogique et une mise en exercice. Des enseignements finalisent l’ensemble par des inerties sclérosantes, des défis, la médiatisation et sur ce qu’il reste à accomplir.

L’introduction frappe par une rapide mise en relief du rocher de la Baume à Sisteron (image de la couverture), ville des Alpes de Haute Provence, dans laquelle l’auteur met en relation l’histoire, la géomorphologie, la géographie et l’aménagement du territoire. Les fondements historiques à l’humanisme géographique sont une diagonalisation de cinq siècles d’évolution. Les géographes sélectionnés pour rendre préhensile cette orientation attestent des influences qui guident les propos de l’auteur. Pour ce voyage, il prend dans ses bagages la transdisciplinarité avec tout ce que cela implique pour les méthodes et pour les positionnements épistémologiques. Il fait en sorte d’articuler les domaines connexes à la géographie pour produire une expression globale et évolutive de l’appropriation des réalités accessibles à tout observateur. L’importance de la géographicité est renforcée par la prise en considération des impacts des abus d’une anthropisation guidée par l’avidité dénoncée pour ses prédations et son aveuglement quant aux conséquences pour le vivant et l’épiderme terrestre. La nécessité d’éduquer, de former et d’enseigner les faits avec leurs contre-coups pour l’avenir est préparée par la mise en relief des pillages et des destructions. Ainsi, l’action pédagogique attendue implique des pratiques hors des modèles actuels qui pour l’auteur devraient prendre ses distances avec les mauvaises influences médiatiques ou encore les inerties sclérosantes qui nuisent au rayonnement de la géographie. Tout ce qu’il reste à entreprendre est un vaste programme pour lequel l’engagement individuel est astreignant, mais indispensable afin de répondre aux maux que nos sociétés engendrent sur l’épiderme terrestre.

L’auteur expose des facettes d’une géographie humaniste tout en laissant le lecteur sur sa faim. Ses quelques pages au sujet des fondamentaux de la géographie et de l’humanisme mériteraient de plus amples développements afin que les destinataires qui ne sont pas des experts en épistémologie de la géographie puissent avoir des bases suffisamment denses. L’impression d’incomplétude est bien présente. On dirait qu’il fait en sorte que ces derniers aillent fouiller plus loin, tout en demeurant attaché aux écrits de Ferrier et de De Dainville. Il est vrai que les domaines abordés réclament plusieurs centaines de pages et ne peuvent pas être compressés en 170 feuillets. En outre, les assauts qu’il porte contre les normes universitaires, les politiques, les institutionnels avec leurs enfermements, leurs dogmes et leur intolérance à tout ce qui n’est pas dans la norme risquent de discréditer ses constatations. Il admet (p.61) qu’il est parfaitement conscient des risques encourus, tout en demeurant virulent dans l’exposé de ces aspects. Les coups de butoir contre le pédagogisme (p.104) pour légitimer des pratiques pédagogiques socioconstructives renforceront la tentation de la mise à l’index par toutes les mouvances qui ne conçoivent pas de telles potentialités. Un sentiment de moralisme se perçoit dans les dix commandements (p.105) et les 24 invariants à l’œuvre pédagogique (mis en annexe, pp.151-155), ce qui peut entacher l’acceptation des suggestions éducatives et intensifier les susceptibilités, voire les animosités à son encontre. Les brefs exposés au sujet de l’anthropocène, des risques ou de la durabilité sous-tendent l’expression d’un écologisme combatif, pour ne pas dire agressif dissimulé derrière la conscientisation des évènements. Il s’en dégage l’impression d’une charge de cuirassiers « sabre au clair », contre les orientations données à la géographie par ses représentants, pour lesquels ses propos peuvent être perçus comme vindicatifs.

Tout écrit peut être allègrement critiqué, dénigré et « démonté », dès lors que ce qu’il propose est éloigné des canons habituels d’un domaine scientifique ou des prétendues attentes des destinataires. C’est pour cela qu’il faut avoir l’intégrité de reconnaître les apports de cet ouvrage. L’auteur insiste sur sa définition de la géographie : « Science des espaces terrestres des hommes dont l’objet est l’interface humanité/espaces terrestres ». Cette option à le mérite d’inviter les lecteurs à la réflexion et à s’extraire de leur zone de confort pour entrevoir les possibles. Il met à la disposition, de toutes celles et de tous ceux qui aspirent à la diversification des axes d’études des réalités, des outils pragmatiques pour lesquels l’immersion dans les phénomènes est indispensable afin d’en saisir la substantifique moelle. En nous rappelant que les sciences ont des évolutions parfois chaotiques, il offre des perspectives en décalage avec les orientations contemporaines pour faire appel à des géographes dont les travaux ont été tenus sous silence alors que leurs propositions, telles que celles de Ferrier pour le salaire universel trouvent un écho de nos jours. Par ailleurs, les concepts sur lesquels Yannick Brun-Picard développe les pratiques pédagogiques pertinentes pour un humanisme géographie dans l’enseignement : l’apprenance, la réciprocité transformative, la dialogique et la convivance sont en adéquation avec les interfaces au sein desquelles il nous invite à entreprendre ce « Voyage en géographie ». En outre, la définition qu’il donne de l’humanisme géographique (p.144) montre l’étendue de l’œuvre à entreprendre pour soutenir des pratiques géographiques efficientes en évitant de sombrer dans la facilité communicationnelle. Au final, cet ouvrage est un « remue-méninges », peut-être dérangeant, pour les actants de la géographie contemporaine, pour les étudiants ainsi que pour les enseignants afin que chacun améliore ses connaissances sur le monde des faits ainsi que ses actions sur la Terre.